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Une histoire d’espionnage à l’italienne

Le financier italien Igor Marini (au centre) à son arrivée à Lugano. Keystone

A quelques jours de la visite du président italien en Suisse, une affaire rocambolesque crée un tollé au sud des Alpes.

La presse transalpine a fait ses choux gras avec la mise en garde à vue au Tessin de deux parlementaires italiens.

Ces deux parlementaires – membres d’une Commission d’enquête – et le témoin à charge qui les accompagnait ont été appréhendés jeudi.

Ils s’apprêtaient à quitter la Suisse après une visite à l’Office des poursuites et faillites de Lugano. Où ils avaient tenté de mettre la main sur des documents concernant une affaire de blanchiment d’argent et de corruption.

L’affaire est remontée jusqu’aux plus hautes sphères. L’ambassadeur d’Italie est intervenu auprès des autorités helvétiques. Et, de son côté, le Ministère public de la Confédération a aussitôt dépêché l’un des ses représentants sur place à Lugano.

Au terme d’un interrogatoire de quatre heures le témoin a été arrêté et inculpé de blanchiment.

Les deux parlementaires, eux, ont été relâchés. Ils ont toutefois été accusés d’espionnage économique et d’actes accomplis sans autorisation pour un Etat étranger au sens des articles 271 et 273 du Code pénal suisse.

Les deux parlementaires ont réfuté les accusations portées contre eux. Ils ont expliqué que leur rôle s’était limité à celui d’accompagnateurs du témoin à charge et qu’ils n’ont donc commis aucun acte illégal à l’étranger.

Pas d’incident diplomatique

De son côté la Commission parlementaire d’enquête italienne a indiqué vendredi qu’elle n’avait pas jugé bon d’officialiser le déplacement, vu qu’il s’agissait d’une simple vérification faite par un privé – en l’occurrence le témoin à charge.

Elle déplore cette «intervention inquiétante des autorités suisses» tout en promettant de déposer une demande d’entraide judiciaire en bonne et due forme pour poursuivre son enquête en Suisse.

Quoi qu’il en soit, vendredi, une partie de la classe politique et de la presse italiennes se sont emparées de cette affaire. En criant au scandale.

Le ministre italien des affaires étrangères a toutefois calmé le jeu. «Il n’y a aucun incident diplomatique entre l’Italie et la Suisse», a déclaré Franco Frattini.

Et d’ajouter, «Pour nous, l’affaire est close. Les autorités suisses ont fait ce qu’elles jugeaient bon de faire. De notre côté, nous nous sommes contentés de suivre le cas».

Une violation de la souveraineté

En Suisse, le porte-parole du Ministère public de la Confédération a lui aussi minimisé l’incident. «Il ne s’agit pas d’un cas d’espionnage, confie Hans-Jörg Widmer, mais d’une violation de la souveraineté de la Suisse.»

En d’autres termes, les règles de l’assistance judiciaires n’ont pas été suivies. Les deux parlementaires italiens ont cherché à obtenir directement les informations, sans respecter les procédures prévues.

La justice italienne ne pouvait pourtant ignorer que la délégation parlementaire agissait sans droit au Tessin. Le Ministère public de la Confédération l’en avait informée jeudi avant l’arrestation de ses membres.

Le Ministère public de la Confédération avait bien reçu une demande en ce sens de justice italienne. Mais, selon Hans-Jörg Widmer, il n’avait réalisé qu’après coup que cette requête était en lien avec l’affaire la recherche de documents au Tessin.

Des documents compromettants

En fait, l’histoire a débuté mercredi à Rome avec les révélations d’Igor Marini, un financier italien impliqué dans une affaire de pots-de-vin et qui fut actif au Tessin dans les années 90.

Ce jour-là, Igor Marini confie à une Commission d’enquête parlementaire qu’il peut mettre à leur disposition des documents très compromettants (des copies de passeports et de comptes bancaires).

Les documents en question se trouveraient à Lugano. Et ils prouveraient que la société téléphonique Telecom Italia a versé en 1997 plus de 50 millions de dollars en dessous-de-table à des politiciens du gouvernement de Romano Prodi.

Cet argent aurait permis à Telecom Italia – alors entreprise publique – de se lancer dans une opération de rachat d’un tiers du paquet actionnaire de Telekom Serbia.

Igor Marini est très bavard. Il va jusqu’à nommer les bénéficiaires de ces largesses. A savoir plusieurs anciens fonctionnaires, parlementaires et même ministres italiens.

Et de citer notamment l’ex-Premier ministre de centre-gauche Romano Prodi, l’ex-ministre des Affaires étrangères Lamberto Dini et son épouse, ainsi que l’ex-sous-secrétaire aux Affaires étrangères Piero Fassino.

C’est sur la base de ces révélations que la Commission d’enquête parlementaire décide d’envoyer jeudi deux de ses membres à Lugano en compagnie du témoin à charge Igor Marini.

Le déplacement a lieu sans que les autorités suisses et italiennes en soient informées et sans qu’une demande d’entraide judiciaire soit déposée.

L’ombre d’un avocat luganais

Personne n’est officiellement au courant de ce déplacement. Sauf la presse qui envoie ses reporters à l’Office des faillites de Lugano – où se trouvent les documents en question.

Pourquoi l’Office des poursuites plutôt qu’une étude d’avocat ou une banque de la place? Parce que les documents font partie de la succession contestée d’un avocat-notaire luganais, décédé en août 2002 en Italie.

Son nom? Gianluca Boscaro. Il aurait joué les intermédiaires pour Igor Marini. Et il aurait aussi trempé dans les affaires louches de sociétés qui géraient les capitaux de l’ancien président Saddam Hussein.

La famille ayant refusé la succession, tous les avoirs de l’avocat-notaire luganais décédé ont été acquis par l’Office des faillites qui doit en faire l’inventaire. Igor Marini le sait. C’est la veuve de Me Gianluca Boscaro qui le lui a dit.

Jeudi, le responsable de l’Office des poursuites de Lugano a refusé de livrer les éventuels documents qui auraient pu prouver le recyclage des 55 millions de dollars, par le biais de sociétés notamment basées à Panama.

Pour que le financier Igor Marini puisse les emporter, il aurait fallu qu’il puisse prouver qu’il en était le propriétaire.

Et c’est au moment où il s’apprêtait à quitter Lugano bredouille avec les deux parlementaires que la police tessinoise a fait irruption au siège de l’Office.

swissinfo, Gemma d’Urso, Lugano

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