La Suisse inaugure la diplomatie du mégaphone
Le gouvernement suisse change de ton. Il dénonce haut et fort «la nette aggravation des violations du droit humanitaire» au Proche Orient.
«Le Conseil fédéral est consterné par la dégradation dramatique de la situation au Proche Orient et par l’ignorance des règles universelles protégeant la vie humaine, les activités du CICR et des autres acteurs humanitaires, les hôpitaux, les camps de réfugiés et les lieux saints tels que la basiliques de la Nativité à Bethléem».
Les propos tenus mercredi par le ministre suisse des Affaires étrangères, Joseph Deiss, à l’issue de la réunion hebdomadaire du Conseil fédéral, sont clairs et nets.
Au point que le professeur Victor-Yves Ghebali y voit l’émergence d’une nouveauté dans le mode d’expression des positions défendues par la Suisse: il l’a qualifie de diplomatie du mégaphone.
La nécessité d’un cessez-le-feu immédiat
«Jusqu’à récemment, les prises de position de la Suisse sur la scène internationale étaient discrètes. Aujourd’hui, Berne les affirme haut et fort. Il ne s’agit pas d’un changement de fond, mais de ton», précise Victor-Yves Ghebali, de l’Institut universitaire de hautes études internationales.
Prenant la mesure d’un conflit «menaçant désormais la sécurité internationale», le gouvernement suisse réclame le retrait immédiat des forces israéliennes des villes occupées.
Il va même jusqu’à demander «la libération immédiate et sans conditions de Yasser Arafat», le président de l’Autorité palestinienne. Un leader palestinien à qui Berne demande de «lancer un appel à l’arrêt de tous les attentats terroristes».
Berne invoque enfin la nécessité d’un cessez-le-feu immédiat et la reprise du dialogue politique. Mais «avant même un cessez-le-feu, les règles humanitaires doivent être respectées par tous et sans conditions», martèle le Conseil fédéral.
Bons offices humanitaires
«La Suisse a fini par comprendre que ne pas prendre position ne servait à rien», estime de son coté l’ancien ministre des Affaires étrangères René Felber. Un constat renforcé par le «oui» populaire le 3 mars dernier à l’entrée de la Suisse à l’ONU. «Ce vote a ouvert la voie à une diplomatie active», souligne Victor-Yves Ghebali.
Cette ouverture permet à la Suisse de mieux défendre son domaine de prédilection sur la scène internationale: le droit international humanitaire.
Raison pour laquelle Berne a officiellement chargé mercredi le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) d’entreprendre des «démarches diplomatiques» auprès de l’Union européenne (UE), des Etats-Unis, de la Russie et de l’ONU pour qu’ils intègrent mieux les questions humanitaires dans leurs efforts de paix.
Cela dit, la diplomatie suisse n’a jamais cessé de remplir son mandat. Comme en témoigne l’entretien téléphonique que Joseph Deiss a eu mardi avec son homologue espagnol Josep Piqué à la veille du sommet de Madrid.
Ce sommet a réuni, outre Josep Piqué, le secrétaire d’Etat américain Colin Powell, son homologue russe Igor Ivanov, le représentant de l’UE pour la politique extérieure Javier Solana et le secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan. Ils ont également exhorté Israël à cesser ses opérations militaires en territoires autonomes et à en retirer immédiatement ses forces.
La Suisse n’a pas manqué de faire une offre de «bons offices humanitaires». Une démarche qui sera réitérée vendredi à Genève à l’occasion d’une rencontre entre Joseph Deiss et Kofi Annan.
Poussant plus loin encore le souci de cohérence, le gouvernement suisse a également décidé de tirer toutes les conséquences du respect du droit international humanitaire. En se l’appliquant à lui-même.
Cette législation, qui permet notamment de qualifier Israël de puissance occupante, implique en effet une réévaluation des relations commerciales et militaires avec l’Etat hébreu.
Berne a donc chargé le ministère de la défense d’examiner les moyens de restreindre sa coopération militaire avec Israël. Pour sa part, le ministère de l’économie a été chargé de se pencher sur les importations de produits fabriqués dans les colonies de peuplement. Une décision à laquelle Pascal Couchepin, ministre de l’économie, était portant opposé.
swissinfo/Frédéric Burnand
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