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Un 6 mai à Paris

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Des bureaux de vote à la fête qui a couronné la victoire de Nicolas Sarkozy, le récit d'une journée d'élection présidentielle dans la capitale parisienne.

Récit d’un journaliste qui vit dans un pays où les élections – communales, cantonales, fédérales – ne suscitent en général que des émotions très modérées.

Dimanche 6 mai, 9h00. Beau temps sur Paris. La France se réveille, comme depuis 12 ans, en Chiraquie. Elle sait que le soir même, elle aura déjà un pied dans une autre époque, que les derniers sondages annoncent clairement sarkozienne.

Place du Châtelet. Les rues sont tranquilles, comme elles le sont toujours le dimanche matin.

De mairie en mairie

Mairie du 1er Arrondissement, place du Louvre. L’un des 837 bureaux de vote que comptent les 20 arrondissements de Paris. Quelques votants, pas beaucoup. A cause de l’heure matinale?

Je quitte le centre de Paris pour me rendre au nord de la ville. Marché de Clignancourt, Puces de Saint-Ouen… Multitude bigarrée, foule multicolore du côté des fringues, clients plus bourgeois chez les antiquaires. Un jour d’élection présidentielle? Rien ne l’indique, sinon les conversations, de-ci, de-là.

Il est midi à la Mairie du 18e Arrondissement. Plusieurs bureaux, quelques colonnes de citoyens du quartier. Une image auquel le ressortissant helvétique urbain n’est plus guère habitué: en Suisse, il y a belle lurette que le vote se fait majoritairement par correspondance, qu’il s’agisse d’élections ou de «votations».

Quoi qu’il en soit, sorti des lieux de vote, Paris en ce 6 mai ressemble terriblement à n’importe quel dimanche ensoleillé à Paris. Rien à voir avec ce que les journaux télévisés montreront le soir même, donnant l’impression, à travers ce filtre si déformant que sont les médias, que toute la France ne vit plus qu’à travers son élection présidentielle.

Les jeux sont faits

A propos de médias… A 19h00, je me coupe le suspense en allant au siège du quotidien «Libération». «On va être les pestiférés», me dit François Sergent, chef de la rubrique internationale, en m’accueillant. Eh oui, «Libé» est résolument de gauche, et la nouvelle est désormais connue des médias: Nicolas Sarkozy l’emporte.

Ce qui n’empêche pas le journaliste de France 2, à 19h50, de laisser planer le doute en évoquant «le sourire» qu’affiche Ségolène Royal… incorrigibles télévisions.

20h00. La nouvelle est officielle. Sarkozy est président, à 53% environ. Explication de François Sergent: «Pour Ségolène, le débat a mal passé. Et puis sa ‘danse du ventre’ au centre a mal été perçue à la gauche de la gauche».

Présent à la rédaction de «Libération», le Goncourt Patrick Rambaud (‘La bataille’), passionné par le personnage de Napoléon sans être fan pour autant, me parle de Sarkozy: «Ben oui… c’est Bonaparte. L’homme d’action. Seul espoir: que les législatives entraînent une cohabitation.»

Je sors de «Libération». La place de la République est calme. Quelques grappes de badauds se regroupent autour des cafés pourvus d’une télévision lorsque Nicolas Sarkozy prononce son premier discours présidentiel. Quelques sifflets.

Cap sur la Concorde, puisque c’est là qu’a lieu la fête…

La fête

Tina Arena, Enrico Macias, Gilbert Montagné, Zouk Machine, puis Arthur, Christian Clavier et Jean-Marie Bigard pour annoncer Faudel. On se croirait sur TF1.

La Concorde est bien remplie, sans déborder pour autant. Drapeaux tricolores, calicots. Un enthousiasme qui est totalement étranger à l’électeur suisse, lequel a parfois de la difficulté à citer les sept ministres qui constituent le gouvernement de son pays et ne connaît pas toujours le nom de son président…

Sur le coup de 23h00, Nicolas Sarkozy entre en scène. «Mes chers amis», martèle-t-il à plusieurs reprises pour amorcer son discours. «Nicolas, Nicolas, Nicolas», acclame la foule. Le discours sera intense, teinté d’un idéalisme peu courant dans les rangs de la droite. Et se conclura par une ‘Marseillaise’ interprétée par… Mireille Mathieu. Là, on aurait pu faire plus fringant.

Cap sur l’avenir

En regardant cette foule, on comprend soudain mieux la gloire des rois de France, l’impact de Danton, l’idolâtrie napoléonienne ou le culte gaulliste. Même si la foule rassemblée ici n’est pas représentative de l’ensemble des habitants du pays, force est de constater que la France entretient un formidable rapport d’amour et de haine avec le pouvoir incarné en un homme.

Rien à voir avec la distance un peu goguenarde que le Suisse cultive à l’égard du pouvoir et de ses gouvernants. Attention… distance à l’égard de ceux qui incarnent le pouvoir, pas à l’égard des institutions. L’institution – ou sa mythologie – il aurait plutôt tendance à la vénérer.

Côté suisse, corollaire de cette défiance pragmatique, une vie politique faites de chiffres et de compromis. Côté français, dynamisme des passions et folie de la fête partisane. Mais mémoire courte: combien de gueules de bois ont fait suite aux espoirs projetés sur un nouveau président? Le bilan des douze années de chiraquisme, aujourd’hui, fait glousser même la droite républicaine. Mais pour l’heure, le Paris sarkozyste est à la fête. Et des échauffourées ont déjà lieu dans plusieurs villes de France.

Il est tard. Les jeux sont faits. Ici et ailleurs, ces derniers temps, on a beaucoup évoqué la «grandeur perdue» de la France. N’empêche. Quelle autre élection présidentielle – hormis l’américaine – suscite-t-elle un intérêt aussi international? Le rayonnement d’un pays ne se mesure pas qu’à l’aune de son PIB.

Fasse que le nouvel élu parvienne à rendre à nouveau légitime – socialement, culturellement, économiquement – ce rayonnement qui de fait, et peut-être étonnamment, demeure.

swissinfo, Bernard Léchot à Paris

Les chiffres à l’heure où nous publions:
Nicolas Sarkozy: 53%
Ségolène Royal: 47%
Taux de participation 2e tour: entre 84 et 86%
Taux de participation 1er tour: 83,77%

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