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Un siècle de peinture vaudoise

'Nu à la vague' (1924) de Rodolphe-Théophile Bosshard (1889-1960). Collection privée

Félix Vallotton, François Bocion, Eugène Burnand... ils sont tous là. Ou presque. L'écrivain et ancien éditeur Rolf Kesselring, qui a une relation contrastée au canton de Vaud, s'est penché sur l'ouvrage que Christophe Flubacher consacre aux peintres vaudois.

C’est un très vieux couple et on le connaît bien. Respectivement, on les appelle «amour» et «haine». Quand je songe à ce canton de Vaud, c’est exactement ce que je ressens à l’égard de cette terre en lacs et montagnes.

Bien que né en Valais, le canton de Vaud m’a avalé très jeune, de la Place du Marché d’Aigle à celle de l’Ours à Lausanne, en passant par Chavornay, Treytorrens-près-Payerne ou Combrement-le-Petit.

Vu d’en haut

Maintenant que revenu de partout, je hante un véritable et majestueux balcon sur le Jura, adossé à la frontière française, je retrouve encore une fois, comme une fatalité inévitable, ce Pays de Vaud réputé «si beau».

Par temps de soleil, je l’observe presque dans son entier. Je l’ai pratiquement sous la main ou plutôt sous le regard. Vu de chez moi il m’apparaît serein, calme, nimbé de brumes filasses aux teintes éphémères. Un vrai régal.

Quelquefois, des bouffées d’émotions, amoureuses presque, me submergent comme une marée heureuse quand je me promène dans cette campagne pentue qui le domine et que je me laisse aller à l’admirer. Ce qui me surprend, c’est que, dans le même temps, un sentiment de répulsion, de méfiance diffuse, de rejet dégoûté, creuse ma poitrine.

Ma déchirure

Ce fut à cause de cette dualité émotionnelle, qui me déchire depuis mon enfance, que parmi les ouvrages qui s’étalaient devant moi, j’ai ouvert ce «Les Peintres vaudois (1850 -1950)» de Christophe Flubacher (Éditions Favre).

Dès le rabat de la jaquette recouvrant le volume, j’eus la surprise de découvrir, chez le même éditeur, toute une liste de titres sur la peinture: de Leonor Fini à Toulouse-Lautrec en passant par François Bocion, Steinlein et les peintres en Valais.

Mis en appétit, j’ai feuilleté ces «Peintres vaudois» avec une curiosité toute béotienne. Bien sûr je connaissais relativement bien – du moins je le croyais – l’œuvre des principaux artistes de ce canton. Jusque-là, je les avais rangés au rayon des «peintres romands». Jamais je ne m’étais dit qu’ils étaient «vaudois».

Les Félix Vallotton, François Bocion, l’inévitable Eugène Burnand ou l’obsédant Marius Borgeaud étaient ceux dont j’avais suivi le parcours avec le plus de curiosité et de constance. Et dire que j’étais passé à côté de tant d’autres sans m’en rendre compte !…

Une festin pour l’œil

Le Léman, les Alpes tout autour comme un mur de protection, et cette mer de collines qui roule du sud au nord un raz-de-marée pétrifié, tout dans cette parcelle de la Suisse portait les peintres en question à voir et réfléchir ces paysages au travers du prisme de leur imagination colorée.

Économie de l’esprit ou de la matière, en découvrant une «Vue de Chexbres» dès l’introduction, c’est une ambiance que ressent le lecteur. Il s’agit d’une huile sur bois de Félix Valloton. Peinte en 1892, elle appartient à une collection privée. Je ne l’avais jamais vue. Quelle finesse d’application! Quelle lumière étrange et subtile! Quelle maîtrise de la technique et de l’observation.

Les pages défilent et se marient en un assemblage apparemment disparate dans la représentation et la technique. Couleurs très présentes, presque violentes, chez Ferdinand Hodler (qui lui n’est pas vaudois, ndlr) ou figuration poétique réaliste chez Alfred Chavannes, le grand lac est au centre de leurs regards multiples.

Mille fois figurée, cette étendue d’eau paraît être un trait commun, un lien fascinant, qui existent entre tous ces artistes. Les paysages champêtres et les scènes agrestes, souvent naïves, en font aussi partie. Il s’agit d’une parenté diffuse, ornée par les différentes sensibilités, qui apparaît peu à peu au fil de la découverte des reproductions contenues dans cet ouvrage révélateur et captivant.

