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Un cri de liberté plane sur le fleuve

Le projet «Over the River», voulu par Christo et Jeanne-Claude, tel qu'il pourrait se concrétiser. Wolfgang Volz

En 2012, si tout va bien, les artistes Christo et Jeanne-Claude recouvriront d'un tissu argenté les 64km du fleuve Arkansas, au Colorado.

swissinfo a rencontré récemment les artistes controversés au Musée de la Fondation de l’Hermitage à Lausanne, lors de l’inauguration d’une exposition visant à montrer l’avancement de leur projet actuel: «Over the River».

Les deux artistes excentriques âgés de 73 ans, qui ont notamment acquis leur notoriété en emballant le Reichstag à Berlin et en entourant d’un tissu rose-pétant des îles près de Miami, étaient en Suisse pour trouver un soutien à leur projet gigantesque.

«Nous avons beaucoup de bonnes relations en Suisse, car plusieurs musées suisses ainsi que des collectionneurs privés ont fait l’acquisition de nos œuvres depuis mos débuts. Sans les collectionneurs nous ne pouvons pas vivre, car si nous ne vendons pas nos œuvres, nous ne pouvons pas envisager de nouveaux projets», explique Jeanne-Claude avec ses cheveux rouges assortis à son rouge à lèvres.

Le couple d’artistes, auteurs de sculptures monumentales durant ces 40 dernières années, n’accepte pas de fonds publics, ni le soutien financier de sociétés. Leur entourage estime toutefois à $50 millions (SFr 57.9 millions) les coûts de ‘Over the River’, somme entièrement couverte par les artistes et la vente de leurs œuvres. A l’heure actuelle ils ont déjà dépensé plus de $2 millions pour ce nouveau projet, imaginé pour la première fois en voyant un morceau de tissu flotter sur la Seine alors qu’ils emballaient le Pont Neuf à Paris, en 1985.

A partir de 1992, les artistes ont cherché durant trois ans l’endroit approprié, parcourant ainsi 22’500 kilomètres dans six états et analysant 89 endroits différents pour finalement poser leur choix sur l’Arkansas. Ce fleuve est le plus réputé aux USA pour la pratique du rafting avec plus de 300’000 descentes chaque année. Les artistes ont donc dessiné un projet qui sera agréable aussi bien pour les automobilistes, les randonneurs que les kayakistes.

En utilisant des panneaux de tissus réfléchissants et translucides, le contour du fleuve sera souligné et ses méandres offriront une vue aérienne poétique de l’Arkansas. «On pourra voir depuis dessus une succession de panneaux argentés formant des vagues non-transparentes sur un océan. Et en descendant le fleuve, on lèvera la tête pour voir les nuages et la forme des montagnes au travers du tissu», explique Christo, avec son inimitable accent d’Europe de l’Est et ses épaisses lunettes.

Un projet controversé

Alors que l’office du tourisme soutient le projet, il y a une certaine résistance locale. «Toutes nos œuvres ont engendré des oppositions, dit Jeanne-Claude. En emballant le Reichstag, nous avons littéralement crucifié l’histoire allemande et avec «The Gates» à Central Park, c’est un peu comme si nous avions ajouté des moustaches sur «La Cène» de Léonard de Vinci. Car Central Park est considéré comme un chef d’œuvre de l’urbanisme.»

«Nous avons de la chance avec «Over the River» car une bonne majorité de gens est derrière nous, mais la petite minorité qui s’y oppose, fait beaucoup de bruit. Les gens n’aiment pas être dérangé dans leur quotidien, ajoute Christo, qui ressemble étrangement à Woody Allen. Ils n’aiment pas que les choses bougent et être incommodés. Une des difficultés à gérer est le grand nombre de visiteurs…nous devons restreindre notre publicité et collaborer avec les associations écologistes locales pour faciliter le trafic occasionné.»

25 ans après avoir rêvé pour la première fois du projet, ils attendent encore et toujours l’autorisation de la part du Bureau of Land Management (l’agence américaine qui gère les terrains publics) pour démarrer les travaux. Mais ce genre de délai n’a rien d’inhabituel pour Christo et Jeanne-Claude. Il aura fallu 24 ans pour réaliser le projet du Reichstag, 26 ans pour «The Gates» à New York et 32 ans pour les effrayants 178 arbres emballés à Bâle (1998).

«Ce n’est pas tant une question de patience qu’une question de passion, commente Jeanne-Claude pour expliquer leur motivation. Nous voulons faire ce que nous voulons où nous voulons, quand nous voulons et comme nous voulons – c’est un cri de liberté.»

Une œuvre irrationnelle

Bien que leur œuvre soit marquante et souvent controversée, les artistes ne revendiquent aucun sens profond derrière tout ça. Christo qualifie son œuvre «d’irrationnelle, d’irresponsable et d’inutile». Comme toutes leurs précédentes créations, «Over the River» ne sera ouverte que durant deux semaines avant d’être démontée. Il ne restera rien de l’existence brève et éphémère de cette œuvre d’art.

«La permanence est l’ennemi de la liberté, explique Christo. Nous ne sommes pas propriétaires de nos projets. Ils sont au-delà de la possession. Personne ne peut acheter, taxer ou contrôler nos œuvres. Les gens qui se déplacent pour les voir réalisent qu’ils vivent quelque chose d’unique. Et tout en vivant l’évènement physiquement, ils savent que ce n’est déjà bientôt plus qu’un souvenir, quelque chose du type «une fois dans sa vie».»

A leur retour de Suisse, le couple va s’envoler pour le Colorado afin de signer un contrat avec une société mandatée par les autorités pour analyser l’influence écologique du projet. C’est en effet la première fois aux Etats-Unis qu’une œuvre nécessite une telle procédure, habituellement réservée aux projets à grande échelle, tels les aéroports ou les plateformes de forage.

Deux périodes d’extase

Malgré le fait que la procédure pour obtenir le tampon official puisse prendre deux ans, les artistes sont confiants. En plus de 45 ans, 20 de leurs projets ont abouti tandis que 38 autres n’ont pas obtenu les autorisations nécessaires. «Mais selon les architectes, ce ratio est plutôt bon», prétend Christo.

«Pour chaque projet, il y a deux périodes d’extase et d’allégresse, dit Jeanne-Claude. Premièrement lorsque nous obtenons les autorisations et ensuite lorsque le projet est réalisé, car il est toujours un milliard de fois plus beau que dans nos rêves les plus fous.»

swissinfo, Simon Bradley à Lausanne
(Traduction de l’anglais: Philippe Varrin)

Deux. Christo (Christo Vladimirov Javacheff) et Jeanne-Claude (Jeanne-Claude Denat de Guillebon) sont un couple qui a créé durant ces 40 dernières années des œuvres d’art environnementales.

Exemples. Parmi leurs œuvres les plus célèbres figurent notamment le «Reichstag» – le parlement de Berlin (1995) , le Pont Neuf à Paris (1985), un rideau de tissu de 24 miles (38,4km) de long dans les contés de Marin et Sonoma en Californie, baptisé «Running Fence» (1976) et plus récemment «The Gates» dans Central Park à New York (2005)

Helvétie. En Suisse, ils ont emballé leur premier bâtiment, le Musée des Beaux-Arts de Berne en 1968, suivi des sols, des escaliers et des fenêtres du Musée de l’Architecture à Bâle en 1984 et les 178 arbres sur le terrain de la Fondation Beyeler et du Berower Park de Bâle en 1998.

Coïncidence. Christo et Jeanne-Claude sont tous les deux nés le même jour, le 13 juin 1935.

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