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A Genève, l’aviation d’affaires doit affronter des turbulences

Exposition de jets privés lors de la Convention européenne d'aviation d'affaires EBACE 2015 à Genève. Keystone

Genève est le deuxième aéroport d’Europe pour l'aviation d'affaires mais le trafic est en baisse dans ce secteur. Des facteurs économiques ont contribué à cette situation. Les opérateurs concernés rejettent quant à eux une part de responsabilité sur les autorités aéroportuaires genevoises.

Il ne faut que six minutes à Gregory Prenleloup pour sortir de sa Porsche Cayenne, passer le contrôle des passeports et la sécurité, et monter dans le jet Citation CJ2 qui l’attend sur le tarmac. Le président de l’opérateur de jets privés et organisateur de voyages de luxe baisse la tête dans la cabine au plafond bas. Six sièges en cuir beige dodus et confortables, une mini-garde-robe, un téléviseur à écran plat et un ameublement en acajou laqué font ressembler un peu le tout à une caravane de luxe.

Genève-Cointrin en chiffres (2014)

15,2 millions de passagers

187’600 vols

134 destinations

79’000 tonnes de fret

Revenu net: 404 million de francs (376 million en 2013)

44’000 emplois liés directement ou indirectement aux activités de l’aéroport

Valeur ajoutée à la région: 7,2 milliards de francs

(Source: Aéroport de Genève, Infras)

Les vols organisés par des opérateurs comme Jet EventLien externe représentent les deux tiers des mouvements d’aviation d’affaires en Europe. Les autres appartiennent à des privés, surtout à des entreprises. Non seulement ce secteur permet de gagner du temps, mais il offre des vols vers de nombreuses destinations non desservies par les compagnies aériennes.

Gregory Prenleloup se rappelle qu’entre 2006 et 2008, il n’y avait pas suffisamment de jets pour satisfaire la demande: «C’était fou, je ne pense pas que nous reverrons cette situation».

Alors que la crise financière mondiale frappe durement le secteur, on constate une croissance dans un certain nombre d’aéroports, dont Farnborough et Luton au Royaume-Uni et Nice en France, selon le dernier rapport annuel de l’Association européenne d’aviation européenne (EBAA)Lien externe.

Mais GenèveLien externe, la ville européenne la plus importante pour l’aviation d’affaires après Paris-Le Bourget, est pour sa part toujours en déclin.

Mauvaises affaires

Dans l’ensemble de la Suisse, avec Genève en tête, les vols d’affaires (arrivées, départs et vols nationaux) ont presque retrouvé le niveau de 2011 – plus de 83’000 – avant de retomber chaque année un peu plus, avec moins de 77’000 vols en 2014. Par contraste, l’aéroport de Genève – qui contrairement à Paris-Le Bourget reçoit aussi des vols de ligne et des charters – connaît une croissance considérable.

«L’aviation suisse d’affaires traverse une passe très difficile», explique Gregory Prenleloup, qui se montre pessimiste à propos de l’avenir du secteur à Genève, et ce pour différentes raisons. «Les autorités de l’aéroport de Genève favorisent les compagnies aériennes low-cost et nous refusent des vols», dit-il, se faisant l’écho des préoccupations exprimées par d’autres opérateurs. Il ajoute que la limitation des créneaux horaires de décollage et d’atterrissage est le plus gros problème, alors que la question ne se pose pas dans d’autres aéroports du monde.

Pour illustrer la chose, Gregory Prenleloup se connecte avec son smartphone au système de réservation des créneaux horaires de l’aéroport de Genève. «Voyons ce qui se passe aujourd’hui», dit-il. Les créneaux non disponibles sont indiqués en rouge. «Regardez, 7, 8, 9, 10, 11, midi, ce sont toutes les heures où je ne peux pas vendre de vols. Tout est en rouge, s’irrite-t-il. Bien sûr, je peux dire à mes passagers qu’ils peuvent voler à 13 heures, mais s’ils veulent partir à 9 heures, ce n’est pas possible.»

Dollars perdus

«Parfois, nous avons 10’000 dollars immobilisés sur le tarmac, nous allons être éliminés», lance Gregory Prenleloup, dont la clientèle est essentiellement russe. Il estime que les compagnies low-cost ont porté atteinte à l’aviation d’affaires à Genève, ajoutant que «les millionnaires et les milliardaires volent maintenant avec EasyJet aussi bien qu’avec des jets privés».

En outre, depuis la crise financière, les entreprises genevoises qui affrétaient régulièrement des jets privés les utilisent moins aujourd’hui et se rabattent sur les compagnies aériennes. Pas tellement pour des raisons financières, mais plutôt parce qu’elles rechignent désormais à faire étalage de luxe.

