Des perspectives suisses en 10 langues

Une décision politiquement incorrecte

L'anglais, un fossé de plus entre Alémaniques et Romands. RTS

La question de la place de l'anglais à l'école n'est pas à l'ordre du jour de l'assemblée des directeurs de l'Instruction publique de jeudi.

Pourtant, la Suisse orientale vient de décider unilatéralement de faire passer l’anglais avant le français.

On s’y attendait un peu depuis la décision prise par le canton de Zurich en 2000 d’introduire – à l’école primaire – l’apprentissage de l’anglais avant celui du français.

La semaine passée, les directeurs de l’enseignement public de huit cantons germanophones de Suisse orientale ont annoncé qu’ils s’aligneraient sur la pratique zurichoise: l’anglais dès la 3e année, le français deux ans plus tard.

Martine Brunschwig Graf, cheffe de l’Instruction publique du canton de Genève, s’en dit peu surprise, hormis le fait qu’elle l’a appris par voie de presse.

Elle s’avoue par contre plutôt déçue. «A partir du moment où Zurich maintient sa décision, les cantons voisins doivent eux aussi se repositionner. Je le regrette, car on a raté l’occasion de mener une réflexion politique sur le pluralisme des langues en Suisse.»

Mais la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP) n’en parlera pas quand bien même elle tient jeudi et vendredi son assemblée plénière à Genève. Officiellement, le sujet n’est pas à l’agenda.

«La langue du voisin»

C’était cependant le cas il y a deux ans. A Montreux, la Conférence avait pris le temps de débattre de la question. Une large consultation avait été organisée, suivie de recommandations.

Tout le monde est à peu près d’accord pour dire que «les deux premières langues étrangères sont une deuxième langue nationale et l’anglais». Mais les divergences subsistent quant à l’ordre dans lequel il faut introduire ces langues à l’école primaire.

Aujourd’hui, le fossé semble donc se creuser de manière irréversible entre une Suisse principalement alémanique qui privilégie l’anglais et une Suisse latine qui donne la priorité à une autre langue nationale.

«C’est une erreur politique», estime Mme Brunschwig Graf: «nous sommes dans un pays plurilingue, nous avons des obligations d’entretien des langues nationales, nous devons opter en priorité pour la langue du voisin ou de celui qui pourrait être votre voisin».

Politiquement incorrect?

On comprend qu’il ne s’agit donc pas que d’un problème pédagogique: ce n’est pas, dit-on, parce que des élèves, parents ou enseignants préfèrent l’anglais qu’il faut recaler les langues nationales.

L’an passé, un parlementaire romand avait réussi à convaincre ses collègues de la Chambre du peuple du bien-fondé d’une révision de la Constitution pour que la deuxième langue enseignée soit une des langues officielles suisses.

La proposition est toujours pendante. Et comme l’instruction publique est du ressort des gouvernements cantonaux, ce n’est pas demain, ni même après-demain, que la Suisse démontrera sa cohésion nationale dans ce domaine.

Menaces sur les cantons bilingues

Dans ces conditions, dit la directrice genevoise qui est aussi vice-présidente de la CDIP, «comment fait-on dans un canton bilingue (Berne, Fribourg, Valais) quand on doit d’abord apprendre la langue de l’autre?»

«Ce qui me fâche le plus dans la décision de la Suisse orientale, c’est que l’on pratique ainsi une forme de mépris des cantons bilingues à qui on laisse faire comme ils l’entendent. En fait, ils vont se retrouver pris entre deux feux.»

Ce n’est pas tout. Le canton d’Uri, en Suisse centrale, a déjà fait savoir qu’il ne pourrait pas assurer correctement l’enseignement de deux langues étrangères à l’école primaire.

«Que va-t-on donc faire du français, se demande Martine Brunschwig Graf? Il passera en septième année et ce sera politiquement très incorrect.»

swissinfo/Bernard Weissbrodt à Genève

Les langues officielles de la Suisse sont l’allemand, le français et l’italien
Le romanche est aussi langue officielle pour les relations entre la Confédération et les personnes de langue romanche
La Suisse compte 15 cantons germanophones, 4 francophones, 1 italophone et 3 bilingues français/allemand

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