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«Comme si je n’étais qu’écrivain, du matin au soir»

Peter Bichsel lors d'une lecture de nouvelles et de chroniques, en janvier 2015 à Sarnen, dans le canton d'Obwald. Keystone

Mille chroniques, trente livres et d’innombrables lectures: l’écrivain Peter Bichsel, qui revendique être bien autre chose qu’un écrivain - ne s’est jamais facilité la vie. L’individualiste qui n’aime rien tant que douter fête son 80e anniversaire.

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Il dit qu’il a toujours beaucoup lu, qu’il a vécu en lisant, que la lecture est plus importante que l’écriture – deux passions qui, aujourd’hui, le fatiguent. «Mes dernières chroniques sont nées sous la torture, pratiquement. J’espère que cela ne se sent pas. Lorsque j’avais fini un texte, j’étais aussi fatigué que si j’avais escaladé une montagne. Je ne veux plus de cela.»

Il fête ses 80 ans, Peter Bichsel, l’auteur suisse vivant à Soleure, fils d’un cheminot, grandi à Olten, enseignant, individualiste, penseur original, philosophe, écrivain, poète, lui qui ne veut pas avoir de problèmes avec l’âge et qui essaye d’empêcher les sentiments nostalgiques qui «se passent dans la tête».

Ce qui est désagréable, dit-il, c’est qu’à 80 ans, on commence à compter. «On calcule quel âge avait le plus vieux de nos enseignants à l’époque, on constate qu’il avait 45 ans, et qu’on trouvait que c’était un vieillard. Ou bien mon meilleur ami, mort à 50 ans. Entretemps je sais qu’il est mort jeune. Et après on calcule les années à venir, et le calcul est vite fait.»

«Je suis aussi vieux que ce que je suis»

Son anniversaire sera à nouveau l’occasion d’écrire sur l’écrivain Peter Bichsel, met-il en garde. Ou alors serait-il en train de jouer avec nous? «C’est comme si je n’étais qu’écrivain, du matin au soir. Mais cela n’a jamais été le cas, et ça ne l’est toujours pas.» 

Peter Bichsel

Né le 24 mars 1935 à Lucerne. Fils d’un cheminot, il grandit à Olten.

Ecole normale (formation des enseignants) à Soleure.

Peter Bichsel a vécu 50 ans avec son épouse, l’actrice Therese Spörri, décédée en 2005. Le couple a eu un fils et une fille.

De 1974 à 1981, il a été conseiller du conseiller fédéral (ministre) socialiste Willi Ritchsard, dont il écrivait les discours.

Peter Bichsel a écrit environ 30 livres, surtout des nouvelles et des chroniques. Son premier recueil de nouvelles, en 1964, «Eigentlich möchte Frau Blum den Milchmann kennenlernen» («Oui, au fond Madame Blum aimerait bien faire la connaissance du laitier») connaît un grand succès.

Les «Histoires enfantines» suivent en 1970. Durant une quarantaine d’années, Peter Bichsel a écrit environ milles chroniques, publiées dans la «Weltwoche», le «Magazin» du «Tages-Anzeiger», dans la presse syndicale et des magazines illustrés.

La liste des prix attribués à Peter Bichsel est longue. Elle comprend le Prix de littérature du Groupe 47 (1965), le Prix allemand du livre pour la jeunesse (1970), le Prix de littérature du canton de Berne (1978), le Prix Gottfried-Keller (1999), le Prix des journées littéraires de Soleure (2011) et le Prix Schiller (2012).

Ses livres sont traduits en français, en italien, en anglais, en russe et en d’autres langues. Il est également régulièrement invité à enseigner, en Suisse et à l’étranger.

Le dernier recueil, «Über das Wetter reden – Kolumnen 2012-2015» est paru chez l’éditeur Suhrkamp.

A l’entendre, il serait même davantage un fumeur et un buveur de vin rouge qu’un écrivain. Nous nous trouvons dans son bureau de la vieille ville de Soleure, un espace agréable, un peu sombre, rempli de livres, empilés sur la table et sur le sol. Il y a des photos et des tableaux sur les murs, la pipe préférée de son ami décédé Max Frisch et une collection de rhinocéros de tailles, couleurs et matériaux différents. Peter Bichsel vient tous les jours ici, parfois seulement pour une ou deux heures.

Le livre «Parler du temps» (météorologique, «Über das Wetter reden», en allemand) paraît à l’occasion de son anniversaire. «C’est le dernier opus de la magnifique «Comédie humaine» de Peter Bichsel, qui crée un monde d’histoires dans lesquelles le non-spectaculaire, le quotidien et ce qui est modeste brillent de façon chatoyante», commente le critique littéraire Beat Mazenauer.

