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Une bataille des journaux gratuits en vue

A l'instar de son grand frère orange, Le Matin Bleu proposera de l'actualité, du sport et du people. Keystone

Le Matin Bleu, le gratuit du vaudois Edipresse, débarquera dès la fin de l'année en Suisse romande. Mais le zurichois Tamedia pourrait passer à l'offensive.

Editeur du gratuit 20 Minuten – le quotidien le plus lu de Suisse – le groupe alémanique n’exclut pas de lancer son gratuit en Romandie.

«Nous sommes toujours en mesure de lancer seuls un gratuit en Suisse romande», avertit Eta Pavlovic, porte-parole de l’éditeur zurichois Tamedia. «Nos études, dit-elle, ont montré que le marché romand était attractif pour ce genre de publication.»

Tamedia doit annoncer cet automne sa décision de lancer ou non un gratuit en Suisse romande. Une éventualité que le secrétaire général de Presse romande, qui réunit les éditeurs de la Suisse francophone, juge très probable. Ce qui amène Alfred Haas à pronostiquer une rude concurrence entre les deux nouveaux titres.

Un temps envisagée, la collaboration entre les deux groupes de presse semble donc avoir fait long feu.

En effet, dans un premier temps, Tamedia, qui édite notamment le Tages-Anzeiger et 20 Minuten, avait lancé l’offensive en annonçant son intention de lancer un gratuit sur le marché romand, seul ou en collaboration avec les éditeurs de la région.

«Des discussions ont eu lieu, rappelle Théo Bouchat, responsable du projet de quotidien gratuit chez Edipresse. Mais nous sommes arrivés à la conclusion que nous étions parfaitement en mesure de faire ce journal gratuit nous-mêmes, sans partager avec Tamedia.»

Bleu comme une orange

Baptisé Le Matin Bleu, ce nouveau quotidien est censé compléter l’offre du Matin qui, avec un tirage de 350’000 exemplaires, est aujourd’hui déjà le journal le plus lu de Suisse romande.

En cumulant leurs forces, les deux titres ambitionnent d’offrir la meilleure plateforme publicitaire de Suisse romande, avec un lectorat total de 450’000 personnes.

Donner à son quotidien gratuit le même nom que son titre phare permet en effet à Edipresse de lui faire bénéficier de sa renommée. «Le Matin est une marque forte», explique Théo Bouchat, qui est également directeur de ce quotidien.

Edipresse estime donc qu’il est plus facile de décliner le gratuit en Matin Bleu que de lancer une nouvelle marque inconnue des annonceurs et du public.

Du point de vue du contenu, les deux journaux seront très distincts, selon Théo Bouchat. A l’instar de son grand frère de couleur orange, Le Matin Bleu proposera des actualités, des sports et du people.

Mais le journal gratuit aura davantage recours aux dépêches d’agences et proposera moins d’enquêtes, de papiers originaux et de scoop, toujours selon Théo Bouchat. Et le responsable de lâcher: «Le Matin Bleu donnera un avant-goût du Matin orange.»

Théo Bouchat ne craint donc pas que les lecteurs du Matin délaissent l’orange au profit du bleu. «Le Matin perdra de toute manière des plumes face à un quotidien gratuit, quel que soit son nom», relève le cadre d’Edipresse. Le but est de conquérir de nouveaux lecteurs et d’étendre le marché global, même si cela se solde par une légère érosion des ventes.

Pour les jeunes actifs urbains

A l’instar des autres gratuits, Le Matin Bleu vise en effet un public qui ne lit plus guère la presse quotidienne, à savoir les jeunes actifs urbains.

En d’autres termes, le monde des médias évolue – comme le reste de l’économie – vers une segmentation du marché. La consommation de masse fait place à des envies d’achat déterminées par l’âge, la profession et les appartenances socioculturelles.

Or, le marché publicitaire qui nourrit la presse cherche aussi à coller à cette évolution. «Les campagnes de pub essaient de plus en plus de cibler un public et d’éviter la dispersion», estime Théo Bouchat.

Reste que cette évolution soulève quelques craintes dans les autres titres de Suisse romande, à l’instar du rédacteur en chef de la Tribune de Genève. Comme il l’a déclaré sur les ondes de la Radio suisse romande, Dominique von Burg estime que l’arrivée d’un journal gratuit risque de cannibaliser les ressources existantes des journaux payants.

Menace sur les quotidiens régionaux

Si le groupe Tamedia se lance également dans la bataille, certains des titres existants pourraient même en faire les frais, suite à une baisse conséquente des revenus publicitaires.

C’est le point de vue du co-directeur de l’institut de sondage Erasm. «L’arrivée d’un gratuit menace à priori les quotidiens régionaux», estime Christophe Zimmermann.

Avant d’ajouter: «Mais en reprenant la marque Le Matin pour son gratuit, Edipresse risque de dévaloriser le titre en question.»

On peut dès lors se demander si la solution adoptée par l’éditeur romand ne vise pas également à protéger ses quotidiens régionaux en sacrifiant à terme Le Matin. C’est en tout cas ce que dit Alfred Haas.

Dans une interview au quotidien 24Heures, le secrétaire général de la Presse Romande souligne qu’«il est possible que le bleu tire une balle dans le pied de l’orange, car le marché publicitaire n’est pas extensible».

Mutation des médias

Une chose est sûre. L’émergence des gratuits – en Suisse comme dans le reste du monde – est le signe le plus éclatant de la révolution en cours dans la presse écrite comme dans le reste des médias. Des bouleversements alimentés par l’émergence de nouveaux médias véhiculés par l’Internet et la recherche de modes de production moins coûteux et plus profitables.

Mais ça n’est pas tout. Selon Christophe Zimmermann, le succès des journaux gratuits découlent également de la crise de légitimité des médias traditionnels.

«Un nombre croissant de personnes, souligne Christophe Zimmermann, rejettent la mise en scène des médias traditionnels, ses commentaires et ses campagnes en faveur de tel ou tel camp politique.»

Avant de conclure: «Ces personnes préfèrent l’information brute, comme en témoigne le succès du Teletext. Ils y voient une information parfaitement objective. Mais c’est un leurre. Car nous avons toujours à faire à une mise en scène de l’information.»

swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

A 100% en mains d’Edipresse et rédigé à Genève et à Lausanne par une quinzaine de journalistes, Le Matin Bleu se veut un journal d’information concise, complète et utile.

Il sera distribué du lundi au vendredi en caissettes et par porteurs dans les zones à grand trafic et à proximité immédiate des transports publics. Et ce, dans les principales agglomérations de l’arc lémanique.

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