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Un château d’eau aux mains de la collectivité

Boire de l'eau, ce geste quotidien est devenu un enjeu politique majeur. Keystone

L'eau doit rester un bien public. Delémont, chef-lieu du Jura, est la première commune de Suisse à signer une déclaration dans ce sens.

Même si la privatisation du secteur n’est pas à l’ordre du jour sur le plan fédéral, la mobilisation risque de faire tache d’huile au niveau local, en Suisse romande surtout.

«On ne va pas dire que Delémont est une commune altermondialiste, mais Delémont est une commune sensible à ses responsabilités et à la solidarité internationale», souligne Pierre Brulhart responsable du Département de l’énergie et des eaux de la ville.

C’est lui qui, après avoir assisté à une conférence de l’Association suisse pour le contrat mondial de l’eau (ACME), a convaincu ses collègues de l’Exécutif de signer la déclaration «L’eau, un bien public.» Proposée par l’ACME, elle vise à lutter contre la privatisation de l’or bleu.

En Suisse en effet, celui-ci est pour l’essentiel géré et distribué par les communes. En s’engageant, mercredi dernier, à faire en sorte que cela ne change pas sur son territoire, Delémont est devenu la première commune de Suisse à reconnaître que l’eau est un bien public.

Démarche citoyenne

Bien que n’étant pas juridiquement contraignante, la déclaration de l’ACME a cependant une portée symbolique. «C’est un engagement public, signé par le maire et la chancelière de la ville. Dans la mesure où Delémont est la première à avoir signé, sa responsabilité éthique est en jeu», estime Bernard Weissbrodt, secrétaire de l’ACME Suisse.

Créée en 2005 après le 2e Forum alternatif mondial de l’eau à Genève, l’association s’est donnée pour but de promouvoir l’idée que l’eau est un bien public et le droit à l’eau un droit humain fondamental.

Après Delémont, d’autres communes suisses suivront certainement, notamment au Tessin. Et à Yverdon-les-Bains, une pétition a été remise aux autorités afin qu’elles s’engagent à ne pas soumettre le réseau d’eau aux lois de l’économie privée.

Quant à la Suisse alémanique, Bernard Weissbrodt espère que l’ACME disposera un jour des moyens nécessaires pour y mener son travail de sensibilisation.

Reste que la problématique est loin d’y être ignorée et que plusieurs communes alémaniques font aussi partie de celles qui se sont déclarées «zone hors AGCS», du nom de l’Accord général sur le commerce des services de l’OMC qui ambitionne d’ouvrir les marchés des services.

Les Suisses contre une privatisation

«Il y a quelques années, Delémont s’était déclarée ‘zone hors AGCS’. La signature de la déclaration de l’ACME est donc cohérente en ce sens», précise Pierre Brulhart. Ceci d’autant que le canton du Jura prévoit, dans sa loi-cadre sur la gestion des eaux actuellement en projet, de reconnaître que l’eau est un «bien commun.»

«Lorsqu’on pose la question, y compris aux autorités fédérales, on nous dit toujours qu’il n’est pas question de libéraliser la distribution de l’eau. On demande à voir. Ce sont les cantons qui ont la responsabilité de la gestion des eaux. Or dans les législations cantonales, les garde-fous ne sont pas si solides que ça», avertit Bernard Weissbrodt.

Professeur de politiques publiques et durabilité à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP), Stéphane Nahrath relativise ce risque. Selon lui, l’eau «risque d’être en Suisse le lieu de résistance le plus importante en termes de libéralisation et de privatisation des services.»

Les sondages montrent en effet que les Suisses tiennent à ce que l’eau reste du domaine public, et, à cet égard, Bernard Weissbrodt ne se dit «pas inquiet». Mais il souligne la nécessité de rester «vigilant», notamment quant aux coûts induits par l’entretien des réseaux d’eau.

Seul risque: les coûts d’entretien

«La Ville de Lausanne par exemple sera confrontée rapidement à la nécessité de refaire une partie de son réseau», indique Stéphane Nahrath. A cet égard, il reconnaît qu’il s’agit de «la seule raison pour laquelle on pourrait imaginer un risque de privatisation en Suisse.»

A l’Office fédéral du développement territorial (ARE), Pietro Cattaneo salue la démarche de Delémont. «L’accès commun aux ressources de base correspond à l’esprit du développement durable», explique-t-il.

Inscrit dans la Constitution fédérale, le développement durable est actuellement pris en compte par le biais de projets spécifiques dans 143 communes de Suisse. Cela peu sembler peu, sur plus de 3000 communes suisses. Mais le chiffre est trompeur, car les communes en question sont surtout des villes, et ensemble, les 143 regroupent près de 30% de la population du pays.

Château d’eau de l’Europe, la Suisse doit rester, pour Bernard Weissbrodt, un lieu où les personnes venant de pays moins favorisés dans le domaine de l’accès à l’eau continuent à s’étonner de la qualité de celle qui sort du robinet.

swissinfo, Carole Wälti

En Suisse, la distribution de l’eau est en mains publiques.

Evalué à 30 milliards de francs, le capital de la gestion de l’eau est géré par quelque 3000 distributeurs appartenant aux communes. Mais il est susceptible d’intéresser les grandes multinationales de l’eau.

Jusqu’ici, le secteur de l’eau, contrairement par exemple à ce qui se passe dans le domaine de l’électricité, a échappé à la discussion sur la privatisation. Mais les pressions de l’UE et de l’OMC sur le Conseil fédéral (gouvernement) ont augmenté ces dernières années.

Sensibles à la problématique générale, une centaine de communes helvétiques se sont jusqu’ici déclarées «zone hors AGCS» («Accord général sur le commerce des services», négocié dans le cadre de l’OMC). Elles s’engagent ainsi contre la libéralisation des services publics.

L’eau en Suisse, c’est:

Une consommation individuelle moyenne de 160 litres d’eau potable par jour, à quoi il faut ajouter quelque 240 litres utilisés dans l’industrie et l’artisanat, ou qui s’écoulent dans la nature (fontaines ou fuites).

Un prix variant entre 50 centimes et 3,5 francs par m3 selon la complexité du traitement qu’elle doit subir.

Des besoins couverts à 83% par les eaux souterraines (sources et puits) et à 17% par les lacs.

53’000 kilomètres de conduites.

Un coût annuel d’exploitation par les services publics de 1,4 milliard de francs.

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