Les exilés

Les artistes ne connaissent pas de patrie! Ils appartiennent au monde et à l’univers dans son entier, dans sa vastitude… Ceux qui ont quitté leur région d’origine ou d’adoption en témoignent. Malgré leurs départs, leurs voyages, leurs exils, une empreinte commune perle encore de toutes leurs œuvres, pourtant exécutées loin du canton de Vaud, hors de cette terre romande. Tout se passe comme si leur région sublimait leur art dès qu’ils s’en étaient éloignés.

Les Steinlein, les Grasset, les Borgeaud, émigrés volontairement à Paris ou dans le Midi, ou les Louis Soutter et Aloïse, déportés de ce qu’on appelle la «normalité» garderont cette attache troublante avec leurs régions respectives. En ce qui concerne les premiers, il n’est que de voir leurs œuvres commises par monts et par vaux pour comprendre cette influence diffuse. Pour les derniers, on ne peut que constater le même attachement inévitable. À ce dernier sujet, il faut absolument lire les différents et nombreux écrits de Michel Thévoz.

… et tout est dépeuplé

«Un seul être vous manque…» dit l’adage. À ce propos, il faut que je vous raconte une histoire véridique qui appartient à mon enfance: cela se passait au Café du Marché à Aigle. Je devais avoir 6 ou 7 ans.

Cet établissement appartenait à celui qui se disait mon «grand-père». Cet homme exceptionnel auquel je dois bien des leçons de choses, était aussi un ami des artistes de sa région. Très souvent, dans la salle à manger je voyais s’attabler des personnages qui venaient manger et boire dans des repas qui m’apparaissaient, à l’enfant curieux que j’étais, comme des fêtes étranges, hantées par des figures insolites et énigmatiques.

Il y avait Alphonse Mex l’écrivain, Tom Pouce le magicien, un personnage qui embaumait la pièce d’une odeur méphistophélique, il était le producteur d’un apéritif odorant qui avait un diable pour publicité. Épisodiquement une grande ombre à la figure cernée de barbe, agitant une vaste cape sombre qui me donnait l’impression qu’il volait dans les airs se joignait aux convives.

Toujours coiffé d’un grand feutre à la bergamasque qui assombrissait son regard, il m’inquiétait. Ce chapeau m’impressionnait particulièrement parce que, dans le bandeau qui cernait ce couvre-chef, je voyais des fleurs de montagne, des insectes épinglés, des médailles rutilantes et même, une fois un gros lézard de vigne. Le malheureux reptile était coincé entre le feutre et le bandeau. Ce qui m’avait horrifié, c’était que le lézard était vivant! Je voyais palpiter ses flancs. Hallucination d’un petit garçon émotif? Pas sûr.

Cet homme s’appelait Frédéric Rouge. Il était artiste peintre. Et je ne comprends pas pourquoi il n’est pas représenté dans cet ouvrage sur les peintres vaudois.

Mais comme dit plus haut : un seul être vous manque et tout est véritablement dépeuplé…

swissinfo, Rolf Kesselring

«Les peintres vaudois (1850-1950)», par Christophe Flubacher, Éditions Favre

22,5 x 28 cm, 240 pages.

Plus de cent vingt reproductions en couleurs de tableaux clés représentant un panorama de la peinture vaudoise de 1850 à 1950.

Géographie. Quatrième plus grand canton en superficie, Vaud est le plus grand et le plus peuplé des cantons francophones (650’000 habitants). Il s’étend des Alpes au Jura et ses frontières sur le Plateau vont du Lac Léman à ceux de Neuchâtel et de Morat.

Histoire. Vaud faisait originellement partie des terres de Savoie. Sous le règne de Berne, dès 1536, Vaud adopte la Réforme et devient une terre d’accueil pour de nombreux protestants fuyant leur pays, notamment les Huguenots français. Le canton obtient son indépendance le 24 janvier 1789 sous l’impulsion de Napoléon et adhère à la Confédération suisse le 14 avril 1803.

Politique. A l’instar des autres cantons, Vaud jouit d’une grande autonomie et conserve la majeure partie du pouvoir politique et administratif sur son territoire. Le gouvernement, composé de 7 conseillers d’Etat, est actuellement sous la présidence du radical Pascal Broulis (droite).

International. Capitale du canton, Lausanne est également la capitale de l’olympisme. Elle accueille le siège du Comité olympique international (CIO), 23 fédérations sportives internationales et 20 organismes internationaux liés au sport.

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