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Zurich ne veut pas de cadavres dans ses placards

Choisir soi-même le moment de mourir suscite toujours de nombreux débats. Keystone

Depuis janvier 2001, la justice zurichoise a ordonné 12 autopsies suite à des suicides assistés par Dignitas.

A ce jour, aucune charge n’a été retenue contre l’association d’assistance au suicide. Qui dénonce une chasse aux sorcières.

Début août, la BBC diffusait en Grande-Bretagne un reportage tourné dans l’appartement zurichois de Dignitas. Celui où l’association d’assistance au suicide prend en charge les patients étrangers qui ont décidé de venir mourir en Suisse.

Le document a fait bondir les associations «oui à la vie» (Pro Life) britanniques.

Le fait est que ce coup de projecteur suscite des craintes en Suisse.

D’abord, en raison des risques d’une vague de désapprobation internationale. Ensuite, ceux liés à un éventuel effet d’attractivité provoquée par la médiatisation des prestations particulières de Dignitas.

Un îlot juridique

Car – exception faite des Pays-Bas et de la Belgique qui sont allés plus loin en dépénalisant l’euthanasie active – la Suisse est le seul pays européen à autoriser l’aide au suicide.

Les patients étrangers n’hésitent déjà plus à passer la frontière vers cet îlot juridique pour venir mettre fin à leurs jours en Suisse.

En 1991, Dignitas a accompagné une cinquantaine de personnes dans la mort. Trente neuf d’entre elles étaient étrangères.

«Nous constatons que le nombre d’étrangers pris en charge par Dignitas ne cesse d’augmenter», affirme Andreas Bruner, procureur du canton de Zurich.

Une situation qui «ne manquera pas d’occasionner des problèmes avec les pays voisins.»

Pas de tourisme de la mort à Zurich

Il va sans dire que les autorités zurichoises ne tiennent pas à voir déferler un tourisme de la mort sur les bords de la Limmat.

Mais, pour autant que Dignitas respecte les normes en vigueur, aucune disposition légale ne leur permet de mettre un terme à cette pratique.

«Nous allons probablement devoir instaurer des nouvelles lois», lâche le procureur Andreas Bruner.

Car, confronté à un vide juridique, le Ministère public zurichois en est réduit à surveiller de près les activités de Dignitas.

«Chaque suicide, qu’il soit accompagné ou non par une association, donne lieu à une enquête», précise le procureur Andreas Bruner.

«Il est vrai qu’aujourd’hui, nous étudions encore plus attentivement les cas pris en charge par Dignitas».

Une grande «zone grise»

Pour l’heure aucune infraction précise n’a pu être établie de façon précise.

«Cependant, nous constatons que les activités de Dignitas glissent progressivement vers des zones grises.» Autrement dit, sur un terrain à la limite de la légalité.

Concrètement, le Ministère public zurichois déplore notamment les lacunes de dossiers médicaux des personnes qui ont décidé de mettre fin à leurs jours.

Des cas psychiatriques

Mais surtout, il s’interroge sur la capacité de discernement de certains malades pris en charge par Dignitas.

«L’association a notamment accompagné des personnes qui souffraient de maladies psychiatriques», souligne Andreas Bruner.

Ludwig Minelli, Secrétaire général de l’association Dignitas, ne dément pas avoir pris en charge des cas psychiatriques.

«L’an dernier, dit-il, nous avons effectivement assisté quatre personnes, des Suisses et des étrangers, ayant un dossier psychiatrique».

Une pratique qui selon lui n’est pas unique. «Les Pays-Bas et la Belgique, qui ont légiféré en la matière, stipulent que l’euthanasie peut être admise pour ce type de maladies aussi», assure Ludwig Minelli.

Parfaitement responsable

«Les maladies psychiatriques n’occasionnent pas de symptômes constants», précise Ludwig Minelli.

Et les personnes sont «en pleine possession de leurs moyens psychiques et intellectuels.» Lorsqu’elles sollicitent l’assistance de Dignitas mais aussi au moment du passage à l’acte

D’ailleurs, affirme Ludwig Minelli, la procédure est appliquée à la lettre.

