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Une entreprise suisse fait la lumière sur l’origine de son or péruvien

Extraction artisanale d or
La zone de Madre de Dios, au Pérou, est connue pour ses pratiques illégales en matière d'extraction de l'or, mais le directeur de PX Precinox Philippe Chaves insiste sur le fait que son entreprises ne s'y approvisionne pas. Copyright 2018 The Associated Press. All Rights Reserved.

Dans un rare entretien, le directeur de PX Precinox, Philippe Chave, défend le bilan de son entreprise au Pérou. Selon lui, abandonner les mineurs artisanaux n’est pas la voie à suivre pour parvenir à des pratiques minières plus durables et plus transparentes.

Depuis de nombreuses années, les rapports sur l’extraction de l’or au Pérou font état d’atteintes à l’environnement et de violations des conditions de travail. Ils mettent les raffineurs suisses qui s’approvisionnent dans ce pays d’Amérique du Sud dans l’embarras. Certains ont décidé de ne plus travailler avec les mineurs artisanaux en raison des risques d’exploitation illégale. D’autres, parmi lesquels des bijoutiers et des horlogers ont lancé des initiatives pour une meilleure transparence dans la chaîne d’approvisionnement.

Le mois dernier, la Suisse a soumis à l’Organisation mondiale des douanes une proposition visant à modifier la classification tarifaire de l’or pour améliorer la traçabilité de ce dernier. L’amendement prévoit notamment une distinction entre les importations d’or raffiné et non raffiné. Quelque 70% de l’or mondial est raffiné en Suisse.

Au Pérou, l’entreprise neuchâteloise PX Precinox travaille avec Minera Veta Dorada. Cette société de traitement de minerai achète l’or à des mineurs péruviens indépendants, généralement certifiés comme petits exploitants artisanaux. Ce label inclut, toutefois, ceux qui travaillent avec des machines lourdes, notamment des pelles mécaniques et des camions pour transporter le minerai. Une tendance qui s’est accentuée avec la hausse du prix de l’or depuis la crise financière de 2008.

Minera Veta Dorada, qui appartient au groupe minier canadien Dynacor, a récemment été citée dans une enquête. Laquelle faisait suite à une opération menée par la police nationale, qui a mis au jour des puits de mine illégaux. Des cargaisons d’or ont été saisies.

Parmi les personnes arrêtées figuraient des membres de l’organisation criminelle «Los Topos» («Les Taupes»). Pour transporter du minerai d’or extrait illégalement de puits cachés derrière de fausses façades d’immeubles, ces hommes ont usurpé l’identité de mineurs ayant demandé à être légalisés.

Philippe Chave déclarait récemment que tout l’or acheté au Pérou depuis 2015 était légal, ajoutant que sa société et Minera Veta Dorada, situé le long de la côte Pacifique Sud, collaborait avec les enquêteurs. Dans un entretien avec swissinfo.ch, il évoque cette enquête ainsi que le défi que représente l’approvisionnement en «or propre» dans la région.

swissinfo.ch: Comment vous êtes-vous lancé au Pérou?

Philippe Chave: Nous avons observé une prise de conscience croissante du marché et du public envers l’approvisionnement en or. Voici vingt ans, personne ne se souciait vraiment des conditions de son extraction. Nous avons pensé que c’était l’occasion de mettre en place un niveau de traçabilité supplémentaire qui nous permettrait de savoir d’où provenait l’or et dans quelles conditions il était extrait. Il y avait à la fois un grand vide et un énorme potentiel.  

Les mineurs artisanaux et l’industrie du luxe représentent les deux extrêmes de la chaîne de valeur. Ils dépendent l’un de l’autre, mais ne se connaissent pas. Pour aider le secteur minier artisanal, vous devez sensibiliser le public et les industriels aux enjeux et à la manière dont nous pouvons les soutenir. Certains estiment que la solution est l’exploitation minière industrielle. Mais ce n’est pas possible. Il y a des millions de personnes impliquées ici, qui essaient simplement de survivre. La seule solution est de les encourager à se faire légaliser. S’ils ne paient pas d’impôts, comment peuvent-ils obtenir les infrastructures nécessaires et comment peut-on parler de traçabilité? 

Avec Dynacor, nous avons trouvé un partenaire qui partage nos valeurs et notre vision. Nous avons donc conclu une alliance stratégique avec ce groupe.

D’où provient le minerai d’or traité dans l’usine avec laquelle vous travaillez, située à Chala (le long de la côte Pacifique Sud)?

