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«Une décision populaire facilite les négociations internationales»

Michael Ambühl (à gauche), ici en compagnie de Don S. Beyer, ancien ambassadeur des Etats-Unis en Suisse, avait mené à bien les négociations qui ont conduit à la signature de l'accord FATCA de 2013, qui avait permis de régler le différend fiscal entre les deux pays. Keystone

Ces derniers temps, la démocratie directe s’avère être une épine dans le pied de la politique étrangère de la Suisse. Exemple récent, la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse. Mais en s’appuyant sur des décisions populaires, il est plus facile de négocier des sujets difficiles, estime Michael Ambühl, ancien diplomate suisse de premier plan.

L’expérience montre que la démocratie directe peut représenter un fardeau à l’intérieur du pays et une source de tension à l’extérieur. C’est un fait connu depuis l’initiative des Alpes, acceptée par le peuple en 1994 et qui étaient inconciliable avec l’accord de transit conclu entre la Suisse et l’Union européenne.

La principale revendication de l’initiative des Alpes était le transfert du trafic des marchandises de la route au rail. Le gouvernement et le parlement n’ont pas appliqué ce mandat constitutionnel à la lettre. Mais l’esprit du transfert de la route au rail a été respecté avec l’introduction d’une taxe d’incitation, la «redevance poids-lourds liée aux prestations» (RPLP).

Professeur de gestion de négociations à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ) et ancien diplomate chargé de négociations, Michael Ambühl préconise une approche similaire pour la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse, approuvée l’an dernier par le peuple.

L’influence du milieu

Pour Michael Ambühl, il n’y a pas de grandes différences entre un système de démocratie directe et un système de démocratie indirecte en matière de négociations de politique extérieure. Ce qui est déterminant, c’est plutôt le système de gouvernement et ses caractéristiques.

Parmi les points clef:

Principe de collégialité: pas de chef du gouvernement et donc une politique extérieure moins tendue en cas de désaccord au sein du gouvernement

Gouvernement de coalition: souvent uniquement des solutions sur la base du plus petit dénominateur commun

Structure décisionnelle décentralisée: beaucoup de points de vue différents aux différents niveaux (Confédération, cantons, communes)

Culture du consensus 

Modestie: la Suisse fait beaucoup de bonnes choses pour le monde, mais se «vend» souvent mal

swissinfo.ch: Compte tenu de votre longue expérience en tant que négociateur, que pensez-vous du fait de devoir aller à la table des négociations avec une décision populaire sur les épaules?

Michael Ambühl: Il est ainsi plus facile de justifier un mandat de négociation difficile auprès de ses partenaires de négociation. Mais cela ne signifie pas que les décisions populaires facilitent la vie du négociateur présent à la table. Si ces décisions vont à l’encontre du concept de politique européenne du gouvernement et du parlement suisses, ce n’est pas facile pour le négociateur. Mais cela rend le job passionnant.

swissinfo.ch: Votre successeur Yves Rossier, en charge des négociations avec l’UE, semble confronté à une mission impossible. Pour Bruxelles en effet, une limitation de l’immigration et la libre circulation des personnes sont inconciliables. Quelles sont ses chances?

M. A. : Si l’on veut conserver les accords bilatéraux, une application à la lettre de l’article constitutionnel sur la limitation de l’immigration sera probablement difficile. Cela impliquerait l’introduction de contingents et d’une priorité nationale. Je doute que Bruxelles l’accepte. L’UE a répété son opposition avant et après le vote et l’a également consignée par écrit.

En revanche, il faudrait examiner si l’on ne pourrait pas aspirer à une mise en œuvre qui soit dans l’esprit du nouvel article constitutionnel. Cela signifierait que la Suisse appliquerait de manière stricte des limitations à l’immigration par le biais de contingents envers les Etats ne faisant pas partie de l’UE. En revanche, seul l’esprit de l’initiative s’appliquerait aux 28 Etats membres de l’UE et aux 3 Etats membres de l’AELE/EEE, grâce à une clause de sauvegarde qui ne porterait pas atteinte du principe de la libre circulation des personnes.

