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Une planète grisonnante du Nord au Sud

Le vieillissement de la population sera le défi majeur du XXIe siècle, surtout pour les pays émergents. Keystone

Comment ferons-nous face au vieillissement de la population? Vivra-t-on plus longtemps demain? Jusqu’à quel âge faudra-t-il travailler? Suite et fin de notre entretien avec le démographe Philippe Wanner, alors que la Terre s’apprête à accueillir son sept-milliardième résident.

Au cours du XXe siècle, la population mondiale a explosé, passant de 1,6 milliard d’individus en 1900 à 6,1 milliards en 2000. Une croissance qui devrait se poursuivre tout au long du XXIe siècle, le phénomène de transition démographique ne se déroulant pas aussi rapidement que prévu dans certaines régions du globe. 2011 verra ainsi la naissance du sept-milliardième terrien. Ce sera officiellement le 31 octobre, selon des projections onusiennes.

Dans le troisième volet de l’entretien accordé à swissinfo.ch, le démographe Philippe Wanner, professeur à l’université de Genève, se penche notamment sur le défi colossal que représente le vieillissement de la population.

swissinfo.ch: Plus que la surpopulation, le vieillissement de la population n’est-il pas le défi démographique majeur du XXIe siècle?

P.W.: Le phénomène de transition démographique aboutit automatiquement à un vieillissement de la pyramide des âges. C’est une transformation totalement inédite à l’échelle planétaire. On en parle beaucoup chez nous dans le cadre des débats sur l’avenir des assurances sociales. Mais en Europe, il est à l’œuvre depuis un siècle alors qu’en Chine ou en Inde, ce phénomène va se produire en seulement dix ou quinze ans. L’Europe a le temps et les moyens de s’y préparer. Dans d’autres pays, il va entraîner des contraintes économiques considérables.

swissinfo.ch: En Chine, le vieillissement de la population est notamment le fruit d’une politique restrictive de la natalité. Un assouplissement ou un revirement de cette politique suffiront-ils à inverser la tendance?

P.W.: Les autorités chinoises commencent à prendre conscience du vieillissement de la population et de son impact. Dans les années 1970, il s’agissait de limiter la croissance démographique. Quarante ans plus tard, les Chinois constatent que certaines générations sont manquantes et commencent à assouplir cette politique. Un enfant unique marié à un conjoint qui l’est également a aujourd’hui le droit d’avoir deux enfants. Mais la tendance mettra du temps à s’inverser. Dans une fratrie chinoise composée de quatre grands-parents, deux parents et un enfant, c’est ce dernier qui va devoir supporter la charge de ces six personnes. Le défi économique sera colossal.

swissinfo.ch: A-t-on véritablement pris conscience des conséquences du vieillissement de la population?

P.W.: Non, car nous réagissons face à la situation qui prévaut aujourd’hui. Vieillissement signifie augmentation du nombre de retraités mais aussi évolution sociétale. Le vieillissement est presque toujours considéré comme un problème, car on se réfère aux structures actuelles. Nous faisons abstraction de la notion de chance qui est liée au vieillissement, la chance individuelle de vivre plus longtemps mais aussi d’organiser différemment la société.

swissinfo.ch: Comment se présentera cette humanité composée en majorité de «vieillards»?

P.W.: Sous une forme différente. Les personnes travailleront plus longtemps, mais certainement parce qu’elles en auront les moyens et les possibilités en termes de santé. Les organisations familiales seront revues et la société beaucoup plus axée sur les aspects pratiques d’une population davantage dépendante. Les trottoirs seront élargis, les «smart-homes» pour personnes âgées se généraliseront, les apports technologiques bénéficieront avant tout à cette population vieillissante. La société fonctionnera à un rythme différent, le marché du travail engagera davantage à temps partiel les personnes âgées. Le confort sera de manière générale plus important, même si de nombreux défis restent à relever en matière d’assurances sociales notamment.

swissinfo.ch: Vous êtes donc optimiste sur la capacité de l’humanité à s’adapter à cette nouvelle donne.

P.W.:  Je suis plutôt optimiste. La diminution des naissances répondait elle aussi à une certaine logique sociétale dans le cadre de l’exode rural. Il n’y avait plus de place pour autant d’enfants dans les villes. Il en va de même pour le vieillissement de la population. C’est une évolution systémique, la société apprendra à fonctionner de manière à tenir compte d’individus en moyenne plus âgés.

swissinfo.ch: Mais vivra-t-on réellement plus longtemps demain?

P.W.: On n’en sait rien. Des renversements de tendance sont possibles. En Russie, l’espérance de vie a diminué. Toutefois, le vieillissement par le haut devrait se poursuivre. Du moins dans les prochaines années, avec cette masse de «baby-boomers», aujourd’hui âgés entre 45 et 65 ans, qui vont arriver à la retraite. Car il n’y a aucune raison que cette génération meurt précocement.

swissinfo.ch: Dans les pays développés, le débat public autour de la nécessité de relever l’âge de la retraite fait rage depuis plusieurs années. Devra-t-on inexorablement travailler plus longtemps?

