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La BM salue la restitution des fonds Abacha

Sani Abacha aurait volé plus de 2 milliards de dollars à son pays. Keystone

Pour la Banque Mondiale (BM), la restitution par la Suisse des fonds Abacha est un précédent important. Mais d'aucuns critiquent la lenteur de la démarche.

Berne a officiellement remis 290 millions de dollars au Nigeria. Ce montant fait partie des fonds volés à son pays par feu le dictateur Sani Abacha.

Le Département fédéral de justice et police (DFJP) avait donné début septembre son feu vert au paiement de cette première tranche de 290 millions de dollars sur un montant total de 460 millions. Les 170 millions restants doivent être convertis en liquide avant d’être remis à Abuja.

L’ancien dictateur Sani Abacha est soupçonné d’avoir détourné 2,2 milliards de dollars à l’étranger de 1993 jusqu’à sa mort en 1998. Quelque 700 millions ont été trouvés sur des comptes suisses. 200 millions de dollars avaient déjà été versés auparavant au Nigéria.

Un exemple pour les autres

Le président de la Banque mondiale Paul Wolfowitz a salué la collaboration entre la Suisse, le Nigeria et son institution. Selon lui «la restitution des fonds Abacha démontre qu’il n’y a plus d’endroits sûrs pour l’argent volé». Et d’espérer que la démarche suisse «puisse servir d’exemple à d’autres Etats».

Côté suisse, le secrétaire d’Etat aux Affaires économiques Jean-Daniel Gerber a indiqué que Berne soutenait la lutte des autres pays contre la criminalité et pour la bonne gouvernance. Selon lui, la restitution de fonds volés peut servir «de levier pour combattre la corruption».

«Ces sommes représentent une part substantielle du financement de la politique de développement que veut engager le Nigeria», a ajouté Jean-Daniel Gerber. Quant à la collaboration avec la BM – scellée par un accord signé le 1er septembre -, elle permettra «de vérifier que les fonds soient utilisés de manière efficace».

Utilisation à surveiller de près


Un bel optimisme que ne partagent pas forcément les Organisations non-gouvernementales (ONG) suisses membres de la «Coalition pour une restitution juste et transparente des fonds Abacha». «Il y a des ONG sur place qui ont bien plus d’expérience pour superviser l’affectation des fonds», souligne ainsi Andreas Missbach, de la Déclaration de Berne.

Pour lui, la Suisse doit s’assurer elle-même que l’argent profite aux régions particulièrement lésées par le régime Abacha, notamment le delta du Niger, où les revenus de la production pétrolière ont largement servi en son temps à alimenter la fortune du clan au pouvoir.

La Déclaration de Berne propose donc que cette surveillance soit confiée au Secrétariat d’Etat à l’économie (seco) et à la Direction du développement et de la coopération (DDC), en collaboration avec des ONG nigérianes. «Le peuple nigerian dépouillé doit être dédommagé. C’est pour cela que l’utilisation de l’argent est si importante», affirme Andreas Missbach.

Abuja satisfait


Côté nigérian, on pense toutefois que l’accord passé avec la BM est «légitime». «Il permettra d’établir de façon certaine que le fonds sont utilisés pour les projets que le Nigeria a désigné», indique Enrico Monfrini, l’avocat qui représente les intérêts du Nigeria en Suisse,.

Depuis Washington, la ministre des finances nigériane Ngozi Okonjo-Iweala a assuré qu’il n’y avait aucune raison de douter de l’honnêteté du gouvernement nigérian. «Nous n’avons pas besoin de contrôles», a-t-elle poursuivi, appelant tout de même la communauté internationale à mettre en place des mécanismes pour faciliter la lutte contre la corruption.

La ministre a également félicité la Suisse pour cette restitution d’argent volé. Elle a toutefois souhaité que les 220 millions de francs (170 mios $) restants soient rapidement versés à son pays. Elle a en outre dit qu’Abuja voulait prouver que 52 millions (40 mios $) supplémentaires placés en Suisse appartenaient au Nigéria.

Le solde, et vite !

Ngozi Okonjo-Iweala n’est pas seule à souhaiter une restitution rapide du solde des fonds Abacha. Pour Enrico Monfrini, «le Nigéria considère comme une humiliation supplémentaire de devoir attendre encore la livraison de son argent». L’avocat estime que «la Suisse tergiverse, ce qui n’est pas très élégant».

«La Suisse a tout intérêt à restituer cet argent le plus vite possible», rétorque Livio Zanolari, porte-parole du ministère de Justice et Police. Et d’expliquer que les millions restants doivent d’abord être convertis en liquide avant d’être remis à Abuja.

La presse nigériane fait elle aussi écho au reproche de lenteur. Dans son édition du 9 septembre, le Daily Trust, journal édité à Abuja, affirme ainsi que, par son attitude, le gouvernement suisse dénigre le Nigeria et notamment la «croisade anti-corruption» du président Obasango.

Le Daily Champion de Lagos n’hésite pas, lui, à accuser la Suisse d’utiliser les soupçons de corruption à l’égard du gouvernement «comme excuse pour retenir illégalement les fonds Abacha».

swissinfo et les agences

– Entre 1993 et 1998, Sani Abacha a profité de son pouvoir absolu sur le Nigeria pour détourner plus de 2,2 milliards de dollars (2,8 milliards de francs suisses) de fonds publics.

– Près de 700 millions de dollars ont été retrouvé et gelés sur des comptes en Suisse.

– En décembre 2003, la Suisse a restitué au Nigeria une première tranche de 200 millions de dollars.

– Mardi la Banque Mondiale a confrimé la restitution de 290 millions de dollars supplémentaires.

– Il reste donc en Suisse 170 millions de dollars et 40 autres millions, dont le Nigeria doit encore prouver qu’ils lui reviennent.

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