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Vérités et mensonges de l’insécurité

Bertil Galland Collection personnelle

Bertil Galland s'est penché sur le best-seller d'un chef de police romand, Olivier Guéniat, qui rectifie, pour la Suisse et la France, notre vision de la délinquance des jeunes.

«Insécurité», «délinquance», des mots dont raffolent médias et milieux politiques, mais dont la hausse présupposée ne correspond guère à la réalité…

Le mal qui sème la terreur et qu’on désigne d’un mot, «l’insécurité», inspirait tous les débats lors des élections présidentielles françaises de 2002. Mais en mai 2007 nous avons vu l’Hexagone moins angoissé, bien que dans la nuit qui suivit la victoire de Sarkozy sur Ségolène Royal, des dizaines de voitures aient flambé à Paris, à Lyon et dans bien d’autres villes.

Des bandes de jeunes enfoncèrent des vitrines. La politique offrait aux jeunes l’occasion de se fournir en électronique et en vêtements de marque. Sur ces déprédations, on nota la soudaine discrétion des médias, mobilisés, il est vrai, par les liesses et les commentaires électoraux.

La faible réaction à cette nouvelle traînée d’événements criminels rompait avec les habitudes de la télévision française. Elle peut s’expliquer par la crainte soudaine de voir ces nouveaux exemples faire tache d’huile, ou par l’intérêt convergent de la droite et de la gauche.

La première, à la veille du troisième round électoral, ne veut pas que rebondisse la polémique sur les «provocations» de l’ex-ministre de l’intérieur. Quant au camp perdant, il sait que la publicité des violences accentue le vote à droite. Mais la France, sans trop en parler ces jours-ci, perçoit que les violences juvéniles couvent. Elle attend de voir si les réformes promises par le président élu les calmeront ou les enflammeront.

Dans l’éclaircie politique indiscutable apportée à la France par un vote massif et faiblement protestataire, persiste une incertitude. Le sentiment positif, pour tout un peuple, de tourner la page et de repartir à pas vifs, avec un personnel politique d’une génération nouvelle, n’a pas dissipé l’«insécurité», entretenue par deux phénomènes de nature explosive et qu’il faut distinguer: l’intégration ratée des enfants d’immigrants dans «les cités» et l’aggravation générale de la criminalité des mineurs. Mais est-il bien vrai que la situation empire?

Le matraquage médiatique

Laissons à la France le problème posé par ses banlieues et considérons ici la délinquance croissante des jeunes, dont on se persuade que c’est le mal de notre temps, dans tous les pays. Le chef de la police judiciaire du canton de Neuchâtel, Olivier Guéniat, affirme que dans une bonne mesure nous nous trompons.

Il vient de publier à Lausanne une analyse qui soulève de tels échos qu’après dix jours, malgré un fort tirage, son livre a dû être remis sous presse. Ce best-seller, «La délinquance des jeunes – L’insécurité en question», parle de la France, scrute les effets de la médiatisation d’actes violents commis par les mineurs, mais il offre surtout sur la Suisse des statistiques précises et parfois inédites. Celles-ci démontrent que globalement le nombre des délits juvéniles a baissé par rapport aux années 1980. En France, dans de nombreuses régions, il ne s’est pas alourdi non plus.

Mais alors pourquoi le sentiment d’insécurité que révèlent les sondages d’opinion? Pour deux raisons. On observe d’abord que le comportement des gens, majeurs ou mineurs, est devenu de nos jours plus brutal. Moins de délits, mais ceux qui sont commis sont beaucoup plus souvent accompagnés de violence.

Ensuite, le chef de police dénonce ouvertement l’exploitation de cette violence par les médias. Selon les comptes de Guéniat, un journal romand a consacré 29 articles à l’affaire du jeune Michaël tué à la gare d’Yverdon par d’autres jeunes en 2003.

En France, aux élections présidentielles de 2002, TF1 a traité 41 fois le thème de l’insécurité dans ses nouvelles de 13 heures pendant le seul mois de mars et une autre chaîne, France 2, lui a consacré 63 sujets. Un tel matraquage suffit pour terrifier la France, la Suisse et la Navarre.

Les jeunes entraînés dans une réalité virtuelle

Ayant suivi de près l’élaboration, par Olivier Guéniat, de «La délinquance des jeunes», comme responsable de la collection «Le savoir suisse» qui l’a publié, j’ai été frappé par l’originalité de sa triple approche.

Face à l’un des problèmes qui inquiètent vivement notre époque, sa vision «rectifiée» est née d’abord de la confrontation de statistiques diverses. Ensuite des affaires qu’il a dû traiter comme policier et qu’il rapporte par le détail en cachant les identités. Mais il rend vivantes, jusque dans l’absurdité ou le tragique, quelques destinées authentiques d’adolescents perturbés de nos régions.

Enfin l’auteur a trouvé le temps de lire beaucoup sur les recherches criminologiques, anciennes ou toutes récentes, ici et dans d’autres pays. Ainsi la violence des jeunes est-elle mise en perspective. Si nuancés que soient les jugements d’Olivier Guéniat, ils ont une netteté singulière. Ils invitent à réagir à certaines dérives réellement effrayantes de la société contemporaine.

Les jeunes sont devenus un marché sur lequel est déversé une foison de marques et un inimaginable bataclan électronique qui a fait imploser le budget des familles. La pression publicitaire excite le besoin de posséder, fût-ce par vol ou par extorsion, mais n’empêche nullement un sentiment d’ennui.

C’est lui qui pousse certains mineurs à des délits sans raison, tel l’incendie d’une école. La pratique d’internet et des jeux vidéos, et leur offre permanente de scènes brutales ou pornographiques à l’infini, a produit une réalité virtuelle que les adolescents confondent avec le vrai. Ils croient qu’il suffira de zapper, après un usage d’explosifs ou des coups mortels, pour effacer les dégâts commis.

A ce bal des sorcières s’ajoutent, dans l’inventaire de la délinquance actuelle, progressant en intensité sinon en nombre de cas, les méfaits terribles de drogues devenues plus agissantes, le règne des bandes avec leurs petits caïds, les filles soumises au viol en série des «tournantes» et le tournoiement, sur le Net, des vautours de la pédophilie.

Guéniat conclut en décrivant l’arsenal des lois et dispositifs dont s’arme aujourd’hui la Suisse pour répondre à ces menaces.

swissinfo, Bertil Galland

Bertil Galland est né en 1931 à Leysin (Vaud) d’un père vaudois et d’une mère suédoise.

Après des études de lettres et de sciences politiques, il se forme comme journaliste.

Il est également actif dans l’édition. Il dirige d’abord les «Cahiers de la renaissance vaudoise» de 1953 à 1971, puis crée sa propre maison d’édition en 1971.

Entre autres activités, il traduit en français des œuvres scandinaves et crée la collection CH pour faire connaître les auteurs alémaniques et tessinois au public francophone.

Au plan journalistique, il participe à la création du «Nouveau Quotidien» en 1999.

Bertil Galland vit actuellement entre Lausanne et Richmont (Bourgogne).

Né en 1967 à Porrentruy (Jura), Olivier Guéniat est titulaire d’un doctorat de l’Institut de police scientifique et de criminologie de l’Université de Lausanne.

1992-1997: chef du service de l’identité judiciaire de la police cantonale du Jura.

Depuis 1997: chef de la police de sûreté du canton de Neuchâtel.

Olivier Guéniat publie «Délinquance des jeunes» dans la collection Savoir suisse aux Presses polytechniques fédérales romandes.

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