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Une armée à 100’000 hommes, mais pour quoi faire?

L'armée suisse comptera encore 100'000 soldats à l'avenir, au grand dam de la gauche. Keystone

En se prononçant pour une troupe à 100'000 hommes et l’achat de 22 nouveaux avions de combat, la majorité de droite du Parlement a fait un beau cadeau à l’armée suisse et à son ministre de tutelle. Mais sa mission reste toujours floue, critique la presse suisse.

Tout comme la Chambre haute du parlement avant elle, la Chambre basse (Conseil national) s’est prononcée mercredi en faveur d’une armée réduite à 100’000 hommes et pour l’achat de 22 nouveaux avions de combat. Une décision qui fera passer le budget de l’armée suisse de 4,1 à 5 milliards de francs par année dès 2013. Exit donc la proposition du Conseil fédéral, défendue du bout des lèvres par le ministre de la Défense Ueli Maurer, et qui visait une armée à 80’000 hommes pour un coût annuel de 4,4 milliards de francs.

La presse suisse de jeudi est quasi unanime à dénoncer ce cadeau fait à l’armée et à son ministre de la Défense Ueli Maurer, qui n’en demandait pas tant. «La décision est irresponsable, car elle coûte énormément d’argent à l’Etat», écrit ainsi l’éditorialiste du Tages Anzeiger et du Bund. «Le Parlement est d’humeur dispendieuse», complète la Neue Zürcher Zeitung.  

C’est finalement la majorité de droite qui a su imposer ses vues, réussissant le tour de force de faire passer l’achat de 22 nouveaux avions de combat dans le budget ordinaire de la Confédération. Et s’évitant ainsi le risque d’un éventuel référendum, suscitant l’ire des parlementaires de gauche.

Le poids des élections

Le front entre la gauche et la droite a été extrêmement marqué au cours des débats. Les éditorialistes y voient évidemment le poids des prochaines élections fédérales. D’où une certaine incompréhension quant au calendrier choisi. «Dans les pas perdus du Palais fédéral, tous les parlementaires en convenaient: un débat sur un sujet aussi affectif que l’armée à quelques semaines des élections fédérales n’est pas chose raisonnable», écrit le correspondant de 24 heures. Et de décrire un président du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit), Christophe Darbellay, hors de lui, et ne sachant plus à quel saint se vouer pour tenter d’amener de la cohérence dans les votes de son groupe.

«La campagne électorale donne des ailes à la droite bourgeoise», écrit pour sa part Le Nouvelliste du Valais, soulignant que «pour le ministre de la Défense, Ueli Maurer, Noël tombe cette année en septembre.»

Dans ce concert de réprobations à l’égard du Parlement, l’éditorialiste de la Basler Zeitung prend le contre-pied et salue la décision du Conseil national, «qui a, par sa décision, envoyé un signal fort: la volonté de mettre à disposition de l’armée tous les moyens nécessaires à l’accomplissement de sa mission».

«Quelle était la question?»

Le problème, soulignent la plupart des gazettes de ce jeudi, c’est l’inconnue qui entoure toujours cette mission. «Que voilà un bien beau débat! Il n’aura pas dit grand-chose du fond: à quelles menaces doit-on se préparer, avec quels outils et dans quel délai? Que pourra faire cette armée de 100’000 hommes à qui l’on n’indique ni cap ni direction et encore moins d’ennemis? Sous les drapeaux, les soldats dépriment, nous dit-on, inquiets de ne servir à rien ni à personne. Nous avons enfin les réponses militaires. Mais quelle était donc la question?», s’interroge la Tribune de Genève.

Même son de cloche dans le Tages Anzeiger: «Ce choix a été pris sans qu’une discussion fondée sur le futur rôle de notre armée n’ait été éclairci». La NZZ rappelle que le Conseil fédéral (gouvernement) avait déjà connu des difficultés lors de la formulation d’un nouveau rapport de sécurité. Et maintenant, c’est le Parlement qui y est confronté.

La générosité du Parlement envers l’armée ne répond à aucune des grandes questions que se pose le pays sur sa sécurité, ajoute le Temps. «Avec Ueli Maurer, on n’a rien vu. Pas d’adéquation entre les nouvelles menaces, le terrorisme, les cyberattaques, les menaces économiques ou contre les infrastructures, et la réponse militaire ou civile à y apporter.(…) On n’a surtout rien vu de la facture.»

La Confédération devra en effet trouver 600 millions par année pour répondre au vœu des parlementaires. Mais pour cela, il faudra couper dans les transports, la formation et la recherche, l’agriculture, avertit le quotidien genevois. Et de tout cela, il n’a pas été question dans les débats parlementaires de mercredi. L’épineuse question sera tranchée après les élections fédérales du 23 octobre.

Durant la Guerre froide, les forces armées absorbaient jusqu’à un tiers du budget fédéral. Avec 700’000 soldats actifs, dont plus de 150’000 officiers et sous-officiers, la petite Suisse neutre disposait de l’une des plus grandes armées de tout le continent européen.
 
Le 26 novembre 1989, quelques jours après la chute du Mur de Berlin, une initiative populaire demandant la suppression de l’armée fut approuvée par un tiers de la population. Un véritable choc pour la classe dirigeante qui a alors lancé une discussion de fond sur la politique de défense nationale en ouvrant un chantier devenu interminable au Parlement.
 
Le premier grand projet de réforme, Armée 95, a ramené les effectifs à 400’000 hommes dans la seconde partie des années 1990.
 
Avec la réforme Armée XXI, entrée en vigueur en 2004, ce nombre est tombé à 120’000 soldats d’active et 80’000 réservistes, alors que le budget a été fortement réduit jusqu’à ne représenter que moins du dixième des dépenses de l’Etat.
 
Actuellement, la Confédération dépense environ 4,1 milliards de francs pour la politique de sécurité, dont 3,7 milliards pour l’équipement et l’infrastructure.

Le gouvernement avait l’intention de réduire encore les effectifs à 80’000 soldats actifs, mais le parlement en a finalement décidé autrement. L’armée passera à 100’000 soldats d’ici 2013 et l’achat de nouveaux avions de combat sera inclus dans le budget ordinaire de l’armée, qui grimpera ainsi à 5 milliards de francs.

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