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Une fée verte peut en cacher une autre

Douce et vénéneuse, l'absinthe. Artemisia

L'absinthe, boisson née dans le Val-de-Travers, est au cœur d'«Artemisia», une pièce de théâtre présentée sur l'arteplage de Neuchâtel.

Une réflexion comico-poético-politique qui joue des faux-semblants. Ainsi la «fée verte» y est-elle un travesti.

«L’eau, liquide si impur qu’une seule goutte suffit pour troubler l’absinthe», écrivait Alfred Jarry. Une absinthe qui elle-même en a troublé plus d’un, Baudelaire, Rimbaud, Verlaine en témoigneraient volontiers.

Cuites spectaculaires des grands poètes. Et spirale sans fin pour les plus humbles, ceux dont la tête a été ravagée par «la bleue», que ce soit dans le Val-de-Travers, à Paris ou ailleurs. Comme l’ont illustré quelques peintres qui, eux non plus, ne crachaient pas dans leur verre: Degas, Picasso…

En 1908, sous la pression des milieux anti-alcooliques (et du monde concurrent de la vitiviniculture!), l’absinthe est interdite. Les distilleries clandestines ne disparaîtront pas pour autant du Jura neuchâtelois.

La dernière révision de la Constitution suisse a supprimé l’article relatif à l’interdiction de l’absinthe. Mais la thuyone, molécule toxique qu’on trouve dans «l’Artemisia absinthium», la plante dont est issu le breuvage, reste interdite.

Pour les puristes, l’absinthe nouvelle et légale n’est donc pas de la vraie absinthe. Voilà pour le contexte.

Idéalisme contre pragmatisme

C’est le cinéaste Denis Rabaglia («Azzurro») qui a écrit le texte d’«Artemisia». Et Robert Bouvier, directeur du Théâtre du Passage, à Neuchâtel, qui l’a mis en scène.

L’intrigue? Dans le cadre d’un programme d’occupation, un groupe de chômeurs, conduit par un animateur de hasard (Daniel Briquet), doit construire un char représentant le Vallon lors d’un Corso fleuri. Thème choisi: l’absinthe.

Occupation prétexte, pour donner bonne conscience au notable du coin. Mais qui aura le mérite de susciter le débat notamment entre l’animateur, et l’un de ses amis de toujours, qui figure parmi les chômeurs.

Le premier, resté idéaliste, est favorable à la légalisation de la boisson, car il ne supporte pas l’hypocrisie du système: «Les chômeurs sont légaux, mais pas tolérés. L’absinthe est illégale, mais tolérée», s’exclame-t-il.

Le deuxième, devenu pragmatique et trafiquant notoire, s’oppose à la légalisation, qui saccagerait le très profitable commerce illégal qui s’est développé dans la région.

Et quand l’animateur lui jette: «Un monde plus juste, moins con, c’est trop demander?», il répond cyniquement: «Ne pas grandir, oui, c’est trop demander!»

Entre les deux solutions, dans une jolie pirouette de la mise en scène, ce sera au bout du compte au public de choisir.

Entre mythe et refus du mythe

Denis Rabaglia et Robert Bouvier auraient pu se cantonner à évoquer le passé délicieusement sulfureux de la boisson neuchâteloise, le tout dans le décor ‘modern style’ qui a tant fait pour sa réputation.

Sans rejeter totalement le mythe, ils ont préféré ancrer leur trame dans la réalité du présent.

Ne pas nier la réalité des dégâts: «C’est l’histoire du Vallon que personne ne veut voir. C’est la poussière sous le tapis», dit-on à propos de Rémy (Jean-Luc Barbezat), tout tordu, l’idiot du village.

Ni gommer le décalage qui existe entre petites magouilles régionalistes et mythe poétique international.

«L’absinthe, un mystère, la putain du Vallon!», constate assez lyriquement un personnage. Oui, mais voilà, Artemisia (Antonio Gil-Martinez), la putain qui hante la scène du Théâtre des Roseaux, est un travesti. Il n’y a pas que la boisson qui soit trouble.

swissinfo/Bernard Léchot

«Artemisia», à voir au Théâtre du Roseau, Arteplage de Neuchâtel, jusqu’au 29 septembre.

«Artemisia» est joué dans le cadre des «Events» d’Expo.02
L’auteur est le cinéaste Denis Rabaglia
La mise en scène est de Robert Bouvier, directeur du Théâtre du Passage à Neuchâtel.
Parmi les comédiens figurent Antonio Gil-Martinez, Jean-Luc Barbezat et La Castou.

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