Les patients fournissent un dossier médical complet qui atteste de «la durée et de l’incurabilité de leur maladie». Ces documents sont remis à la police après leur disparition.

Reste que, pour ces patients, la frontière entre responsabilité et irresponsabilité peut paraître floue.

Exit, l’autre association d’assistance au suicide oeuvrant en Suisse, se refuse d’ailleurs à accompagner ce type de patient.

Du suicide à l’euthanasie

«Notre association ne compte pas de psychiatres capables de juger les dégâts occasionnés pas des maladies psychiatriques», explique le Dr Jérome Sobel, président d’Exit ADMD-Suisse romande.

Exit préfère donc s’abstenir. «D’autant que ces situations sont particulièrement délicates à évaluer». Une prudence dictée par la complexité du sujet.

Une chose est sûre. L’accompagnement au suicide des personnes souffrant de maladies psychiatriques place Dignitas dans une position délicate. Non seulement au plan éthique mais également vis-à-vis de la loi.

Car, en cas d’incapacité de jugement du malade, l’aide au suicide apportée par Dignitas serait assimilable à l’euthanasie active. Une pratique considéré comme un homicide par le Code pénal suisse.

Bras de fer avec les autorités

Ludwig Minelli est persuadé d’être dans le collimateur des autorités.

«Aujourd’hui, le Ministère public zurichois tente de nous prendre en faute. Entre janvier 2001 et juin 2002, il a procédé à 12 autopsies des personnes que nous avons accompagnées dans la mort».

«Je ne conteste pas la nécessité d’exercer un contrôle sur les activités de Dignitas», affirme Ludwig Minelli. Ce qui le gêne c’est plutôt le manque de transparence des autorités.

Ludwig Minelli avance un exemple: «nous avons dû, dit-il, attendre que le gouvernement zurichois réponde à la question écrite d’un député pour connaître le nombre et le résultat des autopsies.»

Le summum de l’absurdité a été atteint dans le cas d’une Suissesse qui était atteinte de sclérose en plaques.

«Les autorités zurichoises ont mis plus de deux semaines à délivrer le permis d’inhumer. Sans fournir la moindre explication», souligne, excédé, Ludwig Minelli.

Interrogé par swissinfo, le juge d’instruction zurichois en charge du dossier a refusé de s’exprimer sur ce cas précis.

Une chose est certaine, le bras de fer entre l’association Dignitas et le Ministère public zurichois est bien engagé.

Recours de droit public

«Le Ministère public multiplie les complications afin d’inciter les politiciens à légiférer et à bloquer nos activités dans le canton de Zurich», déclare le patron de Dignitas.

Ludwig Minelli ne compte pas en rester là. «Dignitas a déposé un recours de droit public auprès du Tribunal fédéral».

«Il s’agit de savoir si les procureurs ont le droit ou non d’ordonner des autopsies sans l’accord des familles ou des personnes en possession d’une procuration».

Ludwig Minelli ne cache pas qu’il attend la réponse avec grand intérêt.

swissinfo/Vanda Janka

Critères autorisant l’assistance au suicide:

La personne doit être capable de discernement.

Elle doit faire une demande d’assistance au suicide sérieuse et répétée dans le temps.

Elle doit être atteinte d’une maladie incurable.

Elle doit être confrontée à des souffrances physiques ou psychiques qu’elle juge intolérable.

Elle doit être atteinte d’une maladie incurable ou qui conduit à une invalidité complète.

Légale, pas légale

Euthanasie active directe: homicide intentionnel dans le but d’abréger les souffrances. Punissable, même si la victime en fait la demande (art. 114 du Code pénal).

Euthanasie active indirecte: administrer, pour soulager les souffrances, des substances, dont les effets secondaires peuvent réduire la durée de vie. Pas réglée par le Code pénal et admise par l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM).

Euthanasie passive: renoncer à mettre en œuvre ou interrompre des mesures de maintien de la vie. Pas réglée par la loi et admise par l’ASSM.

Assistance au suicide: seul est puni celui qui s’y prête pour des motifs égoïstes (art. 115 du Code pénal). Dignitas et Exit fournissent à leurs membres incurables du natrium pentobarbital, une substance mortelle. Pas admis par l’ASSM.

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