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Une initiative pour relancer la peine de mort en Suisse

1940: Hans Vollenweider est conduit au Tribunal. Il sera le dernier condamné à mort civil de Suisse. RDB

Les adeptes de la peine de mort pour les criminels sexuels peuvent commencer leur récolte de signatures. La Chancellerie fédérale a approuvé formellement leur texte. Mais la route est encore longue vers un éventuel vote populaire, qui serait de toute façon légalement problématique.

L’initiative populaire dite «peine de mort en cas d’assassinat avec abus sexuel» réclame la peine capitale pour toute personne commettant un meurtre ou un assassinat en concours avec un acte d’ordre sexuel sur un enfant, une contrainte sexuelle ou un viol.

C’est ce texte que la Chancellerie fédérale vient de déclarer recevable. A ce stade, on n’examine que des critères formels, soit les indications du canton et de la commune politique où le signataire a le droit de vote, le titre et le texte de l’initiative, la date de sa publication, la clause de retrait, et les noms et adresses d’au moins sept initiants.

Sur la base de ce feu vert, la collecte des 100’000 signatures nécessaire peut démarrer. Et ce n’est qu’à l’aboutissement de cette collecte que le parlement dira si l’initiative peut ou non être soumise au vote populaire.

Emotion vive

Selon Marcel Graf, seul membre du comité d’initiative ayant pour l’instant accepté de sortir de l’anonymat, les personnes à l’origine de ce texte ne font pas partie d’un mouvement politique mais sont des proches d’une victime.

Sur leur site internet, les initiants estiment que seule l’exécution du meurtrier permet aux survivants de faire leur deuil. La peine de mort est «juste et logique» et permet aussi, selon eux, de rétablir en partie la dignité de la victime.

Depuis l’annonce du prochain lancement de ce texte, il y a quelques jours par le quotidien zurichois NZZ, l’émotion est vive sur les forums de discussion en ligne. Comme on peut s’y attendre sur un sujet aussi passionnel, arguments et contre-arguments s’affrontent parfois violemment.

Condamnation unanime

Plus sereins, les politiciens, les membres d’ONG et les experts interrogés par les médias condamnent unanimement l’initiative.

Ainsi le député Oskar Freysinger, l’une des voix fortes de l’UDC (droite conservatrice), qui a pourtant soutenu l’initiative sur l’internement à vie des délinquants sexuels, déclare à plusieurs journaux sa ferme opposition: «le droit à la vie n’est pas négociable. Rendre le mal par le mal ne fait pas partie de mes principes ni des valeurs d’un Etat démocratique. D’ailleurs, cette initiative n’a pas l’ombre d’une chance. Le parlement rejettera le texte.»

Christine Bussat, présidente de la Marche blanche (à l’origine de l’initiative sur l’internement à vie), se dit quant à elle «profondément choquée. J’ai beau retourner cela dans tous les sens, je ne trouve aucun argument qui irait dans leur sens. Pire, cela peut même favoriser le pédophile qui rajoutera une pression sur sa victime: ‘si tu parles, on va me tuer’».

Mais Christine Bussat est bien placée pour savoir ce qu’en dit la vox populi. «Bien sûr, lorsque nous faisons signer nos propres initiatives sur la question des pédocriminels, la plupart des gens disent qu’il faut rétablir la peine de mort», admet-elle.

Irréversible

«C’est une situation très spéciale pour nous, explique à swissinfo.ch Daniel Graf, porte-parole suisse d’Amnesty International. Normalement, nous nous battons dans le monde entier pour l’abolition de la peine de mort, et avec succès. Il y a une tendance claire en faveur de l’abolition, et il n’est pas commun de devoir se battre contre la peine de mort en Suisse».

«Nous savons que la peine de mort comme outil pour protéger les populations des crimes violents, ça ne marche pas, ajoute le porte-parole de l’ONG. Et surtout, «l’expérience américaine montre que le plus grand problème de la peine de mort, c’est qu’elle est irréversible. S’il y a eu erreur judiciaire, on ne peut pas revenir en arrière».

Le risque d’erreur judiciaire ? Pour le comité d’initiative, il n’existe simplement pas. Sur son site internet, il affirme que «les techniques modernes d’enquête rendent impossible la condamnation d’innocents».

Inapplicable

Avec cette initiative, la Suisse se trouve une fois de plus – après les textes sur l’internement à vie, l’interdiction des minarets et le renvoi des criminels étrangers -, face au dilemme du respect parallèle des droits populaires, des droits fondamentaux et de ses engagements internationaux.

