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Un WEF divisé par les nouvelles réalités globales

Les anti-WEF ont manifesté samedi à Davos. Keystone

Les événements dramatiques qui ont secoué la Tunisie et l’Egypte ont suscité des sentiments mitigés lors de cette 41e édition du Forum économique mondial à Davos. Certains espèrent voir les régimes autocratique transformés en démocraties stables, d’autres craignent un chaos généralisé au Proche-Orient.

Parmi les nouvelles réalités, la réponse apportée par la Russie à l’attentat-suicide de Moscou a laissé songeurs certains observateurs. Après avoir licencié les responsables de la sécurité de l’aéroport et menacé d’éradiquer les groupes terroristes, le président russe Dimitri Medvedev s’est résolument envolé pour Davos afin de prononcé son discours d’ouverture comme prévu, laissant entendre qu’il en faudrait plus pour lui faire modifier son agenda.

En même temps, la Russie a annoncé un projet de station de ski de plusieurs milliards de dollars dans le Caucase ravagé par la guerre, dans l’espoir que le tourisme contribuera à mater le terrorisme.

Décideurs politiques, économiques, représentants religieux et de la société civile, ainsi que des médias et des milieux scientifiques, tout ce grand monde réuni à Davos s’est également montré divisé pour savoir si le nouvel ordre économique va favoriser ou freiner le développement global.

L’état d’esprit de cette rencontre annuelle affichait un optimisme prudent contrastant avec les peurs et les incertitudes de 2009. Cette année, les discussions ont été dominées par le problème posé par la croissance à deux vitesses entre pays émergents et pays en développement et le risque protectionnisme qui pourrait en être la conséquence.

Croissance inégale

La croissance soutenue enregistrée en Chine, en Inde, au Brésil ou ailleurs a permis à l’économie globale de sortir de la récession, selon certains. Mais tout le monde s’est mis d’accord sur le fait que l’investissement et l’innovation vont continuer à se déplacer de l’Ouest vers l’Est et le Sud.

Par contre, les participants se sont montrés divisés quant aux conséquences de cette vaste mutation économique et, inévitablement, politique. Ainsi, l’économiste américain Nouriel Roubini a résumé la situation en parlant de «verre à moitié plein, mais aussi à moitié vide». Il a relevé l’inégalité de la l’évolution économique en rappelant que la croissance de 10% enregistrée par la Chine est égale au taux de chômage aux Etats-Unis.

Le président français Nicolas Sarkozy a affirmé qu’il ne laisserait jamais tomber l’euro alors que la chancelière allemande Angela Merkel a annoncé de nouvelles mesures pour venir en aide aux pays membres de l’UE perclus de dettes. Mais aucun n’a véritablement réussi à dissiper les doutes émis à Davos sur le succès de ces options.

Tim Geithner, secrétaire américain au Trésor, s’est montré évasif à propos de l’augmentation du déficit budgétaire dans son pays, qui devrait frôler 1,5 milliard de milliards de dollars d’ici à la fin de l’année. Sa défense du projet de poursuivre les investissements sans hausse d’impôts annoncé par le président Barack Obama dans son discours sur l’état de l’Union a également fait froncer quelques sourcils.

Le vent en poupe

Par ailleurs, on relèvera que la Chine et la Russie ont renforcé leur délégation à Davos: de trois personnes en 2001à 66 cette année pour ce qui est de la Chine. Le dynamisme des économies émergentes a clairement le vent en poupe à Davos et la Chine a saisi l’occasion d’ouvrir des négociations formelles pour la conclusion d’un accord de libre-échange avec la Suisse.

Un certain nombre des 2500 délégués ont débattu de thèmes tels que l’environnement, la santé et la pauvreté, ainsi que l’égalité des sexes et l’aide humanitaire.

Mais, de manière générale, les discussions de cette cuvée 2011 du WEF auront surtout été dominées par les troubles politiques d’Afrique du Nord, l’état de l’économie mondiale, la dette des Etats et les monnaies.

