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La caisse maladie unique: une solution ou un problème?

Tout le monde estime que la charge financière de l'accès aux soins doit absolument diminuer. Le problème, c'est comment? Ex-press

Passer de la diversité des caisses privées à une institution publique nationale pour l'assurance-maladie de base: c’est la proposition soumise à l'électorat suisse. Ses partisans affirment qu’elle contribuera à freiner la hausse des primes d'assurance, ce qui n’est pas du tout l’avis de ses opposants.


En Suisse, tout le monde a l’obligation de s’assurer pour les soins médicaux de base. Chacun peut s’affilier auprès de la caisse de son choix. Actuellement, elles sont 61 à être autorisées à opérer dans l’assurance de base qui, selon la loi, n’a pas de but lucratif mais a pour objectif de garantir à tous un accès à des prestations de qualité.

Les primes d’assurance sont individuelles et indépendantes du revenu. Elles varient en fonction de la caisse maladie, de la classe d’âge et du lieu de domicile. Les assurés peuvent obtenir des rabais en choisissant par exemple une franchise plus élevée ou une limitation du choix du médecin. Les moins favorisés ont droit à des réductions de primes, subventionnées par l’État et fixées par les cantons.

Prévisions en chiffres

Le coût du passage de 61 caisses privées à une caisse publique oscillerait entre 1,56 et 2,15 milliards de francs, selon les calculs de l’Institut d’économie de la santé de Winterthur mandaté par Alliance santéLien externe.

L’Office fédéral de la santé publique (OFSP)Lien externe indique que ces coûts sont «difficiles à estimer. Ils dépendent notamment des modalités d’application de l’initiative et du temps nécessaire au fonctionnement effectif de la caisse publique.»

Par contre, selon l’économiste de la santé Anna Sax mandatée par le PS, le changement offrirait un potentiel d’économie de 300 à 350 millions de francs sur les coûts administratifs. À moyen et long terme, grâce à une coordination et à programmes structurés des soins pour malades chroniques, on pourrait même économiser 5-10% des coûts.

La progression des coûts de la santé semble inexorable: en 2012, ils ont dépassé les 68 milliards de francs, dont plus de 24 milliards couverts par l’assurance de base. Personne ne nie que les coûts de la santé pèsent lourdement sur les primes, mais la gauche et les association de défense des assurés accusent depuis des années les caisses de s’enrichir sur le dos des affiliés grâce à divers stratagèmes.

Dans le passé, la gauche a déjà lancé deux initiatives populaires visant à changer le système, toutes deux rejetées en votation populaire à une large majorité. L’une d’elles demandait que l’assurance obligatoire de base soit gérée par des caisses publiques, l’autre qu’elle soit confiée à une caisse unique. Les deux textes demandaient en outre un calcul des primes en fonction du revenu des assurés.

Cette dernière revendication a été abandonnée dans la nouvelle initiative «Pour une caisse publique d’assurance-maladie»Lien externe, déposée par le Parti socialiste, les Verts et les organisations de défense des consommateurs et des patients. La proposition sera soumise au peuple le 28 septembre. Le texte prévoit la création d’une seule institution nationale pour l’assurance sociale contre les maladies, avec des agences cantonales ou intercantonales. Quant aux primes, elles seraient fixées selon les cantons et calculées sur la base des coûts de l’assurance.

Tout le monde veut une améliorations, mais…

Tout en reconnaissant la nécessité d’améliorer le système actuel, le gouvernement et une majorité du parlement, composée de la droite et du centre, s’opposent au projet en invoquant des coûts supplémentaires et des problèmes d’application.

«Il est juste que les assurés soient libres de choisir leur caisse et d’en changer s’ils ne sont pas satisfaits. On crée ainsi une concurrence qui encourage les caisses à contenir les coûts. Dans une situation de monopole, tout cela n’existe pas», affirme la députée démocrate-chrétienne (PDC) Barbara SchmidLien externe-Federer, par ailleurs aussi co-présidente du comité contre l’initaitive alliance santéLien externe

Primes uniformes?

