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A Malaga, on réinvente aussi le choc des civilisations

Elisabeth Fernandez doit porter la toge lors de ses plaidoiries devant la justice andalouse (DR). DR

L’année qui s’achève fut particulièrement accidentée pour la Suisse: UBS, Libye, Polanski, minarets... Quel impact pour l’image helvétique? Swissinfo.ch a questionné plusieurs Suisses de l’étranger. Elisabeth Fernandez, installée à Malaga, s’est prêtée à l’exercice.

La crise, rien que la crise. Toute l’Espagne est obnubilée par les courbes grimpantes du chômage et de la dette, et celles décroissantes du PIB et du pouvoir d’achat. A Malaga, Elisabeth Fernandez est en première ligne. Au sein de son étude, cette jeune Neuchâteloise de 27 ans qui a décidé de lancer sa carrière juridique dans le pays de ses parents, passe la majeure partie de son temps à régler des affaires de poursuites. «Pour le plaignant, la cause est souvent perdue d’avance, puisque personne n’a les moyens de payer», lance-t-elle sans ambages.

Plongée dans la récession, l’Espagne n’a donc pas trop le temps de s’occuper des soucis de ses voisins. Mais en Andalousie, les affaires UBS et Polanski, un peu, et surtout le vote sur les minarets, ne sont pas pour autant passés inaperçus. Car sur cette terre historique de conquête mauresque, les relations avec la nouvelle vague d’immigrés maghrébins sont source de très haute tension.

swissinfo.ch: UBS a triché en contournant la loi pour attirer des clients américains et les aider à passer outre le fisc de leur pays. Un sale coup pour la place financière suisse et son secret bancaire. Le scandale a-t-il eu des répercussions à Malaga?

Elisabeth Fernandez: Cette affaire n’a pas tellement occupé les médias en Espagne. Evidemment, les Espagnols sont conscients que le droit bancaire suisse a toujours favorisé l’entrée des capitaux étrangers. Quand on parle d’évasion fiscale, les premiers pays cités sont la Suisse et Andorre. Mais l’opinion voit les banquiers suisses comme de très grands professionnels. Par conséquent, les déboires d’UBS ont quelque peu surpris.

swissinfo.ch: Pour répondre à une demande d’extradition des Etats-Unis, la justice suisse a obtenu l’arrestation du cinéaste franco-polonais Roman Polanski, puis sa mise en résidence surveillée dans son chalet de Gstaad. Quelles ont été les réactions à cette affaire à Malaga et comment juge-t-on l’attitude de la Suisse?

E.F.: Les médias ont parlé d’un «coup bas» fait à Roman Polanski, puisqu’il a été arrêté alors qu’il était invité du Festival de Cinéma de Zurich. Les Espagnols ont été surpris de voir que des délits sexuels puissent être poursuivis aussi longtemps. L’imprescribilité n’existe dans la législation espagnole que pour le génocide et d’autres délits commis lors de conflits armés. Je ne suis d’ailleurs pas certaine que les autorités espagnoles auraient répondu favorablement à la demande d’extradition des Etats-Unis. Il n’est pas impossible que la Suisse ait voulu marquer des points dans une période où les relations avec les Etats-Unis n’étaient pas au beau fixe. Mais sur le fond de l’affaire, je trouve plutôt normal que Roman Polanski réponde de ses actes devant la justice, même si longtemps après.

swissinfo.ch: Deux citoyens suisses sont bloqués en Libye depuis qu’en Suisse, la police genevoise a temporairement mis en détention le fils Kadhafi. Une affaire qui a rebondi tout au long de l’année et conduit le président de la Confédération à s’excuser auprès de Tripoli. Dans cette affaire, comment juge-t-on la Suisse à Malaga et comment explique-t-on son incapacité à trouver une solution à cette crise?

E.F.: Cette affaire n’a eu aucun impact en Espagne. Je me suis tenue informée des événements grâce aux médias suisses. C’est très difficile de mener une conciliation dans un tel cas, l’Espagne en sait quelque chose. Nous sommes souvent confrontés ici à des affaires d’Etat, qui ont également peu de résonances dans les pays non concernés.