Concrètement, la Suisse pourrait proposer de maintenir le principe de la libre circulation des personnes avec les 31 Etats européens et de ne pas introduire de priorité nationale. Mais elle pourrait se réserver le droit d’appliquer une clause de sauvegarde dès que l’immigration en provenance des pays européens dépasse un certain seuil. Une telle clause existait déjà dans l’accord de libre circulation des personnes, mais elle n’est plus valable depuis le 31 mai 2014. On pourrait donc «simplement» la renouveler et aussi la modifier un peu.

swissinfo.ch: Vous avez dit que la Suisse a de mauvaises cartes, lorsqu’elle veut s’en prendre aux principes fondamentaux de l’UE ou au droit international. Faudrait-il élargir l’examen préliminaire des initiatives, afin de réduire les risques de conflit lors de leur mise en œuvre?

M. A. : Je ne suis pas un expert en droit constitutionnel. Mais si je comprends bien les débats entourant cet examen préliminaire, il s’agit des cas où une initiative contrevient à ce que l’on appelle le droit international contraignant.

Michael Ambühl

Agé de 63 ans, Michael Ambühl est aujourd’hui professeur de conduite de négociations à l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (EPFZ).

En tant que chef négociateur, il avait notamment participé aux Bilatérales I et II avec l’UE.

Dans le cadre des négociations entourant le différend fiscal entre la Suisse et les Etats-Unis, il avait mené la délégation suisse avec le titre de secrétaire d’Etat.

Dans le cas de la libre circulation des personnes, il ne s’agit pas d’un tel droit contraignant, mais d’un repère essentiel par rapport à notre relation à l’UE. L’initiative des Alpes – que le peuple suisse avait acceptée en 1994 contre l’avis du gouvernement et du parlement – ne remettait pas non plus en cause des principes fondamentaux du droit international public. Il s’agissait du droit des contrats, plus précisément de l’accord de transit conclu entre la Suisse et l’UE. L’acceptation de l’initiative des Alpes représentait une contradiction avec cet accord de transit, mais la solution ne fut pas une application à la lettre, ce qui aurait pu provoquer un conflit.

La possibilité d’une annulation fait généralement partie d’un contrat. Si une annulation d’un contrat est exigée par un vote populaire, cela ne signifie pas encore que le droit international public est violé. C’est donc juridiquement possible, mais cela ne signifie pas que l’annulation ne va pas entraîner d’autres problèmes.

swissinfo.ch: Vous souhaitez un renforcement de la sensibilisation pour la politique extérieure auprès de l’administration ainsi que des acteurs de la politique intérieure et extérieure. En bref, vous proposez une «Swiss School of Public Governance». Qu’en attendez-vous concrètement?

M. A. : Pour une telle école, on pourrait s’inspirer de modèles à l’étranger. Par exemple de la Harvard School aux Etats-Unis ou d’écoles en France. Il ne s’agit pas de copier ces modèles à l’identique, car ces pays ont d’autres conceptions de la politique et d’autres traditions en matière de politique étrangère.

Nous envisageons une formation pour les cadres de l’administration de la Confédération, des cantons et des villes. Mais cela s’adresserait aussi aux collaborateurs d’entreprises très orientées vers l’international. Cela pourrait être aussi bien des entreprises proches de la Confédération, comme les CFF ou Swisscom, que des entreprises du secteur privé. Le public-cible serait en premier lieu le personnel avec de hautes ambitions en management.

Cette formation ne serait pas pensée comme un programme universitaire autonome, mais comme une formation complémentaire dans le cadre du travail. Mais ce module devrait offrir un programme de formation cohérent, plutôt que des fragments ressemblant à un puzzle. 

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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