P.W.: A titre personnel, je ne suis pas favorable à un relèvement de l’âge de la retraite. Dans le débat politique, les positions sont très divergentes et idéologiques. Mais tout est bien plus complexe. En fait, on manque encore de connaissances et de données sur la survie différentielle des personnes âgées de plus de 65 ans. De manière générale, il faudra mieux répondre aux aspirations des personnes âgées qui veulent travailler plus longtemps. Si la société est prête à s’adapter, alors cela ne posera pas de problème.

swissinfo.ch: La pression démographique se fait également sentir en Suisse. Combien notre pays pourra-t-il accueillir de nouveaux habitants?

P.W.: Selon les projections de l’Office fédéral de la statistique (OFS), nous devrions atteindre 9 millions d’habitants en 2050. Moi, je verrais bien une Suisse à dix millions d’habitants. La croissance démographique importante que connaît la Suisse est essentiellement due aux migrations de personnel hautement qualifié. Or pour qu’il y ait une telle migration, il faut des entreprises et des infrastructures adaptées, notamment en matière de transports et de logement. La Suisse rechigne parfois à réaliser de tels investissements. Mais je pense que la Suisse restera attractive pour les actifs étrangers.

swissinfo.ch: Une Suisse à dix millions d’habitants suppose un accroissement des migrations. Les citoyens le souhaitent-t-ils vraiment?

P.W.: La migration a été massive ces dernières années, avec des soldes migratoires annuels avoisinant les 80’000 personnes, soit la taille d’une ville comme Saint-Gall. Certes, l’opinion populaire est plutôt renfermée en matière d’immigration, mais le débat repose avant tout sur la proportion d’étrangers, qui reste relativement stable puisqu’il y a environ 40’000 naturalisations par année. La migration est acceptable tant qu’il y a intégration.

Taux de fécondité. Nombre d’enfants nés vivants des femmes d’un âge au cours de l’année, rapporté à la population moyenne de l’année des femmes du même âge. En additionnant les taux de fécondité par âge, de 15 à 49 ans, on obtient l’indice synthétique (ou conjoncturel) de fécondité. Celui-ci se monte à 1,98 enfant par femme pour la France, 1,50 pour la Suisse.

Transition démographique. Ce phénomène marque le passage d’une population passant d’un régime démographique à natalité et mortalité élevées à un régime présentant une natalité et une mortalité faibles. Durant la transition, la mortalité est plus faible que la natalité et la population augmente rapidement. C’est ainsi que la population mondiale est passée de 1,6 milliard d’individus en 1900 à 6,1 milliards en 2000.

Vieillissement. On dit qu’une population vieillit lorsque la proportion de personnes âgées augmente par rapport aux autres tranches d’âges. Le vieillissement démographique résulte de l’allongement de l’espérance de vie et surtout du recul de la fécondité. Le Japon détient le record mondial avec 38% de sa population qui aura plus de 65 ans en 2050.

Seuil de renouvellement des générations. C’est le nombre moyen d’enfants par femme nécessaire pour que chaque génération en engendre une suivante de même effectif. Dans les pays développés, il est de 2,10 enfants par femme, en raison de la très faible mortalité infantile.

Croissance. Depuis le début du 20e siècle, la population de la Suisse a plus que doublé, passant de 3,3 millions en 1900 à 7,8 millions en 2009. Cette année-là, la population suisse a augmenté de 83’950, essentiellement en raison du solde migratoire positif (74’587). L’augmentation de 0,7% du nombre de citoyens suisses (6’071’802) est due principalement aux naturalisations (43’440) mais aussi à un léger accroissement naturel (669).

Inversion. La pyramide des âges s’est considérablement modifiée au cours du 20e siècle. La proportion des jeunes (de moins de 20 ans) a régressé de 40,7% en 1900 à 21,0% en 2009, celle des personnes âgées (plus de 64 ans) a progressé de 5,8% à 16,8%. L’augmentation est particulièrement marquée (de 0,5% à 4,8%) pour les personnes du quatrième âge (80 ans ou plus).

Inégalités. Les femmes vivent plus longtemps que les hommes mais l’espérance de vie augmente légèrement pour ces derniers (79,8 ans) alors qu’elle stagne chez les femmes (84,4 ans).

Stabilisation. De 2,5 enfants par femme dans les années ’60, le taux de fécondité a diminué jusqu’au début des années 2000 pour atteindre 1,4 enfant par femme. Il est remonté légèrement depuis, passant à 1,5, et devrait se stabiliser à ce niveau jusqu’en 2050, selon les prévisions de l’Office fédéral de la statistique.

Source: Office fédéral de la statistique

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