Ce recueil de chroniques parle aussi de l’âge et de la vieillesse. Le proverbe «On est aussi vieux qu’on le sent» suscite le scepticisme de Peter Bichsel. «Quand j’avais 30 ans, personne ne m’a dit ça. Personne ne m’a non plus dit que j’étais bel homme. Il faut être assez vieux pour que ce genre de bêtises résonne à vos oreilles. Non, je ne suis pas aussi vieux que je le sens, je suis aussi vieux que je le suis. Ça au moins, il faut me le laisser.»

Individualisme et doutes

Peter Bichsel ne cesse de remettre en question ce qu’il voit, ce qu’il pense, et même sa propre personne. Le doute lui a jusqu’ici bien convenu. Il n’aime pas se fixer de façon stricte, par exemple sur un auteur préféré, même s’il ne cache pas son admiration pour Léon Tolstoï. «Lorsqu’on lit «Guerre et Paix», on oublie le monde entier, le sol se dérobe sous nos pieds, on perd tout contact avec la réalité. Je ressens une profonde amitié pour Tolstoï, même si je ne l’ai pas connu et s’il est mort il y a longtemps.»

Peter Bichsel ne se considère ni comme quelqu’un de passionné, ni comme un écrivain passionné. «Enfant déjà, j’ai beaucoup écrit. J’ai davantage écrit entre 8 et 20 ans que tout le reste de ma vie.»

Il aurait d’ailleurs encore préféré gagner le Tour de France, ajoute-t-il. «Mais, à la gym, j’étais le plus mauvais de la classe. Au football, en tant que deuxième remplaçant d’un défenseur, je ne jouais jamais… Alors je rentrais à la maison et j’écrivais des poèmes pour me venger en secret des bons footballeurs.»

Son individualisme, il le pratique depuis l’enfance. Peter Bichsel aime être seul parmi les gens, seul dans les gares, dans le train, au bar. «Mais je ne suis pas un ermite. Je n’aimerais pas être seul sur un alpage…»

«Laisser le langage raconter»

En fait, il dit avoir toujours eu peur que l’écriture ne lui gâche la vie. Il a pourtant toujours écrit, mais en dilettante. «Heureusement, sinon on est perdu. Je ne connais aucun autre métier où l’on a non seulement le droit d’être dilettante, mais même l’obligation d’en être un!»

L’écriture, c’est l’affaire du langage, estime l’auteur. «Ce qui compte, en littérature, c’est le récit, pas le contenu». Bien sûr, il a une opinion, politique, il s’inquiète du manque de respect sur le plan national et de cette «politique de remèdes de cheval», bien sûr, il réfléchit au sens de la vie. Mais il essaye toujours de laisser le langage raconter. Ses histoires se déroulent dans un style précis, serré, et elles ont souvent des rebondissements surprenants. Il y a un «ton Bichsel».

«Ses phrases écrites ont déjà un long chemin derrière elles, a écrit Peter von Matt, écrivain et germaniste, dans le journal du dimanche «Schweiz am Sonntag». C’est pourquoi elles sonnent de manière si définitive et elles sont si durables.»

L’écrivain se remarque aussi par une tension fertile entre le dialecte et le bon allemand. «J’aurais de la peine à écrire à Berlin ou à Hambourg, explique-t-il. Je ne peux pas m’imaginer non plus écrire comme un écrivain français, dont la langue écrite est exactement la même que la langue parlée.» Le bon allemand n’est pas une langue étrangère, mais «elle est un peu étrangère. Pour les choses du quotidien et de la vie intime, elle m’est étrangère. Tomber amoureux en bon allemand, c’est difficile.»

Ne pas observer, mais regarder

L’impartialité et l’ouverture sont des valeurs chères à Peter Bichsel. Il ne veut pas être un observateur, mais quelqu’un qui regarde. «Celui qui observe ne peut pas écrire. Le policier observe, il sait ce qu’il veut voir. Le soldat en guerre observe, il sait ce qu’il doit observer, c’est-à-dire si un ennemi vient. Regarder est neutre.»

La dernière chronique de journal est écrite. «L’urgence a disparu, elle n’a plus lieu d’être. Maintenant je suis assis, ici, et j’attends que quelque chose vienne, peut-être un plus long récit. Et si rien ne vient, ce n’est pas une catastrophe.»

(Traduction de l’allemand: Ariane Gigon)

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