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Lenteur des débats vs. vitesse des trains

Votation NLFA 1992
Il y a 25 ans, les Suisses disaient oui aux NEAT (en allemand), ou NLFA en français. RDB/Ex-Press/David Adair

Depuis une année, les trains filent à 200 km/h sous la montagne à travers le plus long tunnel ferroviaire du monde. Il y a juste 25 ans, les Suisses disaient oui aux nouvelles transversales alpines (Lötschberg et Gothard). Avant d’attaquer la roche, c’est l’opinion qu’il a fallu convaincre, dans un long feuilleton démocratique à rebondissements.

Au cœur de l’Europe, la Suisse est un point de passage obligé entre le Nord et le Sud du continent. Mais 60% de son territoire est barré par l’imposante masse des Alpes, avec leurs sommets de 4000 mètres et plus. Depuis la nuit des temps, hommes et marchandises l’ont traversée, à pied, à cheval, en diligence, et plus récemment en voiture et en camion. Mais pour le chemin de fer, c’est plus compliqué: au-delà d’une certaine pente, les convois patinent, et la crémaillère n’offre une alternative que pour les petits trains, pas trop lourds.

D’où l’obligation de percer des tunnels. En Suisse, le premier Saint-GothardLien externe a été LE chantier de la fin du 19e siècle: 15 kilomètres passant sous 1000 mètres de roche, avec entrée et sortie à 1100 mètres d’altitude, ce qui contraint les trains à une lente approche en pente douce, parfois même en colimaçon, dans les fameux tunnels hélicoïdauxLien externe. Avec l’accroissement constant du trafic et les progrès technologiques, il était logique qu’on en arrive aux tunnels de base, qui s’ouvrent directement dans la plaine.

Cinq variantes

Le premier projet d’un tel tunnel au Gothard date de 1961. Neuf ans plus tard, le principe en est approuvé par une commission fédérale. Mais nous sommes en Suisse, pays de fédéralisme et de démocratie directe. Le gouvernement ne peut pas simplement déclarer un projet d’utilité publique et lâcher ses machines de chantier sur le terrain, comme la France le fait à cette époque pour sa première ligne de TGV: feu vert gouvernemental en 1974, inauguration sept ans plus tard, pour 389 km de voies, 17 grands viaducs, 780 ponts (mais aucun tunnel) et l’équivalent de 2 milliards d’euros d’aujourd’hui.

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En Suisse, on va donc étudier cinq variantesLien externe de nouvelles lignes ferroviaires à travers les Alpes (NLFA), afin de tenter de concilier les intérêts des différentes régions. Si l’on habite Lausanne en effet, un tunnel aux Grisons, tout à l’est du pays, n’a pas le même intérêt qu’un tunnel dans le Valais voisin. Et inversement. Les projets sont remis en 1988 au gouvernement, qui rend sa décision deux ans plus tard. Ce seront deux tunnels: un en Valais précisément, le LötschbergLien externe, et l’autre en plein centre du pays, au Gothard.

La Suisse romande et la Suisse centrale sont gagnantes, la Suisse orientale perdante, mais elle obtient en compensation une amélioration de ses connexions avec la ligne du Gothard.

Ecolos et camionneurs

Dans l’optique du gouvernement, les NLFA doivent servir non seulement aux voyageurs, mais aussi aux marchandises, via le ferroutage, et s’insérer dans le système global des transports européens. En mars 1991, le parlement adopte facilement le projet, qui va néanmoins affronter l’épreuve des urnes.

La demande de référendum est lancée par trois comités, coalition de fait, aussi improbable que contre nature. Il y a d’une part les habitants du canton d’Uri, où va s’ouvrir le portail nord du tunnel, qui redoutent les nuisances et veulent des voies d’accès enterrées. Les milieux routiers, de leur côté, craignent un dépassement du devis, qui aurait pour conséquence de faire augmenter les taxes sur les carburants.

Et surtout, il y a l’opposition des Verts, celle qui récoltera le plus gros de 50’000 signatures requises. Eux aussi craignent une explosion des coûts. Aujourd’hui député à la Chambre basse, l’écologiste Daniel Brélaz, qui fut longtemps maire de la ville de Lausanne, se souvient: «Pour nous, manifestement, le financement n’était pas assuré. Le risque que cela amène les CFF et la Confédération à fermer de nombreuses petites gares pour sauver les deux gros tunnels, était majeur». Le référendum aboutit de justesse: 50’096 signatures valables. Et l’année suivante, les votants sont 63,6% à dire oui. La machine est lancée – mais pas encore les tunneliers.

Le premier dynamitage au Lötschberg a lieu le 5 juillet 1999. Huit ans plus tard, les trains y roulent. Quant au Gothard, il est inauguré le 1er juin 2016, en présence du gratin de toute l’Europe, qui salue le plus long tunnel ferroviaire du monde, avec ses 57 kilomètres.

Effets en cascade

S’agissant de la facture, l’histoire a donné raison aux opposants. Devisés initialement à 15 milliards de francs, les NLFA en ont coûté à ce jour près de 24. Mais le vote de septembre 1992 a eu des conséquences en cascade, que même Daniel Brélaz n’avait pas prévues. «Le fait qu’il y ait eu ce référendum et un débat populaire a certainement, vu l’utilité déclarée des tunnels, aidé l’initiative des AlpesLien externe [qui demande le transfert des marchandises de la route au rail] à passer deux ans plus tard».

Pour l’élu écologiste, l’acceptation de l’initiative des Alpes «a aussi fait qu’economiesuisse [la faîtière des grandes entreprises] a décidé, à une voix de majorité, de soutenir la taxe poids lourds, ce qui a peut-être quand même aidé à ce qu’elle passe. Et ensuite, par ricochet, on a eu un meilleur financement».

Prise dans la dynamique de soutien au ferroutageLien externe, la Suisse décide en effet à la fin des années 90 d’introduire une redevanceLien externe sur les transports par camion. Malgré l’opposition attendue des milieux routiers, elle est acceptée par 57% des citoyens en 1998, aussi un 27 septembre. Depuis, elle fait école dans le reste de l’Europe.

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Résultat: de 1’400’000 de camions traversant les Alpes en 2000 (année record), on était en 2014 juste au-dessus du million. Et la tendance est à la baisse. On est toutefois encore loin de l’objectif à 650’000 fixé par l’initiative des Alpes, et donc inscrit dans la Constitution. Ce qui fait dire à Daniel Brélaz que «la bonne volonté de la Confédération pour appliquer jusqu’au bout la volonté populaire est aussi limitée».

Encore un peu de roche à percer

Pour s’inscrire définitivement dans un réseau européen de transport et de ferroutage, le système des NLFA n’est toutefois pas encore achevé. Au Lötschberg, un des deux tubes n’est percé qu’au deux tiers et exploité sur un tiers seulement. Et à la sortie du Gothard, les trains devront encore attendre l’achèvement du tunnel du Ceneri (15 kilomètres, entre Bellinzone et Lugano) pour profiter pleinement du gain de temps promis par la NLFA.

De quoi rallonger encore un peu la facture et susciter de nouveaux débats sur le moyen le plus rapide (et le plus propre) qu’on ait trouvé pour traverser les Alpes.

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