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Trente ans après le scandale des fiches

Le scandale des fiches et ses 900'000 personnes sous surveillance a éclaté le 22 novembre 1989 (archives). KEYSTONE/STR sda-ats

(Keystone-ATS) Le scandale des fiches, avec ses 900’000 personnes mises sous surveillance, a éclaté le 22 novembre 1989. Trente ans après, la surveillance exercée par l’Etat repose sur un “méli-mélo de dispositions spéciales”, selon le préposé fédéral à la protection des données.

L’élément déclencheur de l’affaire des fiches est la publication du rapport de la Commission d’enquête parlementaire (CEP), qui avait pour mission de faire toute la lumière sur le contexte dans lequel s’était déroulée la conversation téléphonique entre la ministre de la Justice d’alors, Elisabeth Kopp, et son mari, avocat.

Mme Kopp avait averti son époux que des enquêtes sur une affaire de blanchiment d’argent étaient en cours et lui avait conseillé de démissionner du conseil d’administration d’une société suspecte.

“Si elle avait attendu d’être à la maison le soir, nous ne saurions toujours rien des fiches”, a déclaré la militante des droits fondamentaux Catherine Weber dans une récente interview à la Wochenzeitung.

Secrétaire du comité “En finir avec l’Etat fouineur”, Mme Weber était en première ligne lorsque le scandale a éclaté. L’initiative populaire “SOS – pour une Suisse sans police fouineuse”, qui demandait la suppression de la police politique, a été rejetée presque dix ans plus tard lors du référendum du 7 juin 1998 par les trois quarts des électeurs.

La CEP devait enquêter sur “l’affaire Kopp”, mais aussi sur la conduite du Département fédéral de justice et police (DFJP) en général ainsi que sur celle du Ministère public de la Confédération et de la Police fédérale qui en dépendait.

Sur un coup de tête

Selon Mme Weber, le scandale des fiches a été découvert au cours d’une réunion de la CEP dans les locaux de la Police fédérale. “Sur un coup de tête, des parlementaires ont regardé les placards pendant la pause et ont découvert une énorme collection de fiches classées par ordre alphabétique “.

Le rapport de la CEP a permis de mesurer l’étendue du scandale: plus de 900’000 individus ont été fichés. Le 3 mars 1990, près de 30’000 personnes ont manifesté à Berne contre “l’Etat fouineur”.

Les citoyens touchés ont pu demander à consulter leurs fiches et les dossiers à partir de 1990. Environ 300’000 personnes ont fait usage de ce droit, et parmi ceux-ci, 5560 ont souhaité jeter un oeil à l’ensemble du dossier les concernant.

Les personnes concernées ont trouvé des informations détaillées sur leurs voyages dans les pays de l’Est ou des contacts avec des personnes derrière le “Rideau de fer”. Ces données avaient à l’époque été enregistrées minutieusement, et parfois très incorrectement.

Des curiosités ont également été trouvées: un homme d’affaires était fiché parce qu’il avait vendu un épilateur à une femme russe. Il a porté plainte et la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a estimé que le droit du citoyen suisse au respect de sa vie privée avait été violé.

Enormément de données

Le scandale des fiches coïncide avec la fin de la Guerre froide. “A l’époque, les Etats utilisaient d’importantes ressources en personnel pour obtenir des informations”, explique à Keystone-ATS le préposé fédéral à la protection des données Adrian Lobsiger.

Après un apaisement temporaire, le monde occidental a commencé à moderniser le système d’acquisition des informations de sécurité, à la suite des attentats du 11 septembre 2001. Avec la numérisation, la quantité et la qualité des données écrites, audio et image ainsi que la puissance de calcul pour les analyses et les comparaisons, ont augmenté de manière exponentielle.

“En outre, il y a les données biométriques et génétiques, ainsi que le flot de métadonnées, telles que les données de position, qui sont générées par l’utilisation de smartphones”, détaille M. Lobsiger.

La Confédération exploite actuellement un grand nombre de systèmes contenant des données personnelles sensibles, qui devraient être ancrées dans une loi pouvant faire l’objet d’un référendum.

“Les systèmes, qui ne sont exploités que par des services de sécurité fédéraux tels que l’Office fédéral de la police (fedpol), le Corps des gardes-frontières ou le Service de renseignement de la Confédération (SRC), reposent sur un si grand nombre de dispositions légales spéciales qu’il est difficile d’avoir une vue d’ensemble, même pour les juristes spécialisés”, conclut M. Lobsiger.

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