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Et si Schengen allumait une guerre des polices?

Keystone Archive

Un contrôle d'identité par des gardes-frontière dans un train Intercity fait des vagues. L'intervention n'a pas été du goût de tout le monde, mais les douanes rétorquent que leurs tâches ont changé depuis l'entrée dans l'espace Schengen.

Le 7 janvier, les passagers du train Intercity Berne-Fribourg ont eu la surprise de voir monter trois douaniers du Corps des gardes-frontière (Cgfr), lesquels ont procédé à des contrôles d’identité. Des passagers ont posé des questions et se sont dit ensuite choqués par l’attitude des douaniers qui auraient contrôlé exclusivement des personnes de couleur et de manière peu amène.

Le problème, c’est qu’il y avait un journaliste de La Liberté à bord dudit train et qu’il en a fait un article d’une page. Le quotidien fribourgeois a également donné la parole au commandant de la police cantonale Pierre Nidegger. Très mécontent de ne pas avoir été prévenu, celui-ci a précisé qu’«aucune convention n’avait encore été signée avec le Cgfr» et que, par conséquent, rien ne justifiait sa présence dans un train intérieur des Chemins de fer fédéraux (CFF).

Ces derniers n’étaient pas plus informés de l’opération, selon leur porte-parole Jean-Philippe Schmidt. Bref, tous les ingrédients étaient donc réunis pour donner le jour à une «affaire».

Le fédéralisme a la peau dure

Si l’incident fait sensation c’est que, depuis que la Suisse est entrée de fait dans l’espace européen sans frontières intérieures de Schengen, les contrôles d’identités systématiques aux frontières ont été supprimés.

Du coup, les frontières intercantonales ont sauté et le contrôle douanier peut désormais être effectué sur tout le territoire helvétique, notamment sur les autoroutes ou dans les trains.

Mais le fédéralisme a la peau dure et les polices cantonales défendent jalousement leurs prérogatives. Elles ne peuvent donc que s’offusquer de voir les gardes-frontière piétiner leurs plates-bandes. Cela pourrait même provoquer une «guerre des polices», selon le conseiller national (député) Yvan Perrin.

Dans une interview au journal Le Matin, le vice-président de l’Union démocratique du centre (UDC, droite nationaliste), a estimé que des contrôles dans les trains intérieurs sans en informer la population pourrait provoquer des «bavures». Enfin, cette mauvaise communication fait passer les policiers pour «des guignols».

La nouvelle donne de Schengen

«Les contrôles ne peuvent s’effectuer que dans les trains internationaux ou en transit et dans un rayon de 50 km à vol d’oiseau de la frontière. Pour le reste, le Cgfr doit signer des conventions avec chaque police cantonale», précise Roger Schneeberger, secrétaire général de la Conférence des directeurs des départements cantonaux de justice et police (CCDJP).

Or le contrôle du 7 décembre se situait à… 70 km de la frontière nationale et Fribourg, canton non frontalier, n’a pas encore signé de convention avec les douanes.

Yvan Perrin a souligné par ailleurs que, comme la majorité des postes de douane ont été supprimés, il faut «bien trouver une activité» aux 1900 gardes-frontière suisses et que «c’est plutôt positif qu’une police nationale se crée» enfin.

«Nouvelle stratégie»

Au Cgfr, Thomas Schrämli explique que l’intervention de la semaine dernière fait partie de la «nouvelle stratégie» et des nouvelles attributions d’un poste de douane créé à Berne.

«Les trois gardes-frontière sont descendus du train à Fribourg mais ils ont procédé à leurs contrôles alors que l’Intercity se trouvait encore sur territoire bernois. Or nous avons signé une convention avec la police bernoise qui nous donne les compétences d’intervenir. En plus, nous ne sommes pas tenus d’informer à chaque fois les CFF», ajoute le porte-parole de la douane.

De son côté, au service de presse de la police cantonale bernoise, Olivier Cochet confirme ces affirmations. Mais Thomas Schrämli reconnaît que cela peut «effectivement paraître bizarre» aux pendulaires qui, pour se rendre à leur travail, pourraient avoir à subir, outre la vérification de leur billet, un contrôle d’identité à la gare par la police cantonale, un autre dans le train par la police ferroviaire et… un contrôle du Cgfr…

Il semblerait donc que tout soit allé trop vite et que la population n’a pas été suffisamment informée. En outre, seule une petite minorité de cantons non frontaliers ont signé jusqu’ici les fameux accords de collaboration avec le Corps des gardes-frontière.

Un certain flou

Si certaines polices cantonales traînent les pieds, c’est peut-être aussi parce que le Cgfr a des tâches à la fois douanières et de sécurité. Autrement dit, il contrôle non seulement les marchandises, mais aussi l’identité de personnes qui semblent suspectes. Et c’est ce dernier point qui gêne les cantons.

Reste que toutes les parties contactées par swissinfo ne tiennent pas tout à fait le même langage et qu’un certain flou demeure sur les prérogatives des uns et des autres. «S’il n’y avait pas eu un journaliste de la Liberté dans ce fameux train, la chose n’aurait pas été pareillement montée en épingle», a notamment déclaré l’un d’entre eux, «off the record» bien sûr.

Enfin pour ce qui est du traitement des gens de couleurs, Thomas Schrämli rétorque que les gardes-frontière sont formés de manière politiquement correcte et sont «sensibilisés aux dangers d’un comportement qui pourrait prêter à confusion».

Cela dit, il y a fort à parier que les différents partenaires vont devoir se coordonner et améliorer leur communication.

swissinfo, Isabelle Eichenberger

Depuis le 12 décembre 2008, la Suisse fait partie de Schengen, l’espace européen sans frontières intérieures.

L’identité des personnes qui franchissent les frontières terrestres qui séparent la Suisse des pays de l’UE qui l’entourent n’est plus systématiquement contrôlée.

Cette disposition sera étendue dès le 29 mars aux aéroports helvétiques.

Le Corps des gardes-frontière (Cgfr) est l’organe de sécurité civil et national. Il fait en même temps partie de l’Administration fédérale des douanes et du Ministère des finances. Il accomplit des tâches de sécurité et fiscales.

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