Thèmes sociaux à la trappe

Davos valait-il le voyage pour qui ne s’intéresse pas à ces thèmes? Bill Gates a estimé que oui, en annonçant un nouveau projet d’éradication de la polio dans le monde.

Bill Clinton également, qui a rappelé l’urgence de poursuivre la reconstruction d’Haïti. Quant à la star de rock Bono, elle a profité d’être en scène pour implorer les gouvernements d’éviter que les réductions budgétaires touchent l’aide à l’enfance. Et de rappeler que des milliers de vies ont déjà pu être sauvées en partie grâce au fait que le WEF a permis de réunir les bonnes personnes au bon moment, selon ses termes.

Ce rassemblement de tant de personnalités influentes et d’experts du monde entier a aussi été l’occasion de faire du lobbying, de négocier et de conclure des accords qui n’auront pas profité qu’aux acteurs de la finance.

Certes, le monde bancaire a effectué un retour en force, cette année à Davos, mais ses tentatives de redresser la tête trop haut, après la crise financière, n’ont pas été bien reçues.

Une ombre au tableau

Mais les débats et les réceptions ont été assombris par la situation en Egypte et les craintes que les troubles et les revendications de changement ne s’étendent à la Jordanie et à la Syrie.

Philip Jennings, secrétaire-général du grand syndicat international UNI – Global Union, s’est demandé si les événements d’Afrique du Nord pourraient s’avérer l’équivalent de la chute du mur de Berlin pour la région et le Proche-Orient.

De nombreux participants n’ont pas souhaité se mouiller sur ce sujet. Peut-être ont-ils été simplement pris au dépourvu par la rapidité des événements, mais Salil Shetti, secrétaire général d’Amnesty International, a estimé qu’ils protégeaient plutôt leurs arrières.

«Ici, beaucoup de monde a des intérêts commerciaux en Egypte et ils attendent de voir comment les choses vont tourner, a déclaré Salil Shetti à swissinfo.ch. Mais les pays arabes ont beaucoup d’argent, et si les troubles s’étendent, ils devront se montrer réalistes.»

Samedi, une manifestation anti-WEF a réuni quelque 120 personnes, répondant à l’appel des Verts de Davos et des Jeunes socialistes grisons.

Certains d’entre eux ont lancé des projectiles contre l’hôtel de luxe Flüela, mais les actes de vandalisme sont restés minimes.

La police a utilisé des balles en caoutchouc et des canons à eau pour disperser les manifestants, faisant au moins un blessé léger.

Le maire de Davos Hans Peter Michel a déclaré qu’il avait failli être touché par une balle en caoutchouc et a été aspergé d’eau.

Avant cela, le calme a régné à Davos et les autorités ont tiré un bilan «généralement positif».

L’armée a déployé 4000 hommes et le coût de l’opération se monte à 1,5 million de francs.

De son côté, l’armée de l’air autrichienne a intercepté vendredi un avion allemand qui a violé la fermeture de l’espace aérien. Le fautif risque une lourde peine administrative.

Le World Economic Forum a été fondé par Klaus Schwab sous le nom de Management Symposium à Davos en 1971.

Son but était de mettre en relation les leaders européens du monde des affaires avec leurs homologues des Etats-Unis pour stimuler leurs échanges et résoudre certains problèmes.

Le WEF est une organisation sans but lucratif basée à Genève, financée par différentes formes de contributions de ses membres.

   

Davos a attiré au fil des ans les grands noms du monde des affaires, de l’université, de la politique et du show business. Entre autres exemples: Nelson Mandela, Bill Clinton, Tony Blair, Bono, Angela Merkel, Bill Gates et Sharon Stone.

L’édition 2011 de la réunion annuelle s’est déroulée du 26 au 30 janvier, avec au rendez-vous 2500 délégués de 90 pays.

(Traduction de l’anglais: Isabelle Eichenberger)

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