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Une fontaine de lumière jaillie du fond de l’univers

Sur cette image d'artiste, le trou noir est le point minuscule au centre du disque. Plus les gaz et les poussières qu'il attire s'en approchent et plus ils deviennent lumineux. NASA/JPL-Caltech

Si un trou noir est par définition obscur, il rend la matière qu'il attire incroyablement lumineuse. Avec un télescope géant et plusieurs «loupes» naturelles, des astronomes suisses, allemands et américains ont ausculté un monstre tapi à l'autre bout de l'espace.

L’astrophysique est la science des superlatifs: le trou noir qu’ont observé pendant trois ans Frédéric Courbin, de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) et ses collègues pèse environ un milliard de fois notre soleil et se trouve à 10 milliards d’années-lumière de la Terre.

C’est loin, très loin: pratiquement aux deux-tiers des limites de l’univers observable.

Monstrueusement lourd, l’objet n’en est pas pour autant monstrueusement gros. Pas plus qu’une étoile. C’est donc sa densité extraordinairement élevée qui attire – par la seule force de gravité – tout ce qui passe à sa portée.

Mais avant d’être engloutie par le trou noir, cette matière – des gaz ionisés, soit des atomes qui ont perdu leurs électrons – se met à tourner en spirale, comme le siphon d’un lavabo. Elle forme ce que l’on nomme un disque d’accrétion, qui chauffe au point de devenir une vraie fontaine de lumière, plus brillante que des milliards d’étoiles. Une fontaine que l’on nomme également quasar.

Juste quelques millions d’années

«C’est un des phénomènes les plus lumineux de l’espace, confirme Frédéric Courbin. A l’approche du trou noir, la conversion de la matière en énergie est tellement efficace qu’il suffit de relativement peu de matière pour rendre le disque visible depuis l’autre bout de l’univers».

Effectivement, le trou noir ne «mange» que peu de matière: à peine l’équivalent de notre soleil en une année. Logique: sa force d’attraction ne s’exerce que dans un rayon assez limité, et comme dans l’univers, les objets sont très loin les uns des autres, il va rapidement tomber à cours de «provisions».

Ainsi, quand il a fait le vide autour de lui, il perd son disque d’accrétion et devient invisible. Aucun risque donc de le voir «avaler» une galaxie entière. Les astrophysiciens pensent d’ailleurs que les quasars sont des phénomènes «relativement éphémères».

Ce qui, à l’échelle de l’univers, veut quand même dire quelques millions d’années.

La croix d’Einstein

Pour pouvoir regarder aussi loin dans l’espace, les astronomes se sont servis de «lentilles gravitationnelles» ou «mirages gravitationnels», un phénomène naturel prédit par Einstein au début du 20e siècle, mais observé seulement depuis la fin des années 70.

Les objets massifs, comme les étoiles (et plus encore les galaxies) ont la propriété de courber la lumière. Dans le cas précis, les observateurs ont la chance d’avoir une galaxie relativement proche dans l’alignement entre le trou noir et la Terre.

La lumière provenant du quasar est donc fractionnée, courbée et grossie par le noyau de la galaxie «loupe». Dans le télescope, elle apparaît sous la forme de quatre taches, avec une cinquième au centre, qui est justement le noyau de la galaxie «loupe».

«Cette image fractionnée en quatre nous apparaît déformée, étirée. Et comme la quantité de lumière par unité de surface reste la même, en augmentant la surface, on augmente la brillance», explique Frédéric Courbin.

Une pièce de 1 franc à 2 millions de km

Et ce n’est pas tout: certaines étoiles de la galaxie ont aussi fait office de «loupes» secondaires. «A chaque fois que l’une d’elles passait devant une des quatre taches, c’est comme si elle zoomait sur une partie de l’image. Et comme les étoiles bougent, elles nous ont en quelque sorte ‘scanné’ le disque d’accrétion de notre trou noir», résume le scientifique.

Grâce à cet effet naturel, mais aussi grâce au VLT, le plus gros télescope du monde (8,2 mètres de diamètre) et aux conditions météo idéales du site de l’ESO, l’Observatoire européen austral, installé sur le Mont Paranal, en plein désert d’Acatama, au Nord du Chili, Frédéric Courbin et les siens ont pu voir ce que nul n’avait encore jamais vu.

La précision de leurs observations est de l’ordre d’un millionième de seconde d’arc. Ce qui revient à être capable de voir une pièce de 1 franc à deux millions de kilomètres (plus de 5 fois la distance Terre-Lune).

«Sans les effets de lentille gravitationnelle de cette galaxie et de ses étoiles, il nous aurait fallu un télescope de plusieurs centaines de mètres de diamètre, placé en orbite autour de la Terre», note l’astrophysicien avec satisfaction. Autant dire un engin de science-fiction…

Le règne du chaos

Finalement, à quoi vont servir ces résultats ? «Nous avons pu établir un profil de températures du disque d’accrétion d’un trou noir supermassif», explique Frédéric Courbin. Pour ce faire, les scientifiques ont analysé les spectres de la lumière, sachant que la couleur varie avec la température.

Le domaine est encore assez mal connu. Même si la physique de base est simple (un trou noir attire par la force de gravité), les conditions régnant aux abords de ces monstrueux dévoreurs de matière sont tellement extrêmes, que le comportement des éléments devient chaotique.

swissinfo, Marc-André Miserez

Les trous noirs se forment après l’explosion de grosses étoiles (au moins six fois la masse de notre soleil). Ce sont des objets tellement denses que rien ne peut s’en échapper, pas même la lumière.

Leur nature reste passablement mystérieuse. Les physiciens pensent qu’ils pourraient être des «malaxeurs chaotiques», capables de séparer toutes les particules, donnant ainsi lieu à une bouillie de matière intense qui serait gouvernée par des lois physiques encore inconnues, alliage entre mécanique quantique et théorie de la relativité.

Du fait de l’aura qui les entoure, les trous noirs sont l’objet de toutes sortes de fantasmes, dont l’un voudrait en faire des portes d’entrée vers des univers parallèles.

Ces observations sont le fruit de la collaboration entre Frédéric Courbin, Alexander Eigenbrod et Georges Meylan de l’EPFL; Dominique Sluse, Robert Schmidt, Timo Anguita, et Joachim Wambsganss de l’Astronomisches Rechen-Institut d’Heidelberg (Allemagne), et d’Eric Agol de l’University of Washington, Seattle (Etats-Unis).

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