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Un accord arméno-turc tomberait à pic pour Barack Obama

Micheline Calmy-Rey lors de la rencontre entre Barack Obama et les représentants des gouvernments turc et arménien le 6 avril dernier à Istanbul. Keystone

L'Arménie et la Turquie seraient «tombées d'accord sur un cadre global pour la normalisation de leurs relations bilatérales». Effet d'annonce? Tentative de diversion? Percée réelle? La Suisse a fait office de médiation. Mais rien encore ne s'est véritablement concrétisé.

Le calendrier fait bien les choses. Le communiqué de presse est signé par la Suisse, l’Arménie et la Turquie. Il annonce un accord turco-arménien et date du … 22 avril 2009, soit deux jours avant la commémoration du génocide arménien de 1915.

Résultat: le nouveau Président des Etats-Unis a souligné les progrès effectués par les deux parties. Et préféré soutenir le processus de réconciliation plutôt que d’appeler à la reconnaissance du «G-word», ainsi que les Américains surnomment le «génocide» arménien. Barack Obama ménage son allié turc.

La Suisse a facilité les choses

Très discrète sur son rôle, la Confédération, semble bien avoir joué les bons offices depuis au moins un an. Début avril à Istanbul, lors du Forum de l’ONU pour l’Alliance des civilisations, la ministre suisse des affaires étrangères, Micheline Calmy-Rey, s’est entretenue avec ses homologues turc et arménien en présence du Président américain. Et un certain nombre de rencontres discrètes se sont déroulées en terrain helvétique en mai et juillet 2008; puis en janvier 2009, en marge du Forum économique mondial de Davos.

La tâche n’était cependant pas surhumaine pour Berne: les responsables turcs et les Arméniens ne sont pas des ennemis qui refusent absolument tout contact, à la différence par exemple, pour rester dans la région, des Syriens et des Israéliens.

L’élection en 2008 d’un nouvel homme, Serge Sarkissian, au poste de Président de la république d’Arménie a très certainement facilité les choses. C’est en octobre de la même année, en effet, qu’a eu lieu la première visite d’un Président de la République de Turquie en Arménie depuis la fermeture de la frontière en 1993.

Abdullah Gul est venu encourager les footballeurs turcs qui se battaient contre l’équipe arménienne. Ce qui a donné une nouvelle forme de visibilité aux contacts entre les deux gouvernements: on est passé d’une négociation en chambre à ce que certains nomment la «diplomatie du football». Laquelle trouvera son prolongement en octobre prochain lorsque le Président arménien se rendra en Turquie pour y assister au match retour et soutenir l’équipe qui porte ses couleurs.

On ne part pas de zéro

«Lorsque les relations diplomatiques seront officiellement renouées, la normalisation pourrait être assez rapide. Car on ne part pas de zéro, explique Alexandre Toumarkine, spécialiste du Caucase et de la Mer Noire à l’Institut français d’études anatoliennes. Représentants arméniens et turcs se côtoient déjà dans le cadre de l’Organisation de la Coopération économique de la Mer noire.»

Voilà plusieurs années déjà que des vols relient Erevan à Istanbul, même si les bus doivent encore passer par la Géorgie pour entrer en Turquie. C’est dire combien l’ouverture de la frontière entre Arménie et Turquie est attendue par les milliers d’Arméniens qui font le voyage d’Istanbul dans l’espoir d’y trouver un travail. Ce serait aussi l’assurance de nouveaux échanges économiques pour cette ancienne république soviétique devenue indépendante en 91 et toujours très sinistrée.

«Là où le bât blesse, poursuit Alexandre Toumarkine, c’est qu’il est difficile pour les Turcs d’envisager l’ouverture de la frontière et la reprise des relations diplomatiques sans l’assentiment des Azeris». Soutenue par la Turquie, l’Azerbaïdjan turcophone est en guerre avec l’Arménie, qui lui dispute l’enclave du Haut-Karabakh, où vivent plusieurs milliers d’Arméniens.

Un accord entre Ankara et Erevan risquerait d’affaiblir Bakou. D’où les déclarations récentes du Président azerbaïdjanais, Ihlam Aliev, envisageant de fermer le robinet de gaz qui approvisionne la Turquie si celle-ci ignorait les intérêts azéris. Une menace qui a agacé certains Turcs, désormais plus enclins à repenser un alignement qui n’apparait peut être pas aussi «payant» qu’il l’a été.

Autre question délicate, celle du contentieux historique entre Arméniens et Turcs. La feuille de route prévoirait la mise en place d’une commission bilatérale aux attributions assez larges. Un sous-comité serait plus spécifiquement dédié à l’histoire commune, autrement dit à la délicate question du génocide.

Ce qui conduit certains observateurs à se demander si les négociations entre Arméniens et Turcs n’ont pas avancé aussi vite parce que, au fond, la question de la reconnaissance du génocide possèderait une dynamique propre et une temporalité plus longue que celle de la seule normalisation des relations bilatérales .

swissinfo, Ariane Bonzon, Istanbul

A Erevan, seize députés du parti nationaliste Dashnak ont démissionné du Parlement en signe de protestation.

Et le génocide? Même inquiétude chez les Arméniens suisses, et dans toute la diaspora. Il ne faudrait pas, disent-ils, que la normalisation des relations entre la Turquie et l’Arménie voisine se fasse au détriment de la reconnaissance du génocide.

La Turquie refuse toujours d’admettre que ce crime contre l’humanité est bien un génocide tel que défini par le juriste Raphaël Lemkin en 1948. L’association Suisse-Arménie (ASA) invite aussi le Conseil fédéral (gouvernement), qui parle d’«événements tragiques» à reconnaitre le génocide et regrette que ce thème ait «été inclus de façon inappropriée dans ces négociations» et que «la diaspora arménienne n’ait pas été consulté sur l’argument».

Internationaliser. Pour les plus suspicieux, tel le Français Ara Toranian, «le dialogue ne vise pas tant à déboucher sur un accord qu’à servir de frein à l’internationalisation de la question arménienne et à de nouvelles reconnaissances du génocide».

Manœuvre. Selon certains arméniens suisses, Berne aurait donné sa caution à une manœuvre dilatoire.

11 millions d’Arméniens dans le monde dont:

– 3,2 millions en Arménie

– 60.000 Turcs d’origine arménienne avec 50 000 travailleurs – souvent clandestins – venant d’Arménie voisine en Turquie ;

– Diaspora: 1,1 M en Russie, 500.000 en France, 400.000 en Iran, 385.000 aux Etats-Unis,190.000 en Syrie, 140.000 au Liban, 42.000 en Allemagne.

– 5000 Arméniens en Suisse

(Chiffres Wikipédia)

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