Le texte allemand de l’initiative indique qu’«une prime uniforme est fixée pour chaque canton», alors que la version française et italienne note que «les primes sont fixés par les cantons». Une différence qui fait débat.

Le professeur de droit Ueli Kieser estime que c’est la formulation la plus précise qui prévaut, soit l’allemand, dans ce cas. Ce qui signifierait qu’il n’y aurait plus de réductions de primes pour les enfants et les jeunes adultes ou de rabais pour les modèles alternatifs et des franchises plus élevées.

Une interprétation contestée par les auteurs de l’initiative, selon lesquels il s’agit d’une erreur de traduction en allemand (le texte original déposé à la Chancellerie fédéraleLien externe était en effet en français) et l’idée de supprimer les réductions de primes n’est jamais entrée en ligne de compte. Du reste celles-ci sont prévues par la Loi sur l’assurance maladies (LAMal).

«Les caisses maladie n’ont jamais généré la moindre économie dans le système de santé. Elles n’ont jamais contribué à contrôler les coûts de la santé ni fait baisser les primes», réplique le député socialiste Stéphane Rossini, membre du comité d’initiative.

«En réalité, seule une petite minorité de patients (entre 5 et 15% chaque année) change de caisse. Ces mouvements coûtent entre 400 et 500 millions de francs au système. Et il règne une pseudo-concurrence entre les caisses, qui consiste à chasser les bons risques», c’est-dire des assurés jeunes et en bonne santé, poursuit le parlementaire socialiste. Pour les attirer, les caisses dépensent près de 100 millions de francs par an en publicité, marketing et provisions, ce qui disparaîtrait avec la caisse unique.

Barbara Schmid-Federer partage cette préoccupation pour ce qui est de la sélection des risques. Elle soutient, soit une amélioration de la compensation des risques qui vise à une séparation nette entre l’assurance sociale de base et les assurances complémentaires privées, soit un renforcement de la surveillance de l’assurance-maladie, projets sur lesquels planche le parlement. «Malgré le niveau élevé du système de santé, il y a des problèmes liés aux assurances-maladie. Il est nécessaire d’agir, d’améliorer la transparence, bref de corriger, mais pas de tout bouleverser comme le prévoit l’initiative», souligne la démocrate du centre en se disant confiante que ces projets de réforme seront approuvés par le parlement.Lien externe

Stéphane Rossini, lui, n’y croit pas, «parce qu’il n’y a justement pas de majorité au parlement pour corriger les défauts du système actuel, c’est pourquoi on a décidé de passer devant le peuple.»

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Agir sur les coûts

Les auteurs de l’initiative mettent l’accent sur la réduction des coûts administratifs des caisses maladie, mais ce n’est pas cela qui pèse sur les primes, remarque Barbara Schmid-Federer. Ces coûts administratifs atteignent 5,6% des dépenses de l’assurance-maladie obligatoire. A titre de comparaison, ces coûts s’élèvent à 11,3% pour l’institut national d’assurance contre les accidents Suva et à 9,2% pour l’assurance-chômage.

«La plus grande partie des coûts est générée par les hôpitaux et les cabinets médicaux, et ils sont imputables principalement aux progrès de la médecine et au vieillissement de la population. La caisse publique n’y changera rien», observe la députée PDC.

Pour Stéphane Rossini au contraire, il y aurait un changement: «la caisse unique permettrait de renforcer la coordination et la prévention, avec des modèles alternatifs tels que les médecins de famille ou les réseaux de soins intégrés, c’est-à-dire une approche globale de la prise à la charge dans la perspective d’une amélioration de la qualité des soins. Ce qui profiterait aux malades chroniques en particulier et ferait diminuer les coûts».

Quant aux pertes d’emploi prévues dans les caisses maladie, le socialiste répond que ces postes seraient transférés à la caisse publique. Et si des employés devaient être déplacés? Et bien «la mobilité fait partie de la vie».

(Adaptation de l’italien: Isabelle Eichenberger)

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