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Voyage à moto au bout de l’Asie

Clarisse von Wunschheim et Mark Dembitz n'aiment pas les sentiers battus. C'est à moto que ces deux Suisses vont quitter la Chine pour rejoindre l'Europe: 16'000 km entre Pékin et Istanbul, un périple de 83 jours à travers 8 pays... pour la bonne cause.

Un bleu, un rouge, deux bolides de 650 cm3 importés d’Allemagne à prix d’or. Depuis quelques semaines, Clarisse von Wunschheim et Mark Dembitz s’entraînent. Arrivés à Pékin voici à peu près quatre ans, ils préparent le grand retour, ce sera le 4 mai. Goût de l’aventure, plaisir et aussi volonté de réaliser une première.

Clarisse von Wunschheim: A notre connaissance, nous sommes les premiers motards à relier Pékin à Istanbul dans le sens est-ouest. Nous sommes aussi presque les seuls à disposer de toutes les autorisations nécessaires. Dans un pays comme la Chine, vous n’imaginez pas le nombre de restrictions. La plupart des autres y vont au petit bonheur la chance, en espérant passer entre les mailles du filet, mais ils finissent par tomber dedans. Nous, nous avons tous les papiers qu’il faut.

Mark Dembitz: On va traverser la Chine, le Kirghizstan, l’Ouzbékistan, le Turkménistan, l’Azerbaïdjan, la Géorgie, probablement l’Arménie pour finir en Turquie. Pour tous ces pays, nous aurons les papiers nécessaires…

CvW: …et nous voulons aussi démontrer que ce type d’aventure est accessible à tout le monde. Nous partons seuls, sans équipe technique ou voitures suiveuses, avec un minimum d’outils et de pièces de rechange.

swissinfo: Et puis il y a la dimension verte, vous vous dites investis d’une mission écologique. C’est assez paradoxal pour des motards.

MD: C’est vrai, nous polluons. D’où un premier message: il faut en avoir conscience. On ne peut pas continuer de penser que nos émissions de gaz sont si insignifiantes que ça ne compte pas. On peut lutter contre le réchauffement climatique en demandant à certaines personnes ou entreprises de réduire leurs émissions, c’est très bien.

Mais il faut surtout rappeler qu’il appartient à tout un chacun de vivre de manière plus écologique. Tout le monde veut partir en vacances, tout le monde veut conduire sa voiture ou sa moto, or les technologies existantes ne permettent pas de maintenir notre niveau de vie sans polluer. Nous, nous achetons des crédits carbone. Quoi qu’on en pense, ça contribue à soutenir des projets qui réduisent les émissions de gaz carbonique.

CvW: Nous agissons à deux autres niveaux: avec une fondation anglaise de lutte contre le réchauffement climatique (SCCF), qui finance des projets d’éducation et de recherche. Les fonds que nous récoltons vont en grande partie à cette fondation. Par ailleurs, durant le voyage, nous allons établir des contacts avec les gens que nous rencontrerons pour les sensibiliser aux enjeux du réchauffement. Et pour voir quelle est leur réalité, eux qui ont moins de moyens et, donc, polluent moins. Ils ont trouvé j’en suis sûre des astuces pour vivre mieux sans pour autant beaucoup nuire à l’environnement…

MD: … leurs procédés, leurs méthodes, leurs trucs qui leur permettent d’économiser de l’eau, du papier, de l’essence. Un enseignement réciproque, un réel échange culturel.

swissinfo: Pourquoi Pékin-Istanbul?

MD: Pékin parce qu’on y vit. Et Istanbul parce que la ville nous ressemble, elle est à cheval entre l’Europe et l’Asie. Après 4 ans passés ici, nous nous sentons un peu chinois dans l’âme. Le voyage marque notre retour symbolique en Europe. Je rentre en France pour faire un MBA mais, dès 2010, je pourrais bien revenir en Chine, ou en tous cas en Asie…

CvW: …et moi, dès que j’aurai fini ma thèse, je retournerai à Pékin. Quitter la Chine, c’est un déchirement. Notre voyage est une façon de faire nos adieux à ce pays, aux années que nous venons de passer ici…

MD: … c’est aussi un voyage intérieur, pour réfléchir sur le chemin parcouru et sur l’avenir.

swissinfo: A vous entendre, on a le sentiment que vous êtes entièrement sinisés. Vous maîtrisez parfaitement le mandarin. Quitter ce pays, ce sera plus dur qu’il y a quatre ans, au moment de quitter la Suisse?

CvW: Sans doute, mais je crois l’être humain capable de s’adapter à n’importe quel environnement, pour autant qu’il le veuille…

MD: …quant à être entièrement sinisés, ça n’arrivera jamais. On peut parler chinois mieux que les Chinois, mais dans la rue, on reste blancs, différents. Nous sommes une minorité de privilégiés. Les Chinois nous regardent comme des experts, des gens très accomplis. On vit dans une bulle confortable, repartir en Europe, ça peut aider à garder les pieds sur terre.

CvW: …privilégiés d’un point de vue matériel. Mais s’intégrer émotionnellement à la communauté chinoise, impossible! C’est aussi une sorte d’exclusion, comparable à ce que vivent certaines minorités en Europe. La grande différence, à mon avis, c’est que l’Occident affiche une sorte d’arrogance. Moi aussi, quand les Chinois me regardent comme si j’étais une extraterrestre, j’ai quelque part la conviction que c’est eux qui ont tort et moi raison. Je ne suis pas sûre que les Africains ou les ressortissants de pays en développement qui vivent en Occident puissent avoir la même attitude. Pour eux c’est probablement plus dur que pour nous ici.

MD: Raison de plus pour échanger un maximum avec les gens que nous croiserons sur nos 16’000 km de route, sans aucune arrogance, en toute humilité.

Interview swissinfo: Alain Arnaud à Pékin

Seuls une rigueur tout helvétique et les talents d’une juriste suisse auront permis de décrocher les visas nécessaire pour traverser 8 pays d’Asie orientale et centrale.

Idem pour homologuer deux motos allemandes de grosse cylindrée, alors que la Chine n’autorise en principe que les modèles jusqu’à 250 cm3.

Sans parler des astuces à déployer pour pouvoir emprunter à deux roues les autoroutes chinoises, où les motocycles sont généralement proscrits, car considérés comme trop lents.

Cette juriste bâloise francophone de 30 ans a le voyage dans la peau.

Née au Mexique, elle grandit en Allemagne et en Suisse, passe une année aux Etats-Unis et en Espagne, puis s’installe à Pékin en 2005, où elle apprend le mandarin.

Secrétaire générale de la chambre de commerce Suisse-Chine de Pékin, elle retourne au pays pour achever sa thèse de doctorat.

Nature, langues et cultures: ce sont les trois passions de ce spécialiste de la finance du carbone.

Après une enfance passée en Suisse, puis des études aux Etats-Unis, il vit à Pékin depuis 2006, où il développe des projets de réduction des gaz à effets de serre.

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