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Un peuple d’émigrants

L’histoire suisse est pleine d’exemples d’émigration, voire d’exil forcé. Mais peu de demandeurs d’asile.

Les plus célèbres sont le séparatiste jurassien Marcel Boillat et Christoph Meili, héros malgré lui de l’affaire des biens juifs en déshérence.

Aujourd’hui, la Suisse de l’extérieur, ou «Cinquième Suisse», compte quelque 600’000 expatriés (pour 7,2 millions d’habitants), dont 70% sont double nationaux.

On le sait, ce pays a une très ancienne tradition d’exil plus ou moins forcé. Dès le 15e siècle, il a exporté en masse des réfugiés économiques partis chercher fortune ou simplement pour fuir la pauvreté.

Parfois, c’était la commune qui payait un aller simple pour l’autre bout du monde pour se débarrasser de ses citoyens les plus encombrants.

Une tradition d’émigration

Des émigrants «démographiques», la Suisse en a donc vu partir des dizaines de milliers. Quant aux réfugiés politiques, c’est plus compliqué. L’histoire politique et religieuse a été marquée, ici comme ailleurs, par toutes sortes d’atteintes aux droits humains.

Les membres de certaines sectes ou minorités religieuses ont essaimé en nombre sur les terres du Nouveau Monde. Des centaines d’agglomérations états-uniennes baptisées Berne ou Lugano en témoignent aujourd’hui.

Dans la Suisse moderne d’après 1848, ce sont surtout les grands conflits qui ont provoqué des exodes. Et notamment la Deuxième Guerre mondiale.

Quant l’Etat punit

L’historien Hans-Ulrich Jost rappelle le cas célèbre de Jakob Schaffner, écrivain suisse de talent qui, après avoir choisi le camp de l’Allemagne victorieuse de la Première Guerre mondiale, est devenu nazi. Sur quoi il fut dépouillé de sa nationalité et interdit de séjour dans les années 30. Avant de mourir en 1944 dans le bombardement de Strasbourg par les Alliés.

«Il semble qu’il y ait eu d’autres cas de personnes expulsées et déchues par l’Etat, mais on n’a jamais vraiment fait de recherches là-dessus», poursuit Hans-Ulrich Jost.

Mais ce ne serait plus possible aujourd’hui. C’est l’avis de Jean-Daniel Gerber, directeur de l’Office fédéral des réfugiés (ODR).

Qui évoque les cas de ces Suissesses d’origine qui, après avoir épousé un étranger et donc perdu leur passeport à croix blanche, ont tenté à l’époque de la Deuxième Guerre mondiale de rentrer au pays, souvent sans succès.

Protestations de soixante-huitards

L’historien ajoute que, depuis les années soixante, il y a toujours eu ici et là des cas de protestataires qui voulaient rendre leur passeport pour manifester leur désaccord avec les autorités helvétiques.

«Des cas isolés dont on n’a pas beaucoup parlé dans les médias et dont on ne connaît pas grand-chose», regrette Hans-Ulrich Jost.

Du côté de l’ODR, on explique cette ignorance par le fait que ceux qui se considèrent comme victimes n’ont pas l’habitude de prendre contact avec ses services.

Mais son directeur, Jean-Daniel Gerber, est catégorique: «Je ne connais pas de cas où un Suisse aurait ‘rendu’ sa nationalité. Sur le plan juridique, c’est impossible.»

De même, à l’Office fédéral de l’immigration, de l’intégration, de l’émigration (IMES), on admet que certains cas se sont présentés, en grande majorité «des gens un peu spéciaux», sans autre commentaire.

Mario Tuor, porte-parole, ne cache pas son scepticisme à swissinfo. «On peut rendre son passeport mais pas sa nationalité.»

Deux cas célèbres

Et ce cas plus connu de l’autonomiste jurassien Marcel Boillat, qui avait défrayé la chronique. Condamné à huit ans de réclusion pour terrorisme, il s’était évadé de prison en 1967 et avait demandé l’asile politique à l’Espagne. Il y était resté vingt ans, jusqu’à son grand retour en 1987.

Et puis Christoph Meili, le gardien de l’UBS qui avait accusé la banque d’avoir détruit des documents pendant l’affaire des biens juifs en déshérence de la Deuxième Guerre mondiale.

Parti aux Etats-Unis chercher protection auprès du sénateur Alfons D’Amato, il a demandé et obtenu l’asile politique en 1997. Il s’y trouve encore.

Mais ni Marcel Boillat, ni Christoph Meili n’ont perdu leur nationalité suisse. Pour des raisons constitutionnelles, il est donc impossible de renoncer à sa nationalité si l’on n’est pas binational.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

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