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Richter chez Beyeler: le chef d’œuvre de l’artiste allemand

Davos (1981) huile. Fondation Beyeler/Stefan T. Edlis Collection

Le multi-exposé Gerhard Richter a pris ses quartiers à la Fondation Beyeler de Bâle via une rétrospective de son œuvre organisée avec le curateur Hans-Ulrich Obrist. Une exposition saisissante qui révèle comment la schizophrénie artistique de Richter constitue peut-être la clé de son succès.

Seule une poignée d’artistes contemporains attire l’attention du monde et atteint des prix délirants comme ce créateur allemand de 82 ans. Richter a dépassé à plusieurs reprises, lors de ventes aux enchères, le record des prix et détient celui du plus grand nombre d’expositions pour un artiste vivant.

L’allure soignée et compacte, des lunettes aux montures transparente, Gerhard Richter se promène dans la Fondation Beyeler, l’air détaché. Il est sur le point d’affronter la presse qui a fondu sur Bâle comme une meute de loups affamés.

Lorsque Sam Keller – le directeur des lieux – annonce: «Gerhard Richter est l’artiste le plus influent de notre temps», il ne bronche pas. Lorsque Keller ajoute qu’aucun autre artiste contemporain n’a moins besoin d’une autre exposition, tous deux tournent la tête en direction du commissaire de l’exposition.

Encore adolescent, Hans Ulrich Obrist a engagé un dialogue avec Richter. C’était il y a 27 ans. Le commissaire de l’expo raconte comment il a convaincu l’artiste de venir à Bâle  en proposant d’explorer des thèmes jamais développés.

Considéré comme le curateur le plus important de son temps, Obrist a gardé l’enthousiasme contagieux d’un enfant et l’allure dégingandée d’un adolescent. Il parle couramment quatre langues et quand il le fait, il ne semble jamais prendre le temps de respirer.

Il explique à swissinfo.ch que son métier repose, avant tout, sur le dialogue. Après «de très longues heures de discussion», Richter et lui-même se sont accordés sur l’idée de montrer comment les cycles et séries, ainsi que la prise de conscience de l’espace, traversent l’ensemble de son œuvre.

Le paradoxe Richter

Quand un artiste explore tant de techniques et d’expressions, comme le montrait l’œuvre de Richter à sa cinquantaine, il peut paraître inconséquent. L’artiste a construit sa réputation sur des photos-peintures, des monochromes, des sujets flous et des peintures remaniées, pas exactement ce que l’on appelle communément du grand art.

Mais la reconstitution des séries qui ont caractérisé les œuvres de Richter – dont certaines sont réunies pour la première fois  – leur présentation commune sur les murs aérés du bâtiment de Renzo Piano, aboutit à une exposition remarquable. La cohérence entre les travaux devient soudain manifeste.

Michèle Laird

Quand l’expo devient œuvre d’art

Selon Sam Keller, c’est la plus belle exposition montée à la Fondation Beyeler depuis longtemps: «L’artiste y a vraiment mis sa patte, ce qui fait de cette exposition une œuvre d’art à part entière, au même titre que d’autres œuvres de Richter.»

Ce n’est pas tant l’art qui fascine, que sa mise en scène. Chaque salle raconte une histoire différente.

 

Eight Student Nurses (1966) tirée des premières photos – peintures de Richter, l’année où des meurtres horribles ont ensanglanté Chicago, fait face à la succession de portraits dissous de l’Annonciation après Titien (1973). L’ensemble mêle désolation et espoir.

La série Bach (1992) offre un sentiment d’harmonie et de joie paisible, tandis que les 15 photos de 18 Octobre 1977 (1988) donnent l’impression de marcher dans une morgue.

Quant à la galerie principale, elle défie la gravité: la présence d’une sculpture de verre massive mais éthérée, intitulée 12 Panes (Row) et réalisée en 2013 soulève la salle. Elle est placée entre six peintures monumentales Cage (2006) et six toiles rouges Abstract paintings Rhombus (1998) créées pour une chapelle de Renzo Piano qui n’a jamais été construite. L’ensemble donne l’impression que la salle entière flotte dans le jardin de la Fondation. La relation de l’art à l’espace qui préoccupe Richter ne pouvait être mieux illustrée.

