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Une rocade gouvernementale qui fâche la presse

Selon certains journaux, le grand chambardement gouvernemental aurait été orchestré par la présidente de la Confédération Doris Leuthard. Keystone

«Putsch», «champ de bataille», «guéguerre partisane»: le grand chambardement au Conseil fédéral annoncé lundi n’est pas du goût de la presse suisse. Pour la majorité des éditorialistes, cette redistribution des ministères ne devrait pas ramener de la sérénité au gouvernement.

Dans les gazettes de ce mardi, Christian Levrat, le président du Parti socialiste, affiche un peu partout sa colère. Pour la première fois depuis 1960 et l’entrée durable des socialistes au Conseil fédéral, le PS ne dirigera en effet plus aucun des trois départements clés, à savoir les Finances, les Infrastructures et l’Intérieur.

L’incompréhension est partagée par la majorité des éditorialistes, qu’ils soient francophones ou germanophones. En votant en bloc (5 contre 2), la droite «prend le risque de marginaliser les socialistes minoritaires au gouvernement. On ne s’y prendrait pas mieux si on voulait pousser le PS à se radicaliser», estime ainsi Le Temps.

Pas de doute, la grande perdante de la rocade orchestrée par les partis de centre-droit se nomme Simonetta Sommaruga. Elle devient en effet la première socialiste à hériter du département de Justice et Police: «Un ‘honneur’ dont elle se serait bien passé, tant le contre-emploi est manifeste», souligne La Liberté.

«La police, l’immigration: cadeau pourri à la gauche qui, mercredi passé, a contribué à écarter Karin Keller-Sutter (ndlr: candidate libérale-radicale au gouvernement), taillée pour ce poste», ajoute le quotidien fribourgeois. Un avis partagé par la Basler Zeitung: «Au lieu de réguler l’économie, ce qu’elle aurait fait énergiquement et avec plaisir, la pianiste devra maintenant expulser des Nigérians et durcir la politique d’asile».

Sauver la soldate Widmer-Schlumpf

L’incompréhension est d’autant plus grande, qu’au même moment, Eveline Widmer-Schlumpf, bien que ministre en sursis puisque son siège est convoité par son ancien parti, l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice), «est promue aux Finances, un dicastère stratégique dont la conduite a besoin de continuité», rappelle Le Temps.

«Faut-il déceler les prémices d’une opération du Parti démocrate-chrétien (PDC / centre-droit) et des radicaux (PRD / droite) pour sauver la soldate Widmer-Schlumpf à la fin 2011?», questionne La Liberté. Selon Le Matin de Lausanne, le «putsch» du centre-droit aurait été effectivement prémédité bien avant la séance du Conseil fédéral de lundi. «Le téléphone de certains conseillers fédéraux n’a apparemment pas arrêté de sonner ce week-end», croit savoir le quotidien romand. Doris Leuthard et Eveline Widmer-Schlumpf, qui aspiraient toutes deux à changer de département, auraient été au centre de ces manigances.

Et la manœuvre semble avoir réussi: «Si la droite se frotte les mains, c’est que ce remaniement du gouvernement redistribue entièrement les cartes du jeu politique suisse», souligne Le Matin.

Une première depuis 50 ans

Si des rocades sont régulièrement pratiquées au sein du Conseil fédéral, c’est la première fois depuis cinquante ans et l’instauration de la «formule magique» qu’un tel bouleversement est observé, avec quatre dicastères sur sept qui changent de main. Cette nouvelle donne ne rassure pas le Tages-Anzeiger de Zurich, qui ne décèle «aucune trace du retour au calme espéré au Conseil fédéral, mais au contraire de nombreux signes laissant penser que 2011, année électorale au niveau national, sera particulièrement agitée et continuera à déstabiliser inutilement le système politique suisse.»

Même son de cloche dans Le Temps, pour qui «la répartition partisane des départements à laquelle le collège a procédé lundi accouche d’emblée d’une grave entorse à la concordance, du moins à son esprit». Le journal tessinois La Regione souligne que «si l’élection de deux nouveaux conseillers fédéraux avait été saluée la semaine dernière comme une occasion de renforcer la cohésion et la force de l’équipe gouvernementale, avec ce qu’il s’est produit hier, le moins que l’on puisse dire est que les choses n’ont pas démarré d’un bon pied».

