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Un G20 de plus, des opportunités en moins

Barack Obama et ses collègues ont décidé de repousser la régulation financière au sommet de Séoul en novembre. swissinfo.ch

Dimanche à Toronto, les grandes économies industrielles et émergeantes réunies en sommet du G20 ont accouché d’une souris. Le moment d’abandonner toutes illusions? L’avis des économistes Cédric Tille et Sergio Rossi.

Un sommet de transition avant celui de Séoul en novembre prochain: c’est l’avis de nombreux commentateurs après la réunion du week-end au Canada.

Que faut-il alors retenir de ce sommet?
Le dossier de la régulation financière est repoussé au sommet de Séoul (11-12 novembre), constate Cédric Tille, professeur à l’Institut de hautes études internationales et du développement à Genève.

La mise en oeuvre des nouvelles règles de réserves et liquidités imposées aux banques serait quant à elle repoussée à plusieurs années. Pas un mal en soi, car les banques restent fragiles, juge l’économiste. Mais le risque est que la «pression de l’urgence» ne disparaisse. Et que les remèdes ne dépassent pas le stade de vœux pieux.

L’autre message donné à Toronto porte sur les déficits budgétaires. Les Etats veulent stabiliser la dette en 2016. Mais ils souhaitent aussi laisser un peu de temps à la reprise économique. Une bonne approche, juge Cédric Tille. Avec une nuance: les plans de désendettement ne sont pas connus dans le détail. «L’intention est bonne, il faudra voir dans quelle mesure elle sera suivie d’effets concrets.»

Sergio Rossi, professeur à l’Université de Fribourg, a la dent plus dure. «Ils ont discuté sans rien décider sur deux enjeux décisifs: comment réformer la finance? Et comment collaborer pour s’entendre et trouver une solution commune?» Imposer par exemple une taxe sur les banques de manière dispersée, c’est prendre le risque d’une nouvelle crise à cause des détournements des flux de paiements.

La question des grandes banques qui sont trop grandes pour faire faillite (too big to fail) est une question urgente. Faut-il taxer? Ou plutôt, comme Sergio Rossi le souhaite, séparer dépôts des clients et gestion pour compte propre des banques? La question attendra, déplore ce dernier.

Le G20 veut une réduction de moitié les déficits publics d’ici trois ans
«Pas irréaliste, mais ambitieux», estime Cédric Tille à propos de ce point de consensus à Toronto. C’est possible pour les Anglais et les Américains. Ces pays ont mené une politique fortement expansionniste. «Les déficits qu’on a creusé vite, on peut, si la volonté est là, les resserrer vite aussi.» Pour les pays européens en revanche, l’Espagne par exemple, où l’économie a fortement piqué du nez, ce sera plus compliqué.

Ces pays «ne pourront et ne voudront pas mettre ces annonces en œuvres face à leur opinion publique», confirme Sergio Rossi. De toute manière, ce serait «prématuré face à la situation économique actuelle et aux prévisions qui montrent que la croissance sera faible et que la crise n’est pas surmontée.» Le risque d’une aggravation de la récession est bien réel avec de telles politiques, juge l’économiste.

Le G20 légitime la taxe sur les banques voulue en Europe
Une taxe, d’accord, mais que ferait-on de cet argent?, demande Cédric Tille. S’il s’agit de créer un fond de réserve pour permettre, le cas échéant, la reprise de banques en difficulté, pourquoi pas. Mais lever une taxe sans affectation claire n’est pas souhaitable. Et en l’état, ce que veulent Allemands, Français, Anglais, n’est pas clair.

Sergio Rossi voit dans la taxe bancaire un outil populiste, l’opinion publique étant, «peut-être à juste titre, en colère actuellement contre les banques». Mais une taxe n’empêchera pas les banques de prendre trop de risques. Elle sera répercutée sur leurs clients et induira un coup de frein à l’activité économique, via le crédit, sans effet sur le fonctionnement du système bancaire.

«Refonder le capitalisme», réformer la gouvernance globale, c’est fini?
«J’ai toujours été sceptique face à ces grands plans visant à refaire le monde. La politique économique se fait sur le terrain. On boulonne les choses et c’est toujours fait de bric et de broc», observe Cédric Tille.

En clair, l’économiste ne croyait pas aux professions de foi articulées au plus fort de la crise. L’enjeu est ailleurs, selon lui: il faut des réserves de fonds propres plus élevées pour les grandes banques et une procédure internationale pour le démantèlement d’une grande banque qui partirait en faillite.

Au plus fort de la crise, tout le monde était d’accord sur tout, aujourd’hui les dissensions apparaissent, constate aussi Cédric Tille. «Il fallait s’y attendre avec un club aussi large. (…) Avec vingt personnes, cela va tourner à la cacophonie assez rapidement. Les chefs d’Etat vont s’accorder sur les grands principes, mais les résultats concrets seront obtenus plutôt dans des enceintes comme le Conseil de stabilité financière à Bâle.»

Toronto a marqué la fin de l’unité de vue partagée par les Etats. Chacun a d’abord réfléchi selon ses intérêts, «c’est fini, déplore Sergio Rossi. Le courage politique [de réformer la finance] a disparu avec la reprise des marchés financiers et le retour aux bénéfices des banques.» Sans parler de l’action des lobbies opposés aux règles destinées à encadrer le secteur financier.

Durant cette crise, «on a manqué une occasion en or, qui se représentera dans une dizaine d’années, avec une nouvelle crise encore plus profonde et grave».

Qui sort vainqueur de ce G20?
L’Union européenne a réussi à imposer son souci des déficits et la question de la taxe sur les banques, évoquée dans le communiqué final. Sort-elle gagnante du week-end? D’abord, l’administration Obama n’a pas l’habitude de bander ses muscles, constate Cédric Tille. Ensuite, cela n’a «aucune importance. Ce qui importe, ce seront les mesures concrètes.»

«Américains et Européens ont réaffirmé leur points de vue, complète Sergio Rossi. La défaite est davantage du côté américain, qui n’a pas réussi à convaincre l’Europe de relancer la machine [économique] et de retarder la rigueur budgétaire. L’Allemagne a exercé une forte pression (…). Les pays émergeants ont, eux, fait comprendre qu’il fallait davantage compter avec eux.»

Pierre-François Besson, swissinfo.ch

Lancé en 1999 après la crise asiatique, renforcé par la crise financière et économique, le G20 est progressivement devenu le principal forum de coopération économique internationale.

Ce forum informel regroupe les pays du G8 (USA, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Italie, Canada, Russie), l’Union européenne, l’Australie et la Corée du Sud, ainsi qu’une dizaine de pays émergeants (Afrique du Sud, Arabie Saoudite, Argentine, Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Mexique, Turquie). Au total, rien moins que les neuf dixième du total des PIB de la planète.

Mais des puissances économiques comme l’Espagne, les Pays-Bas, la Belgique ou la Suisse – poids lourd dans le secteur financier – n’ont pas été retenues pour en faire partie.

Les Coréens (qui président le G20) poussent «très fortement en faveur de réformes du secteur bancaire», indique Cédric Tille. Les premiers signaux indiquent qu’ils ne vont pas chercher à réinventer la roue mais privilégier le pragmatisme.

«Les recettes sont connues – fonds propres plus importants, réserves de liquidités, démantèlement des banques globales en cas de faillite. Y parvenir sera déjà pas mal», juge l’économiste.

Sergio Rossi est, lui, «très pessimiste» avant Séoul. Les Etats ne feront que réaffirmer l’exigence de renforcer la vigilance et l’équilibre budgétaire. Guère plus.

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