Mais la véritable touche de magie, celle qui permet à l’exposition de se démarquer, tient aux petites peintures figuratives au charme irrésistible qui brisent les séries, des toiles pour lesquelles Richter est peut-être le plus connu. Hans Ulrich Obrist les appelle contrepoints, comme en musique. Une grande source d’inspiration pour Richter.

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Maître en dissolution

«Toutes les choses de qualité sont intemporelles, déclarait Richter dans une interview à l’occasion de son exposition 2011 à la Tate Modern (Londres). Les peintures montrent ce qui n’existe pas.»

La peinture épaisse et les contours parfois flous indiquent un sentiment d’urgence, comme si Richter tentait de dissoudre le temps en permettant aux sujets de disparaitre dans les tableaux.

Sa dernière incursion dans l’art numérique imprimé (Strip, 2013) suit le même principe de dissolution, selon Hans-Ulrich Obrist, parce que les couleurs Pantone de l’œuvre 1024 Colors (1973) ont été étirées numériquement.

Avec le magnifique 4900 Colors (2007) qui remplit une salle entière, ces œuvres posent la question de l’état de l’art quand il n’est pas fabriqué par l’artiste. Et pourtant, il ne s’agit pas d’une fabrique à la Warhol. L’artiste n’a pour aide que deux assistants et un directeur de studio, explique Obrist.

Bon à jeter

Pour un artiste au sommet du marché de l’art, Richter se montre étonnamment cinglant à l’égard de l’art contemporain. «L’art connait un processus de transformation», lance l’artiste durant la conférence de presse, ajoutant plus tard: «70 % de ce qui se fait est bon à jeter.»

Il n’y a plus de critères pour juger ce qui est un chef-d’œuvre ou non, at-il expliqué. Les canons du passé ont disparu, eux qui permettaient d’évaluer la qualité d’une œuvre d’art, comme dans le cas de la Joconde.

Un point de vue que l’on serait tenté d’appliquer à Richter lui-même. Il serait difficile de considérer l’un ou l’autre des tableaux de l’exposition comme un chef-d’œuvre, à part les œuvres figuratives qui ont fait sa célébrité, comme Betty (1988) Reader (1994) ou Ella (2007).

Le travail de Richter ne semble pas non plus contenir un message sous-jacent. Même sa période Fraction Armée Rouge est venue 11 ans après la chute du groupe terroriste et n’a jamais été suivi par d’autres manifestations politiques.

Se sont ses explorations, certains disent même sa schizophrénie, qui ont assuré sa place dans le panthéon des héros de l’art. C’est peut-être là que résident les nouveaux canons de l’art: la possibilité pour un artiste d’être un miroir de son temps, embrassant sans cesse le potentiel des nouvelles techniques.

Questionné à Bâle sur les sommes astronomiques dépensées pour ses peintures, Richter a admis que cela lui plaisait. Il a ajouté, amusé, que les gens riches meurent aussi et que les peintures qu’ils achètent peuvent très bien finir dans les musées, permettant à tout le monde de les voir.

Gerhard Richter est né à Dresde en 1932. Il s’est échappé d’Allemagne de l’Est à 29 ans, après des études à l’Académie des Beaux-Arts de Dresde, où il a appris la peinture murale.

Il s’installe à Düsseldorf en 1961 et noue l’année suivante une amitié avec Sigmar Polke (1941-2010), également un ancien d’Allemagne de l’Est. Il vit maintenant à Cologne.

En 1964, il réalise ses premières photo-peintures et monte sa première exposition.

Depuis lors, selon Artindex, Gerhard Richter a accumulé le plus grand nombre d’expositions de son vivant (1256), avant Bruce Nauman (1244) et Cindy Sherman (1006).

(Traduction de l’anglais: Frédéric Burnand)

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