Le journal de boulevard alémanique Blick s’en prend particulièrement à la présidente de la Confédération Doris Leuthard, «principale responsable de ce départ raté»: «Elle a mis son ego au travers du chemin. Et ce n’est pas la première fois. Déjà lors de l’affaire libyenne, elle n’a pas apaisé le jeu mais au contraire jeté de l’huile sur le feu».

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Formule magique

Ce contenu a été publié sur La formule magique répartit les sept sièges gouvernementaux entre les quatre principaux partis politique du pays d’après leur force électorale. La formule magique est un usage; elle ne repose donc sur aucune loi. Utilisée pour la première fois en 1959, elle accordait deux sièges au Parti socialiste, deux au Parti radical (PRD / droite), deux…

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Redistribution des cartes en 2011?

Quelques voix détonnent tout de même dans ce concert de réprobation à l’égard du Conseil fédéral. La presse argovienne prend ainsi la défense de «sa» conseillère fédérale, Doris Leuthard, jusqu’ici populaire présidente de la Confédération. «Si l’aiguillon fait si mal et que le Parti socialiste et l’UDC pestent contre ce ‘sombre jeux de pouvoir’, c’est parce qu’ils ont été battus avec leurs propres armes», estime l’Aargauer Zeitung. Et de poursuivre: «Pour une fois, les conseillers fédéraux du centre ont su imposer leurs intérêts (et ceux de leurs partis) et se sont assurés les départements clés».

Proche du Parti radical, la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) salue le fait que les conseillers fédéraux ont pris leur décision indépendamment des vœux de leurs partis: «Tous les départements clés sont désormais en mains du centre. Si l’on mesure ce changement à l’échelle de la politique réelle, ce n’est pas la plus mauvaise des solutions».

Et la NZZ rappelle que cette nouvelle répartition des portefeuilles est loin d’être scellée dans la roche. Dans une année, après les élections législatives, les cartes seront une nouvelle fois redistribuées. «La grande rocade sera-t-elle une simple péripétie dans la gouvernance chaotique de la Suisse ou prépare-t-elle l’avènement d’un nouveau régime qui suppose le sacrifice d’un parti gouvernemental? Réponse après les élections de 2011», conclut Le Temps.

Département fédéral des affaires étrangères(DFAE): Micheline Calmy-Rey
Suppléance: Didier Burkhalter

Département fédéral de l’Intérieur (DFI): Didier Burkhalter
Suppléance: Simonetta Sommaruga

Département fédéral de Justice et Police (DFJP): Simonetta Sommaruga
Suppléance: Eveline Widmer-Schlumpf

Département fédéral de la Défense, de la Protection de la population et des Sports (DDPS): Ueli Maurer
Suppléance: Johann Schneider-Ammann

Département fédéral des Finances (DFF): Eveline Widmer-Schlumpf
Suppléance: Micheline Calmy-Rey

Département fédéral de l’Economie (DFE): Johann Schneider-Ammann
Suppléance: Doris Leuthard, présidente de la Confédération

Département fédéral de l’Environnement, des Transports, de l’Energie et de la Communication (DETEC): Doris Leuthard, présidente de la Confédération
Suppléance: Ueli Maurer

Depuis 1848, l’Exécutif de la Confédération suisse se nomme Conseil fédéral.

Le Conseil fédéral se compose de sept membres.

Le Conseil fédéral est élu par le Parlement.

Le Parlement ne peut pas démettre le Conseil fédéral tout comme ce dernier ne peut pas dissoudre le Parlement.

Les sept membres du gouvernement prennent leurs décisions en commun.

Les fonctions de président de l’Etat ou de chef du gouvernement n’existent pas en Suisse. Le président de la Confédération, toujours élu pour une période d’un an, préside les séances du Conseil fédéral et assume une fonction protocolaire. Il n’a pas davantage de pouvoir que les six autres membres du gouvernement.

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