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Crise franco-suisse: Paris pas près de céder

C'est au siège genevois de la banque HSBC qu'ont été volées les données de clients français soupçonnés de fraude fiscale. Keystone

C’est l’escalade suite à l’utilisation par le fisc français des données volées à la banque HSBC de Genève. Après la suspension par Berne du projet d’accord fiscal, le Sénat français menace d’inscrire la Suisse sur une «liste noire» des paradis fiscaux.

«Crise», «clash», «affaire d’Etat»: en Suisse comme en France, la presse use des grands mots pour qualifier le contentieux fiscal qui s’envenime depuis quelques jours. Ce mercredi, le président de la Confédération, Hans-Rudolf Merz, a décidé de suspendre le projet d’accord de double imposition entre les deux voisins. Motif: l’utilisation par le fisc français de données dérobées par l’ancien informaticien de la banque HSBC à Genève.

Réponse ferme d’Eric Woerth, ministre français du Budget: «Je comprends que cette ratification, qui représente pour la Suisse un changement culturel important, suscite des débats internes.» Et M .Woerth de poursuivre: «Je n’imagine pas que le processus n’aille pas à son terme et que la Suisse ne confirme pas son intention de faire partie du mouvement mondial de levée du secret bancaire et de coopération entre les administrations fiscales.»

Autrement dit, au-delà du contentieux juridique, le vent de l’Histoire va dans le sens d’une coopération fiscale. La Suisse a tout intérêt à s’y plier rapidement.

Données sensibles

Rappelons les faits: dès mai 2008, le ministère public de la Confédération ouvre une enquête contre Hervé Falciani, un ex-employé de HSBC Genève soupçonné d’avoir soustrait des données à sa banque et de les proposer à des gouvernements étrangers. En décembre, après la fuite en France de Falciani, son domicile est perquisitionné par la justice française en collaboration avec les Suisses. Son ordinateur est saisi.

La Suisse réclame aussitôt la restitution des données, mais Paris ne donne pas suite. Transmises à la direction des impôts, les données aideront Eric Woerth à constituer sa fameuse liste des 3000 personnes soupçonnées d’évasion fiscale.

Bisbille juridique: Paris n’a pas le droit d’utiliser des données volées, estime Berne. A quoi les autorités françaises rétorquent qu’elles ont eu recours à ces informations après une saisine de la justice. «Ces informations ont été transmises à mes services de manière non anonyme et non rémunérées», justifie M. Woerth.

Des procédés peu élégants

Les réactions en France ne peuvent que rassurer le ministre. Pas de bémol ou presque dans les médias comme dans le monde politique. Le climat serait plutôt à la surenchère. Ce jeudi, les sénateurs ont adopté en commission un amendement qui permet d’inscrire la Suisse sur la liste noire française des paradis fiscaux au 1er janvier 2010.

Cet amendement devait être soumis à l’avis du gouvernement, puis adopté ou rejeté par les sénateurs. Il prévoit que les Etats qui, au 1er janvier 2010, n’ont pas ratifié leur «convention d’assistance administrative» passée avec la France, sont considérés comme «non-coopératifs» dans la lutte contre les paradis fiscaux.

Deux logiques s’affrontent. En France, Eric Woerth, soldat zélé du sarkozysme, s’inspire des cas de l’Italie et des Etats-Unis pour tracer sa propre voie du «rapatriement fiscal». Les procédés de cet ancien auditeur, qui pratique volontiers l’alpinisme, notamment en Suisse, ne brillent pas par leur élégance.

Des remous

Sont-ils efficaces? Le bilan de la Cellule de régularisation fiscale, mise en place en avril pour permettre aux «évadés fiscaux» de déclarer leur argent à des conditions (plus ou moins) avantageuses, est en demi-teinte. Selon Bercy, environ 1400 personnes auraient régularisé leur situation, faisant ainsi rentrer dans les poches du fisc quelque 500 millions d’euros.

Paris n’est pas près de céder. Le temps joue pour la France. «Nous cherchons à lutter contre l’évasion fiscale et à obtenir des résultats, il faut s’attendre à ce que cela crée des remous», estime un collaborateur d’Eric Woerth cité par le quotidien Le Monde.

Des remous, la Suisse en subit de toutes sortes depuis plus d’un an – Lybie, secret bancaire, minarets, etc. «La France aura offert à Hans-Rudolf Merz une belle occasion de terminer dans un sursaut de dignité blessée une année présidentielle marquée par des capitulations sans gloire», estime Le Temps. Les «revers» de cette année difficile expliqueraient donc la réaction «sanguine» de M. Merz. «Le président de la Confédération a pu dire «ça suffit», avant qu’un parti ne s’empare de la fermentation qu’on sentait monter dans le monde politique et ne l’exploite dans son seul intérêt», poursuit le journal.

Mathieu van Berchem, Paris, swissinfo.ch

138’349 Français étaient inscrits auprès des consulats fin 2008, dont 57% de doubles nationaux. Selon les estimations, on compterait près de 160’000 personnes de nationalité française résidant en Suisse.

Les Français s’installent généralement en Suisse pour une durée assez longue, 77% d’entre eux étant inscrits sur les registres depuis plus de cinq ans. La communauté française garde ses racines avec la France.

Près de 87% des actifs travaillent dans le secteur tertiaire. L’ouverture du marché du travail suisse aux ressortissants de l’Union européenne, avec les accords bilatéraux facilitent leur installation.

Plusieurs Français riches et célèbres ont choisi l’exil fiscal en Suisse. Parmi eux, figurent de nombreux «peoples», acteurs et chanteurs comme Alain Delon, Charles Aznavour, Johnny Halliday, ou encore des sportifs comme Jo-Wilfried Tsonga, Amélie Mauresmo, Arnaud Boetsch ou Fabrice Santoro.

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