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Un missionnaire suisse dans la Longue Marche de Mao

Un groupe de missionnaires lors d'un séjour avec Rudolf Alfred Bosshardt à Guizhou. (National Museum China) 作者提供

Rudolf Alfred Bosshardt est l'un des rares missionnaires suisses à s'être implantés en Extrême-Orient. A un moment clef: il a été le premier Occidental à rendre compte de la Longue Marche de Mao.

Né en 1897 à Manchester de parents suisses, Rudolf Alfred Bosshardt a été l’un des très rares non-Chinois à marcher avec les soldats de Mao durant la Longue Marche (1934-1935). Pendant 560 jours, il a traversé cinq provinces avec l’Armée Rouge en lutte contre l’Armée nationale révolutionnaire du Kouo-Min-Tang.

Les archives étant rares sur son œuvre et sa vie, l’homme reste relativement inconnu. Il a fallu la curiosité de quelques historiens, il y a neuf ans, en Chine, pour lever un voile sur son histoire.

Lui-même, décédé à âge avancé, avait écrit, dès 1936, le récit de son aventure. Cela en fait le premier compte-rendu de l’événement dans la bouche d’un Occidental, une année avant le Red Star Over China d’Edgar Snow.

Le hasard des rencontres

En 1922, âgé de 24 ans, après une formation au séminaire de théologie, Rudolf Alfred Bosshardt est envoyé seul dans la province de Guizhou, l’une des plus pauvres de Chine. A l’époque, la famine y fait de nombreuses victimes. C’est là qu’il rencontre une missionnaire, Rose Piaget, elle aussi originaire de Suisse romande.

Le couple se marie en 1931. Rudolf Alfred Bosshardt est alors pasteur protestant à l’Eglise de Zhenyuan.

Trois ans plus tard arrive un jour «que je n’oublierai jamais», écrit le pasteur. Revenant d’une rencontre avec d’autres missionnaires et leurs familles, un groupe est fait prisonnier par des soldats, qui les prennent pour des espions.

Il s’agit d’une troupe armée de la sixième unité de l’Armée Rouge. Rose est relâchée assez vite mais Bosshardt et un collègue restent prisonniers.

«Qui aurait cru que cette rencontre avec l’Armée Rouge allait profondément changer mon destin de missionnaire?», écrira-t-il plus tard. S’ensuivirent 18 pénibles mois avec les soldats.

Traduire la carte en une nuit

Les soldats se perdent. Ils ne connaissent pas la région, inhospitalière, et n’ont qu’une petite carte scolaire, de 20 centimètres carrés. Mais ils font une trouvaille inespérée: dans une habitation d’étrangers abandonnée, à Jiuzhou, ils découvrent une véritable carte, d’un mètre carré de surface.

Mais elle est en français. Le commandant de la troupe, Xiao Ke, demande au «vieux Bo», comme ils appellent le pasteur, de traduire les noms en chinois.

Les deux hommes, selon le récit de Rudolf Alfred Bosshardt, travaillent toute la nuit, éclairés à la lampe à pétrole. La carte joua son rôle et permit de remporter quelques batailles contre le Kouo-Min-Tang.

Une bande inséparable

Le commandant Xiao Ke a lui aussi écrit ses mémoires. Près d’un demi-siècle plus tard, il y dit avoir beaucoup appris sur les gens de la province en parlant avec Rudolf Alfred Bosshardt. Le pasteur aurait aussi indiqué les chemins à emprunter et ceux à éviter. Une amitié se développe.

Dans ses livres, Rudolf Alfred Bosshardt racontera ses relations avec les soldats de l’Armée Rouge, les hauts et les bas, le soutien réciproque. Le missionnaire traduisait les journaux étrangers. Les discussions étaient animées.

Pour remercier les soldats, le pasteur leur tricote des pulls et des chaussettes, comme sa mère le lui avait appris. Même la fille du général He Long portera un pull tricoté par Rudolf Alfred Bosshardt!

L’Anglo-Suisse a finalement traversé cinq provinces avec l’Armée Rouge (Guizhou, Sichuan, Hubei, Hunan et Yunnan). Le 12 avril 1936, le groupe arrive à Fumin (Yunnan).

C’est là que le pasteur est libéré, très malade. Il sera fêté par un banquet organisé par Xiao Ke. Il le dédommage aussi pour ses frais de voyage.

Deux livres

Rentré en Angleterre avec Rose, pour se soigner, Rudolf Alfred Bosshardt a écrit son livre en quatre mois. The Restraining Hand (La main qui retient), est édité par la maison d’édition Hodder&Sloughton à Londres et connaît un succès immédiat.

En 1978, l’original ayant été perdu, Rudolf Alfred Bosshardt réécrit l’ouvrage avec de l’aide, sous le titre The Guiding Hand. Celui-ci fut traduit peu après en français, Conduit par sa main, chez l’éditeur Groupes Missionaires.

En 1984, lorsque l’écrivain Harrison Salisbury se rend en Chine sur les traces de la Longue Marche, le gouvernement chinois lui demande de l’aider à retrouver Rudolf Alfred Bosshardt. Devenu général, Xiao Ke s’adresse de son côté à l’ambassade française.

Les Français finirent par retrouver une parente, une certaine Madame Bigguet, en Suisse, qui rétablit le contact entre les deux hommes. Ceux-ci s’écrivirent quelques lettres.

Reconnaissance

Après des enquêtes fouillées dans les archives, le Musée national militaire chinois a récemment décidé que l’œuvre de Rudolf Alfred Bosshardt était la première monographie occidentale décrivant la Longue Marche de l’Armée Rouge.

Yu Da, swissinfo.ch
(Traduit et adapté de l’allemand par Ariane Gigon)

Rudolf Alfred Bosshardt Piaget est né en 1897 à Manchester de parents suisses.

Après avoir commencé un apprentissage d’ingénieur, refusé par l’armée anglaise pendant la Première Guerre mondiale en raison de la consonance allemande de son nom, il devient pasteur après une formation dans un séminaire et est accepté en 1920 à la Mission chinoise d’Angleterre.

Deux ans plus tard, il est envoyé à Guizhou.

C’est là qu’il rencontre sa femme, Rose Piaget (1894-1965), de la famille propriétaire des montres de la Côte-aux-Fées (Neuchâtel). Le couple, qui n’a pas eu d’enfants, passe 12 ans dans cette province.

Pendant que son mari est retenu par l’Armée Rouge, avec qui il voyage durant 18 mois à travers cinq provinces, Rose emménage à Shanghai.

Rudolf Alfred Bosshardt est libéré en avril 1936. Après s’être soigné, il va s’établir à Fumin (province de Yunnan) comme missionnaire.

En 1939, le couple retourne à Guizhou sur mandat d’un groupe de missionnaires internationaux. Ils y soignent la population et proposent une scolarité gratuite aux enfants.

Selon certaines sources, les Bosshardt Piaget ont été expulsés de Chine en 1951 et ont séjourné ensuite au Laos, notamment.

Rose décédée en 1965, Rudolf Alfred Bosshardt est revenu à Manchester en 1966.

Il est décédé en 1993 à l’âge de 96 ans. Son récit de la Longue Marche a été réédité plusieurs fois.

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