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Une militante irakienne aide les esclaves de l’EI à se reconstruire

En visite en Suisse, la militante irakienne Yanar Mohammed a rencontré des parlementaires et des représentants de la DDC. Elle espère obtenir l'aide de la Suisse dans sa lutte pour que les centres sécurisés de l'Organisation pour la liberté des femmes en Irak (OWFI) soient légalisés. KEYSTONE/ANTHONY ANEX sda-ats

(Keystone-ATS) La militante irakienne Yanar Mohammed lutte depuis plus de quinze ans pour défendre les droits des femmes dans son pays. Trois centres sécurisés ont récemment ouvert à Mossoul pour recueillir les esclaves sexuelles de l’Etat islamique (EI).

“Nous avons réussi à ouvrir ces refuges dans la partie libérée de Mossoul il y a seulement quelques mois”, affirme Yanar Mohammed, 56 ans, co-fondatrice et présidente de l’Organisation pour la liberté des femmes en Irak (OWFI).

“Ils hébergent actuellement 33 femmes qui se sont échappées de l’EI ou qui se trouvent seules après que l’EI a été chassée de la ville”, raconte-t-elle, dans un entretien à l’ats. La militante irako-canadienne était de passage en Suisse, invitée par Terres des Femmes Suisse pour un cycle de conférences.

Depuis 2013, son ONG concentre son action notamment dans les régions occupées par l’EI, dont Mossoul, deuxième ville d’Irak. Dans l’ouest du pays, des milliers de jeunes femmes ont été enlevées par les djihadistes qui en ont fait leurs esclaves sexuelles.

Soumises à des viols collectifs et vendues à plusieurs reprises, “certaines sont enceintes ou ont des enfants, dans la plupart des cas sans savoir qui est le père”. “Il arrive souvent qu’une femme soit violée dans une maison de divertissement de l’EI par plusieurs hommes durant la même nuit”, souligne-t-elle.

Crimes d’honneur

“Et, dans la société irakienne, une femme avec un enfant dont le père n’est pas connu n’a pas d’avenir”, poursuit la militante. Elle est rejetée par sa famille et risque d’être tuée. Ces abris sont “les seuls endroits sûrs où ces femmes peuvent se rendre pour échapper aux crimes d’honneur”.

“Nous essayons de les faire se sentir comme dans une famille qui les protège et de leur redonner leur dignité. Nous répondons à leurs besoins comme le ferait une mère pour sa fille”, raconte Mme Mohammed.

Gérés uniquement par des femmes, les centres sécurisés sont gardés secrets car ils sont illégaux aux yeux du gouvernement irakien. Leur adresse n’est pas connue: seul un petit nombre de personnes de l’OWFI connaît leur emplacement.

Obtenir un statut officiel

L’organisation lutte pour que ses centres reçoivent un statut officiel. “Nous avons besoin d’obtenir de la crédibilité et une légitimation de la part du gouvernement pour continuer notre projet et être prêts pour les temps de paix”, revendique la militante.

Sept mois après le lancement d’une vaste opération sur Mossoul, dont l’EI s’était emparée en 2014, les forces irakiennes ont repris l’essentiel de la cité, à l’exception de la vieille-ville.

“Où est l’agenda des femmes dans la reconquête militaire de Mossoul et que va-t-il se passer pour ces femmes lorsque l’EI sera vaincu?”, s’exclame Mme Mohammed. “Elles seront rejetées et stigmatisées pour le restant de leur vie”. La militante évoque également le problème futur de “toute une génération d’enfants sans papiers d’identité”.

Yanar Mohammed continue de faire pression sur le gouvernement irakien pour dénoncer la situation, sans succès. “Jusqu’à maintenant, la communauté internationale n’a pas non plus donné de réelle réponse”, ajoute-t-elle.

Chemin vers l’autonomie

Jour après jour, Yanar Mohammed opère un véritable travail social d'”empowerment” (autonomisation, ndlr) des victimes. “J’ai fait naître une famille de femmes qui vivent en solidarité”, s’exclame-t-elle.

Outre un soutien psychologique et humain, ces victimes de la violence apprennent à lire et à écrire ainsi qu’à coudre. On les informe sur les violations des droits dont elles ont été victimes et sur les lois existantes.

“Quand je vois le changement graduel d’une personne qui se reconstruit et qui devient une personne saine, c’est une immense source de force pour continuer à lutter en tant que défenseuse”, affirme la femme.

Les victimes deviennent même à leur tour des défenseuses des droits humains, à l’instar d’une femme rescapée de l’EI, ayant cherché soutien dans un refuge de l’OWFI pour échapper à sa famille qui voulait la tuer. “Elle était d’une terrible maigreur, la tête rasée et tellement honteuse de son existence que nous n’arrivions même pas à établir un contact visuel”, se rappelle Mme Mohammed.

“Maintenant, elle court d’un refuge à l’autre et elle encadre les femmes qui débarquent chez nous”. Cette femme a ouvert son propre centre pour l’OWFI.

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