Gregory Prenleloup relève que quelques propriétaires de jets privés ont déplacé leur appareil à l’aéroport de Sion, à quelque 150 kilomètres de là, tandis que certains opérateurs ont licencié du personnel.

Le réseau en ligne de réservation de jets privés PrivateFlyLien externe enregistre une moyenne mensuelle de 12% de réservations vers ou depuis la Suisse, dont beaucoup de vols d’affaires à destination ou au départ de Genève. Selon son directeur exécutif Adam Twidell, la limitation des créneaux horaires complique beaucoup la planification des vols, en particulier pendant la saison des sports d’hiver et pour les demandes de dernière minute.

Adam Twidwell, PDG de PrivateFly, a été désigné l’un des dix leaders du secteur lors des conventions EBACE 2014 and 2015. Shaun Curry

Alternatives

PrivateFly regarde de plus en plus vers d’autres aéroports pour la clientèle désirant utiliser Genève. Adam Twidell cite par exemple les aéroports français de Lyon Bron, Annecy et Chambéry. «Nous avons certainement un souci pour la croissance future de l’aviation privée à l’aéroport de Genève.»

Cette préoccupation a poussé la communauté d’aviation d’affaires à se réunir en association, initiative bien accueillie par les autorités genevoises, selon le porte-parole de l’aéroport Bernard Stämpfli: «Face à la multiplicité actuelle des modèles d’aviation à l’aéroport de Genève, il y a une volonté de préserver l’aviation d’affaires, qui est très importante en termes d’impact économique pour le canton.»

Une étude de PwCLien externe a révélé que le secteur bénéficie à la région genevoise car il amène des clients des banques privées, des cadres supérieurs et des investisseurs potentiels. Il facilite aussi le tourisme haut de gamme (dont le tourisme médical), particulièrement en provenance de de Russie et du Proche-Orient.

Mais la principale part de gâteau de l’aéroport de Genève est le secteur des charters, qui représente plus de 77% du trafic. EasyJet occupe une part de 41,9% des vols réguliers. Pour Bernard Stämpfli, la coexistence de ces divers types d’aviation n’est pas facile à gérer, mais l’aéroport et la compagnie de contrôle aérien Skyguide s’en sortent bien. Les opérateurs trouvent des créneaux horaires qui satisfont la demande de leurs clients «dans près de 90% des cas».

Créneaux inutilisés

Il indique que certains opérateurs se livrent à une surréservation des créneaux pour parer à toute éventualité, ce qui empêche d’autres de les utiliser. Il y a eu parfois entre 15 et 50% de créneaux inutilisés.

«Lors de notre dernière réunion avec les principaux opérateurs, ils ont admis qu’ils tuaient le système, dit Bernard Stämpfli. C’est donc à eux de s’arranger entre eux.» Et de suggérer l’introduction d’un système de pénalités pour que les créneaux horaires alloués ne soient pas perdus.

Tandis que la plupart des principaux aéroports d’Europe ont des plates-formes séparées pour les compagnies aériennes et l’aviation d’affaires, Genève dessert tous les secteurs avec une seule piste. La suggestion d’un opérateur comme Twidell d’en construire une deuxième n’est pas réalisable. L’aéroport dispose d’un territoire de 340 hectares et la loi exige une zone de 750 mètres entre les axes centraux de deux pistes parallèles.

Déplacer des montagnes

«Si nous voulons construire une autre piste, soit on envahit la France et on construit à Ferney, soit on déplace les montagnes du Jura», plaisante Bernard Stämpfli.

Autre accusation des opérateurs: le trafic régulier et celui des charters sont favorisés parce que les taxes d’atterrissage et des passagers génèrent plus de rentrées. Mais le directeur des opérations de l’aéroport de Genève, Xavier Wohlschlag, explique que l’aviation d’affaires n’est tout simplement pas une priorité de la concession fédérale de l’aéroport.

Quant à la demande de levée des restrictions de vols entre minuit et 6 heures pour des jets modernes et moins bruyants, les autorités l’excluent en invoquant les réglementations sur l’environnement et les nuisances sonores.

Tant Bernard Stämpfli que Xavier Wohlschlag soulignent que l’aviation d’affaires est importante pour Genève et qu’elle sera «strictement préservée» dans la politique de l’aéroport. Ils ajoutent que l’aéroport travaille avec les opérateurs afin d’optimiser l’utilisation du système de réservation des créneaux horaires et densifier le stationnement, qui pose lui aussi un problème.

Bernard Stämpfli relève que l’aviation est un baromètre de l’économie. Quand les temps sont difficiles, les voyageurs de la classe affaires passent à la classe économique et ceux qui volent en jets privés prennent parfois des vols de ligne.

Malgré les «discours d’alarmistes» de certains opérateurs et propriétaires d’avions privés, la situation à Genève est «compliquée, mais très opérationnelle», souligne-t-il. 

(Adaptation de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

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