Dans la presse, Alexandre Flückiger, professeur de droit constitutionnel à l’Université de Genève, rappelle que «selon la Constitution fédérale, on ne peut pas soumettre un texte qui va à l’encontre du droit international impératif.»

Mais la peine de mort, encore en vigueur aux Etats-Unis ou en Chine, ne figure pas dans ce noyau dur. «Cette notion de droit impératif reste très floue, explique à swissinfo.ch Andreas Auer, constitutionnaliste zurichois et directeur du Centre de recherche sur la démocratie directe à Aarau. Le parlement pourra donc difficilement invalider l’initiative sur cette base».

Et si elle arrive en votation, et qu’elle devait être acceptée ? «Je vois alors une situation similaire à celle que nous vivons avec l’initiative contre les minarets, poursuit Andreas Auer. Elle est inscrite dans la Constitution, mais elle ne pourra probablement pas être appliquée, parce qu’elle viole des droits humains garantis internationalement, et dont la Suisse ne peut pas se départir».

Car si la peine de mort n’est pas contraire aux droits internationaux impératifs, elle contrevient par contre à la convention européenne des droits de l’homme. En ratifiant en 1987 le protocole 6 et en 2002 le protocole 13 de cette convention, la Suisse s’est engagée à renoncer à la peine de mort en temps de paix comme en temps de guerre.

Aux urnes pour rien ?

Que faire pour que les citoyens ne se déplacent plus aux urnes «pour rien»? Modifier notre ordre juridique pour permettre au Tribunal fédéral de contrôler la validité des initiatives contraires au droit international avant de les soumettre au vote, prône Andreas Auer et pas mal de ses collègues constitutionnalistes.

«C’est à des juges et non au parlement de trancher», conclut le professeur.

swissinfo.ch

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Initiative populaire

Ce contenu a été publié sur L’initiative populaire permet à des citoyens de proposer une modification de la Constitution. Pour être valable, elle doit être signée par 100’000 citoyens dans un délai de 18 mois. Le Parlement peut directement accepter l’initiative. Il peut aussi la refuser ou lui opposer un contre-projet. Dans tous les cas, un vote populaire a lieu. L’adoption…

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Un jour après l’aval formel donné par la Chancellerie fédéral permettant le démarrage de la récolte des signatures, les initiants ont indiqué qu’ils retiraient leur initiative en faveur de la peine de mort.

Ils désiraient rendre attentifs la population à leurs griefs, se justifient-ils.

Le comité «peine de mort en cas d’assassinat avec abus sexuel» propose d’introduire dans la Constitution fédérale les dispositions suivantes

Chaque être humain a le droit à la vie. Quiconque commet un meurtre ou un assassinat en concours avec un acte d’ordre sexuel sur un enfant, une contrainte sexuelle ou un viol perd le droit à la vie et est condamné à mort. Dans tous les autres cas, la peine de mort est interdite.
[…]
L’exécution a lieu indépendamment de toute expertise ou des connaissances scientifiques.
[…]
L’exécution a lieu dans les trois mois qui suivent l’entrée en force de la condamnation. Le tribunal fixe les modalités et la date de l’exécution capitale.


Après le feu vert de la Chancellerie fédérale, la collecte de signatures peut commencer et devra s’achever dans un délai de 18 mois. Ce n’est qu’après le dépôt de 100’000 paraphes que le texte sera examiné sur le fond. Selon les articles la Constitution fédérale, c’est le parlement qui est seul compétent pour dire si ce texte peut passer en votation populaire.

La première abolition de la peine capitale date de 1874. Mais cinq ans plus tard, une initiative populaire visant à la réintroduire dans la constitution fédérale était approuvée par le peuple. Les initiants justifiaient ce retour en arrière par la hausse de la criminalité. Dans la foulée, dix cantons inscrivaient la peine de mort dans leur code pénal.

C’est le code pénal suisse de 1937, entré en vigueur en 1942, qui a définitivement aboli la peine de mort. La dernière exécution a eu lieu le 18 octobre 1940 à Sarnen, dans le canton d’Obwald. Un Zurichois y a été décapité pour triple meurtre, dont celui d’un policier.

Le code pénal militaire a en revanche conservé jusqu’en 1992 la possibilité d’appliquer la peine de mort en temps de guerre pour des crimes comme la trahison, l’engagement en faveur de l’ennemi, le meurtre ou le pillage. Au cours de la Deuxième Guerre mondiale, sur les 33 condamnations à mort prononcées, 17 ont été appliquées, la dernière en 1944.

En 1985, une initiative visant à réintroduire la peine de mort pour les dealers de drogue a été lancée. Elle n’a pas récolté assez de signatures pour aboutir.

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