Il vient du Pérou entier, de différents producteurs de minerai. À la base, nous travaillons avec 400 à 600 mineurs, mais ce nombre fluctue, car ceux-ci peuvent également vendre leur or à d’autres sociétés. Dynacor a établi une liste de critères que les mineurs doivent remplir: ces derniers doivent être enregistrés auprès du gouvernement, posséder un numéro d’identification fiscale et avoir l’autorisation de travailler dans une concession. Des vérifications sont effectuées pour chaque transaction. 

Les mineurs ont le choix. Ils peuvent utiliser les méthodes traditionnelles utilisant le mercure pour récupérer l’or eux-mêmes, mais nous estimons qu’ils n’en obtiennent par cette méthode que la moitié. Dynacor, au contraire, peut en recueillir 95%. L’entreprise emploie des produits chimiques, mais pas de mercure, dans une installation industrielle appropriée. Comme Dynacor offre un taux de récupération élevé, il pourrait être (plus) intéressant pour les mineurs de lui vendre leur minerai.

Comment procédez-vous ensuite?

Nous facturons aux clients (bijoutiers et horlogers) un supplément pour des projets durables. Celui-ci est calculé en fonction des quantités achetées sur un an; le montant est acceptable pour le marché. L’entier de ces fonds est utilisé pour des projets durables. Cela crée un effet boule de neige. Plus nous investissons dans les communautés, plus les mineurs prennent conscience de l’intérêt d’entamer le processus de légalisation. Plus ils sont qualifiés pour vendre leur minerai, plus nous apportons d’or sur le marché et plus nous pouvons réinvestir dans la communauté. Telle est la dynamique que nous essayons de générer.

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Ces conditions sont favorables aux mineurs, affirmez-vous. De quelle manière exactement?

Les mineurs ne sont pas liés. Lorsqu’ils proposent de vendre du minerai d’or, des tests de pureté sont effectués sur le lot pour déterminer s’il s’agit de minerai sulfuré ou oxydé et quelle quantité d’or il contient. Si le mineur estime que la quantité d’or calculée présente un avantage concurrentiel, il reste chez Dynacor. S’il pense pouvoir obtenir de meilleures conditions ailleurs, il peut vendre l’or à une autre société.

Comment l’or est-il extrait et quelle quantité est généralement extraite d’une tonne de minerai?

La moyenne est d’environ 0,8 once par tonne, soit 24 grammes. L’or est extrait de veines étroites dans la roche qui rendent son extraction industrielle difficile. Ces veines conviennent donc au secteur artisanal. Comme l’or est concentré dans ces veines difficiles d’accès, la teneur dans celles-ci doit être élevée. Sinon, l’extraction n’en vaut pas la peine.

Que s’est-il passé au moment des descentes de police en février?

Dynacor nous a informés le jour même de ce qui s’est passé. Toutes les transactions et les affaires menées avec des personnes liées à l’enquête se sont révélées conformes. Dynacor travaille avec un assez grand nombre de mineurs et nous vérifions chacune des transactions.  

Parmi les mineurs avec lesquels Dynacor collabore, cinq personnes ont des concessions et ont été déclarées légales par les autorités. Mais il s’est avéré que ces hommes extrayaient aussi de l’or dans une zone municipale où cette activité n’était pas autorisée.

Ces mineurs impliqués dans l’extraction illégale d’or à Parcoy, dans le nord du Pérou, faisaient-ils également des affaires avec Dynacor-Minera Veta Dorada?

Les cinq mineurs avaient, à un moment donné, effectué des transactions commerciales avec Minera Veta Dorada. C’est pourquoi l’or qui était sur le point d’être exporté a été préalablement saisi pour examiner s’il y avait des liens avec «Los Topos». Il n’y a eu ni inculpation ni arrestation du côté de Dynacor, car tout porte à croire qu’il y a eu un respect total des règles. 

La presse locale a déclaré que des quantités massives d’or transitant vers la Suisse avaient été blanchies, mais c’est faux. Tout l’or qui a été importé est légal. Il est facile de prendre des raccourcis et d’interpréter, surtout lorsque la seule source d’information se trouve être les médias péruviens. Il n’y a pas eu de transactions illicites entre le Pérou et la Suisse.

Vous inquiétez-vous de savoir avec qui vous faites affaire?

Oui, nous nous en préoccupons, tout comme Dynacor. Nous nous efforçons d’aller plus loin dans notre processus de vérification et d’ajouter des niveaux supplémentaires à cette vérification. Nous ne voulons pas être associés à ces récents événements. Dynacor ne le souhaite pas non plus. Cela est contre-productif et ne correspond pas aux valeurs de nos entreprises. Nous sommes déterminés à lutter contre ce problème. Mais le monde minier au Pérou est complexe. Nous devons trouver les bonnes mesures à mettre en place pour tendre vers le risque zéro.