Récemment, le cas de Aminatou Haidar, une militante des droits de l’homme marocaine qui lutte pour l’indépendance du Sahara occidental, a défrayé la chronique. Elle avait entamé une grève de la fin dans un terminal d’aéroport aux Canaries pour dénoncer l’interdiction qui lui a été faite de retourner au Maroc. L’Espagne et le Maroc ont mis plus d’un mois à trouver un accord. Autre affaire sensible, celle d’un navire espagnol pris en otage par les pirates au large de la Somalie. Apparemment, le gouvernement aurait payé une forte rançon pour libérer les otages, ce qui a suscité la polémique.

La Suisse risque aussi d’ailleurs de devoir mettre la main au portemonnaie pour faire libérer ses ressortissants. De manière plus générale et au-delà de l’affaire libyenne, on a le sentiment en Espagne que la Suisse se trouve isolée tant au niveau européen qu’international. On a de la peine à comprendre pourquoi la Suisse ne fait toujours pas partie de l’Union européenne. C’est une incompréhension tout à fait légitime, puisque l’Espagne doit son développement économique aux aides de l’UE. On appréhende d’ailleurs fortement ici l’échéance de 2013 et la fin annoncée des aides communautaires à l’Espagne.

swissinfo.ch: Le peuple Suisse dans sa majorité a décidé en votation d’inscrire dans la Constitution l’interdiction de construire de nouveaux minarets. Comment a été reçue cette décision à Malaga et lui voit-on des conséquences particulières?

E.F.: On a clairement perçu cette décision de la population suisse comme une démonstration d’anti-islamisme et de racisme. Les émissions satiriques en ont d’ailleurs fait leur fond de commerce pendant quelque temps. Mais mon sentiment, c’est que la même votation ici donnerait le même résultat et le pourcentage en faveur de l’interdiction serait certainement même bien plus élevé. Il y a en Andalousie un très fort ressentiment à l’égard des immigrés maghrébins et par conséquent de l’islam.

J’y vois deux explications: d’une part, les attentats de Madrid sont encore bien présents dans les esprits. D’autre part, la crise économique et le chômage massif exacerbent les rancoeurs à l’égard d’une population étrangère accusée de voler le travail des Espagnols. L’association entre immigrés maghrébins et délinquance est par ailleurs systématique. La haine et le racisme ont atteint un niveau très inquiétant. Les Espagnols ont tendance à oublier qu’il y a quelques années, c’est eux qui fuyaient leur pays pour aller trouver meilleure fortune dans les autres pays européens, dont la Suisse. Je constate aussi un déficit d’éducation. Les jeunes ne s’intéressent pas trop à la politique et ont tendance à adhérer à des thèses simplistes.

Pour en revenir à la votation suisse, je pense que de profondes divisions risquent d’apparaître entre les musulmans et les non-musulmans, comme c’est le cas ici, alors qu’il n’y avait apparemment aucun problème au départ. Je trouve cela dommageable.

swissinfo.ch: Quelle est votre évaluation personnelle de ces différents événements et en quoi ont-ils modifié votre situation de Suisse de l’étranger?

E.F.: Je pense que la Suisse est en train de traverser une période difficile à tous les niveaux. La Suisse n’est plus le pays idéalisé d’antan et ces différentes affaires tendent à renforcer cette perception. Autrement, ma situation à Malaga n’est pas affectée par ces évènements, même si parfois je dois supporter quelques commentaires ironiques. On m’a par exemple tancé sur l’efficacité légendaire des Suisses :’Roman Polanski n’a même pas eu le temps d’atterrir qu’il était déjà en prison’, ai-je notamment entendu.

Samuel Jaberg, swissinfo.ch

Née à Neuchâtel de parents espagnols, Elisabeth Fernandez a quitté la Suisse à l’âge de 18 ans pour étudier le droit à l’université de Malaga. Après l’obtention de son diplôme puis de son brevet d’avocat, elle a été engagée dans une petite étude spécialisée dans le droit civil et du commerce située au centre-ville de Malaga.

Son salaire d’avocate est 3 à 4 fois inférieur à ce qu’elle toucherait en Suisse pour un travail similaire. «Mais je suis encore relativement chanceuse puisqu’il y a énormément de jeunes bardés de diplômes qui ne trouvent pas de travail à Malaga».

Malaga est une ville située en Andalousie, au sud de l’Espagne. Elle compte environ 600’000 habitants, ce qui en fait l’une des plus grandes métropoles du pays. Bénéficiant d’un climat clément toute l’année, Malaga est une destination touristique de premier ordre en Espagne. L’hôtellerie, le commerce et les transports sont les secteurs les plus importants de l’économie locale.

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