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Comment la Suisse dialogue avec la Chine

La Chine a récemment mis en place une nouvelle législation protégeant mieux les ouvriers migrants. Keystone

Après 2 ans d'interruption, le dialogue sur les droits humains entre la Chine et la Suisse a repris début juillet à Pékin. Interview et explications du chef de la délégation suisse, l'ambassadeur Thomas Greminger.

swissinfo: Pourquoi ce dialogue a-t-il été interrompu?

Thomas Greminger: Il y a eu des difficultés liées au rôle particulier joué par la Suisse. Cela dans le cadre d’un échange confidentiel mené dès 2001 entre la Chine et une dizaine de pays, dont l’Union européenne.

Cette plateforme, appelée Processus de Berne, était coordonnée par la Suisse. Ce rôle a de plus en plus déplu à la Chine. Pékin estimait que ce processus et la coordination suisse étaient dirigés contre les intérêts chinois. Ce qui, à notre sens, n’était pas du tout le cas.

C’était aussi une période où la Chine réduisait de toute façon les échanges bilatéraux sur ce thème avec les autres pays. Quoi qu’il en soit, ces tensions sont aujourd’hui surmontées.

swissinfo: La dernière rencontre bilatérale s’est tenue à Pékin début juillet. A-t-elle juste permis des échanges de vues ou y a-t-il eu des projets plus concrets?

T G: Tout dépend du thème. Dans le domaine des procédures pénales et de la réforme pénitentiaire, une collaboration de longue date s’est approfondie au fil des ans, avec des échanges d’experts dans le cadre du Ministère de la justice et, plus récemment, dans celui de la sécurité publique et avec l’académie pour les cadres supérieurs du secteur pénitentiaire.

Cette collaboration a permis d’instaurer une grande confiance mutuelle sur ces questions. Ce qui nous donne accès à des prisons normalement fermées aux visiteurs occidentaux.

swissinfo: Quelles difficultés rencontrez-vous?

T G: Ces échanges reflètent la situation extrêmement différenciée des droits de l’homme en Chine. La collaboration fonctionne très bien dans certains secteurs où les Chinois ont fait d’énormes progrès. C’est le cas dans beaucoup de domaines liés aux droits économiques et sociaux.

Par exemple, toute une législation protégeant mieux les ouvriers – surtout les plus faibles, comme les ouvriers migrants – a récemment été mise en place. L’accès des avocats à leurs clients a également été amélioré. La Chine vient aussi de ratifier la Convention de l’ONU sur les handicapés.

Il faut d’ailleurs admettre que ces progrès ne sont pas suffisamment reconnus par les Occidentaux. Ce que déplorent les Chinois.

Dans d’autres domaines, comme la réforme en vue de la ratification du Pacte sur les droits civils et politiques, les choses traînent. Il y a quelques années, une importante dynamique de réforme a été initiée. Elle s’est depuis considérablement ralentie, de même que la réforme dans le domaine de la détention administrative.

Les choses ne bougent guère non plus en ce qui concerne la liberté d’expression et la liberté des médias. Nous avons même l’impression que récemment, les autorités ont serré la vis dans leur volonté de tout contrôler pour les Jeux olympiques.

Les questions du Tibet ou du Xinjiang restent aussi très sensibles, comme chacun le sait.

Mais dans le cadre de ce dialogue, tous ces thèmes sont abordés sans tabou et nous pouvons faire passer tous nos messages. A long terme, nous estimons avoir un impact positif.

swissinfo: Pouvez-vous donner des exemples concrets où ce dialogue a eu un impact clair?

T G: Je vois l’impact de ce dialogue à deux niveaux. Premièrement, ces échanges, comme ceux menés par d’autres pays, permettent de faire passer aux autorités chinoises les préoccupations des Occidentaux sur les droits humains. L’impact est effectif, car les Chinois sont soucieux de leur réputation.

A un autre niveau, les échanges spécifiques entre la Suisse et la Chine nous permettent de toucher ceux qui sont directement impliqués dans telle ou telle question. Nous avons l’impression d’avoir pu inspirer certains de ces acteurs chinois en leur fournissant de l’expertise. Ce que précisément ils attendent.

Par exemple, nous avons très probablement eu une influence sur la réforme de la procédure pénale il y a quelques années et, plus récemment, sur une ordonnance du ministère de la sécurité publique pour toutes les prisons hors du système judiciaire proprement dit, soit tout ce qui touche à la détention administrative et à celle opérée durant l’instruction. Ce qui concerne un très grand nombre de prisonniers.

Interview swissinfo, Frédéric Burnand à Genève

La Suisse est le premier pays occidental à avoir institutionnalisé avec la Chine un dialogue sur les droits humains. Et ce, depuis 1991. Ce dialogue prend la forme de rencontres régulières en Chine ou en Suisse.

La 10e rencontre s’est tenue à Pékin en juillet 2008. La 9e réunion s’est déroulée à Berne en mars 2006.

Ces quatre dernières années, cinq thèmes de discussions ont été abordés: la protection des minorités et la liberté de religion, dont les questions tibétaine et ouigour; le droit et les procédures pénales et la réforme pénitentiaire; la peine de mort et la torture; les droits humains liés au secteur privé; les questions multilatérales comme les mécanismes onusiens de protection des droits de l’homme.

Des évaluations externes sont régulièrement menées sur le dialogue institutionnel sur les droits humains entre la Chine et la Suisse, tout comme un monitoring interne au DFAE sur les progrès accomplis.

Les commissions parlementaires des affaires étrangères sont régulièrement informées de ces échanges, via, entre autre, des rapports.

«Les deux côtés attachent une grande importance au dialogue. Au cours de la dernière réunion, les deux parties ont eu un échange de vue dans tous les domaines des droits humains. Nous partageons de nombreux points communs; quelques-uns provoquent des divergences.

Toutefois, il est important qu’à travers ce dialogue, les deux parties approfondissent la compréhension mutuelle qui contribuera à la promotion et la protection des les droits de l’homme en Chine et en Suisse.»

Ke Yousheng, spécialiste des droits de l’homme à la mission de la Chine auprès des organisations internationales à Genève.

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