Quels risques justement encourez-vous au Pérou?

L’exploitation minière est toujours risquée, surtout lorsque l’approvisionnement s’effectue auprès de mineurs artisanaux et que de nombreuses sources sont impliquées. Pour mettre les choses en perspective, lorsque nous parlons de l’or illégal de [la région minière du sud-est de] Madre de Dios, nous parlons également de déforestation, de pollution au mercure, de travail des enfants, de traite des êtres humains, etc. Et Dynacor n’achète jamais de minerai provenant de ces zones hautement sensibles. C’est tout cela, ce qu’on appelle l’or illégal. Dans le cas de cet incident, les mineurs ne travaillaient pas dans une zone sensible et il n’y a pas eu de déversement de mercure. Nous devons donc mettre les choses en perspective. Les gens mélangent souvent les choses.

L’an dernier, un autre raffineur suisse, Metalor, a décidé de cesser d’importer de l’or provenant de mines artisanales d’Amérique latine (après avoir suspendu ses importations en provenance du Pérou). Mais après avoir été critiquée pour ne pas soutenir l’approvisionnement durable, la société a annoncé travailler avec une petite entreprise minière au Pérou et l’initiative suisse Better Gold pour encourager les producteurs artisanaux. Les raffineurs suisses sont-ils en train de repenser leurs stratégies?

Vous pouvez examiner ce que nous faisons. Je ne dis pas que tout est parfait. Nous allons de l’avant en essayant de faire changer les choses. Après l’annonce faite par Metalor l’an passé, les clients nous ont demandé si nous achetions toujours de l’or au Pérou. Nous leur avons répondu par l’affirmative. Certains clients ont fait pression sur nous pour que nous prenions la même décision que Metalor. Nous, nous voulons créer le dialogue. Sinon, c’est contre-productif, autant dans l’industrie suisse du luxe qu’en termes de risque et de réputation.           

Il y a des gens qui effectuent un très bon travail dans l’exploitation minière artisanale. Nous avons choisi un excellent partenaire dans ce domaine. C’est un bon exemple en matière de transparence. De nombreux mineurs artisanaux sont organisés comme des PME (petites et moyennes entreprises): ils œuvrent à petite échelle et leurs activités sont mécanisées. 

Dire «abandonnons tout cela» n’est pas la solution et ne ferait que pousser les mineurs artisanaux vers l’illégalité. Dans les médias, bien sûr, nous devons dire ce qui ne va pas. Mais nous devons consulter les gens et créer un dialogue constructif. L’alternative est qu’un raffineur soit félicité pour son retrait du secteur artisanal. Mais est-ce cela, agir de manière responsable?

Comment les audits et les vérifications sont-ils effectués pendant la pandémie, alors que les transports tournent au ralenti? 

Les vérifications doivent être effectuées, avec ou sans Covid-19. Il n’y a pas de transactions sans vérification. Nous avons un programme avec des niveaux de vérification supplémentaires pour lesquels cette restriction de mouvement constitue un obstacle. Nous faisons de notre mieux avec ce que nous avons et continuons à vérifier chaque transaction.

Après le début de la pandémie, les données des douanes péruviennes ont montré que les importations de PX Precinox transitaient par Miami (autre centre mondial de raffinage), au lieu d’être acheminées directement par avion à Zurich.

La logistique a changé à cause du Covid-19. Normalement, le transport de marchandises de grande valeur s’effectue via des vols commerciaux et non des vols de fret. Les routes habituelles ne sont, toutefois, pas accessibles. Désormais, les marchandises vont de Lima vers la Floride, puis quelque part au Moyen-Orient, avant d’atterrir à Zurich. Malheureusement, il n’y a pour l’heure aucun autre moyen de faire parvenir l’or jusqu’à nous. 

Le Pérou entend mettre fin aux pratiques illégales. Quelle est la situation actuellement?

Il y a un potentiel énorme, mais également de grands défis à relever. La situation peut, du reste, être améliorée et nous avons un rôle à jouer. Toutes les parties prenantes doivent prendre part au changement. Seuls, nous ne pouvons pas résoudre des problèmes qui n’ont pas été résolus depuis des décennies. Nous avons besoin du soutien du public, des médias, des ONG et du marché.  

(Traduction de l’anglais: Zélie Schaller)

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