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Un Golgotha sanguinolent

Le film pousse à l’extrême quelques passages de l’Evangile. Keystone

C’est aujourd'hui jeudi que débute en Suisse la projection du film controversé de Mel Gibson: «La passion du Christ».

A cette occasion, swissinfo a recueilli les réactions des Eglises catholiques et protestantes.

Ce film qui, aux Etats-Unis, a déjà battu tous les records de ventes de billets et de polémique, sort simultanément en Allemagne et en Suisse alémanique. Les autres régions linguistiques du pays devront encore patienter quelques semaines, tout comme l’Italie et la France d’ailleurs.

Mais quelles sont les attentes et les craintes en Suisse par rapport à un film qui a déjà suscité tant d’animosité? L’hebdomadaire juif Tachles a déjà publié un commentaire qui ne laisse pas de doutes: «Le film déclenche une dynamique incontrôlée à laquelle la masse des gens s’expose inconsciemment».

La discussion est directement liée aux valeurs véhiculées par l’Eglise. C’est la raison pour laquelle swissinfo s’est tourné vers Charles Martig, responsable des questions cinématographiques auprès de la Conférence suisse des évêques et auprès de Christine Starck, son homologue des services de presse des Eglises protestantes.

Tous deux regardent le film avec une certaine distance. «Cela s’insère dans une longue tradition de représentation de l’histoire sacrée, affirme Charles Martig. Mais, de Scorsese à Pasolini, les images tirées des Ecritures diffèrent beaucoup et trahissent les motivations des différents réalisateurs».

«Tradition médiévale»

«La Passion du Christ est un film profondément catholique, estime Charles Martig. Mais le réalisateur Mel Gibson est clairement lié à une secte qui se réfère à une vision théologique antérieure au Concile Vatican II».

Christine Starck est encore plus tranchée: «Je dirais certainement que les images proposées sont typiques de l’Eglise d’avant la réforme protestante.»

Cette représentation cinématographique n’est pas un sujet original. «Le film s’inspire clairement de la tradition médiévale des représentations de la Passion, même s’il les dépasse toutes par sa brutalité», affirme encore Charles Martig.

«Tout tourne autour de la souffrance et du sacrifice de la Passion, ajoute Christine Starck. A la fin, il n’y a pas un centimètre du corps du Christ qui ne soit recouvert de plaies. La souffrance atteint des niveaux inouïs; je n’ai pas réussi à tout regarder.»

Malgré cela, les deux experts reconnaissent que l’œuvre témoigne d’une profonde connaissance de l’art cinématographique. De plus, avoir choisi les langues originales – le latin pour les Romains et l’araméen pour les Juifs – incite à recréer une atmosphère mystérieuse.

Sanguinaire et antisémite

Pour les deux experts, les deux reproches principaux qui sont faits au film – sa violence et son antisémitisme – sont justifiés. «Le film est vraiment trop violent, commente Christine Starck. Tout ce sang ne correspond pas à la vision du salut du christianisme moderne. La Résurrection n’est traitée qu’en une minute à la fin du film.»

Par ailleurs, le film pousse à l’extrême quelques passages de l’Evangile (la souffrance du Christ) et en fait le message central.

L’accusation d’antisémitisme est également confirmée par les deux experts, même s’ils la relativisent. «Le problème de fond est le manque de réflexion critique par rapport à la vérité historique, note Charles Martig. On se rapporte à des visions théologiques dépassées et non pas au texte lui-même, comme le prétendent les auteurs».

Les Eglises restent muettes

Tout comme en Allemagne, ni les protestants ni les catholiques suisses ne livreront une position officielle. «C’est en effet de cela que se nourrit le succès du film», rappelle Christine Starck.

Pour sa part, Tachles ne renonce pas à une analyse des conséquences. Comme aux Etats-Unis, l’hebdomadaire juif note que le film «a brisé l’alliance apparente et opportuniste entre conservateurs juifs et chrétiens» et qu’il a influé sur le débat politique. Mais en Europe, on ne s’attend pas à ce genre de réaction.

Christine Starck retient que, tout comme pour d’autres films polémiques, «l’opinion publique en Europe réagit de manière beaucoup plus calme qu’aux Etats-Unis, où le président lui-même fait appel aux valeurs du conservatisme religieux».

Les deux spécialistes suisses ne condamnent ni ne louent le film. Mais ils s’accordent à affirmer que l’œuvre de Mel Gibson n’a pas de valeur didactique, même si, en Suisse comme aux Etats-Unis, des groupes religieux fondamentalistes sont déjà en train de louer des salles de projections pour leur propre public.

«Je conseille aux catéchistes d’être ouverts et de débattre du film avec les jeunes qui auront été le voir», déclare Christine Starck. Mais il n’est pas question de prendre une position publique, afin de ne pas faire gratuitement de la publicité à un film contenant des images fortes et des contenus douteux.

swissinfo, Daniele Papacella
(traduction: Olivier Pauchard)

Aux USA, le film a déjà rapporté 264 millions de dollars de recettes
Coûts de production: 25 millions de dollars
La somme a entièrement été avancée par Mel Gibson

– Le film de Mel Gibson, «La passion du Christ» sera projeté dès jeudi en Suisse alémanique. En Suisse romande, il faudra attendre jusqu’au 7 avril.

– L’acteur et réalisateur américain donne sa version des douze dernières heures du Christ

– Malgré les polémiques suscités par ce film, sa distribution en Europe a été facilité par le succès qu’il a rencontré aux USA.

– Ascot Elite, le plus grand distributeur suisse s’est assuré les droits pour la Suisse. Plus de soixante copies sont en circulation.

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