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Un Suisse signe une comédie controversée sur Hitler

Helge Schneider campe un Hitler ridicule. (Eos Entertainment) Helge Schneider as Hitler (Eos Entertainment)

Le réalisateur bâlois Dani Levy s'attend à un «raz-de-marée de critiques» à propos de son dernier film, «Mein Führer», la première comédie allemande sur Adolf Hitler.

Les critiques sont en effet plutôt négatives en Allemagne. En Suisse, le film sort jeudi.

Le film de Dani Levy s’aventure sur un terrain interdit d’accès jusqu’ici. Il fait le portrait d’Adolf Hitler en despote démoralisé, toxicodépendant, impuissant et incontinent.

On y voit le Führer jouer dans son bain à la bataille navale avec un bateau miniature, habiller son chien avec un uniforme nazi et apprendre à jouer la comédie avec un professeur juif sorti pour l’occasion d’un camp de concentration.

«Je suis bien conscient que nous sommes dans une serre construite sur un charnier», déclare le réalisateur bâlois, âgé de 49 ans, qui vit depuis plusieurs années à Berlin. C’est du reste dans la capitale allemande que le film a été tourné.

Les premières réactions suggèrent pourtant que le Bâlois, lui-même juif, a malheureusement eu peur que trop de rires ne fassent voler en éclats les fenêtres de la serre…

La comédie plutôt que le réalisme

«Mein Führer» («Mon Führer») survient deux ans après un autre film très débattu, «Der Untergang» («La Chute»), nominé aux Oscars, qui avait fait polémique en montrant Hitler d’un point de vue allemand, pendant les derniers jours de la guerre. L’acteur suisse Bruno Ganz campait le dictateur en lui donnant une touche d’humanité qui en a dérangé plus d’un.

Dani Levy n’aime pas «La Chute» et d’autres portraits récents de l’époque nazie, estimant qu’ils visent à mettre Hitler sur un piédestal. Son film à lui, dit-il, est «quelque chose de petit, de vif, d’insolent et de politiquement incorrect.»

«Je ne veux pas donner à cette épave psychologique et cynique d’être humain qu’était Hitler l’honneur d’un portrait réaliste», affirme Dani Levy. «J’avais le sentiment que je devais utiliser un autre genre, faire un portrait en ayant la possibilité de l’exagération, grâce à la comédie.»

Inimaginable il y a dix ans

Le film commence en décembre 1944, dans Berlin en ruines. Hitler est trop déprimé pour tenir le discours réunificateur que la population attend. Son ministre de la propagande, Joseph Goebbels, pense trouver la solution en la personne d’Adolf Grünbaum, un acteur juif (personnage de fiction) détenu dans un camp de concentration et ayant coaché Hitler au début de sa carrière.

Grünbaum tente d’abord de détourner la mission en essayant de tuer Hitler, mais il échoue. Il se rabat alors sur l’humiliation, intimant à Hitler l’ordre de faire des exercices tels que marcher à quatre pattes et aboyer comme un chien.

Une telle satire était tout simplement inimaginable il y a dix ans, explique Paul Nolte, professeur d’histoire contemporaine à l’Université libre de Berlin.

Le fait que la génération ayant vécu le nazisme ait bientôt disparu – plus de 80% des Allemands vivant aujourd’hui sont nés après 1941 – permet une vision plus détachée du passé.

Réécriture

Pourtant, selon un sondage, seuls 35% des Allemands approuvent l’idée de tourner une comédie sur Hitler. Dans l’ancienne Allemagne de l’Est, ce pourcentage tombe même à 22%.

Dani Levy explique de son côté qu’il a longtemps ressenti le besoin de s’expliquer à lui-même comment les Allemands avaient pu suivre Hitler. Pour lui, réaliser ce film a été un sorte de «cri primal».

Il se heurte néanmoins à de nombreux commentateurs, qui avaient mis en garde contre une banalisation de l’époque nazie. «Il y a peut-être une dimension libératrice dans le fait d’être capable de voir le côté comique d’Hitler. Après tout, c’était un homme risible», estime ainsi Ralf Fücks de la Fondation Heinrich Böll.

«Mais il s’agit aussi de ne pas oublier que cet homme risible est responsable d’une guerre mondiale et de l’assassinat de six millions de juifs», ajoute-t-il.

Idée première abandonnée

Manifestement, les Allemands ne l’ont pas oublié. Lors des audiences tests, les spectateurs ont été outrés par l’idée première de Dani Levy de montrer un Hitler toujours vivant, considérant sa vie et dissertant sur un ton amusé, en voix off.

Le réalisateur est revenu sur son idée et a réécrit le scénario pour mettre Grünbaum, désespéré et terrifié, au centre de son histoire, donnant ainsi un contrepoids à la comédie. Mais, pour certains critiques, le ton devient dès lors trop tragique.

L’acteur jouant Hitler, le musicien et comédien allemand Helge Schneider, a révélé être déçu par le montage final de Dani Levy, qu’il a décrit comme «assez monotone».

Le film aura en tout cas réussi à susciter une nouvelle phase dans l’introspection allemande. Dani Levy est optimiste: son film trouvera un public à l’étranger, affirme-t-il. Que des non-Allemands trouvent irrésistiblement drôle de voir Hitler jouer dans son bain avec un bateau miniature reste toutefois à démontrer.

swissinfo, Thomas Stephens
(Traduction et adaptation de l’allemand: Ariane Gigon Bormann)

Quelques titres de films incontournables – quoique tous dans des registres fort différents – sur Hitler et l’époque nazie:

The Great Dictator (1940), de Charlie Chaplin

To Be or Not To Be (1942), d’Ernst Lubitsch

The Producers (1968), Mel Brooks

Das Boot (The Boat) (1981), Wolfgang Petersen

Shoah (1985), Claude Lanzmann

La Vita è Bella (1997), Roberto Benigni

Der Untergang (La Chute) (2004), Oliver Hirschbiegel

Dani Levy est né le 17 novembre 1957 à Bâle.
Réalisateur, metteur en scène de théâtre, acteur, il compte à son actif «Du mich auch», «RobbyKallePaul», «I Was on Mars», «Meschugge» et «I’m the Father», notamment.
Son plus grand succès jusqu’ici a été «Alles auf Zucker!» («Monsieur Zucker joue son va-tout», 2004), une comédie sur un vieux juif de l’ancienne Allemagne de l’Est qui doit se réconcilier avec son frère orthodoxe pour avoir sa part d’héritage.
Dani Levy est co-fondateur de la compagnie allemande Company X Filme Creative Pool. «Mein Führer… » est sorti en Allemagne le 11 janvier et sortira en Suisse alémanique le 18 janvier.

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