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De la violence des mots à la violence des armes

Un mémorial de fortune a été installé devant l'hôpital de Tucson en hommage aux victimes de la tuerie de samedi. Reuters

L’attentat aux Etats-Unis contre une élue démocrate est peut-être l’acte d’un désaxé, mais aussi une conséquence de la violence verbale du monde politique américain. L'onde de choc est arrivée jusqu'en Suisse, où la campagne électorale fait rage sur les armes à feu.

«L’Amérique groggy après le massacre», «Un attentat fait monter la pression aux USA», «Conséquences mortelles d’un climat empoisonné». Ces quelques titres tirés de la presse helvétique de lundi expriment le choc.

Samedi lors d’un meeting devant un supermarché de Tucson, Arizona, un jeune homme de 22 ans a tiré à l’arme semi-automatique sur l’élue démocrate Gabrielle Giffords, la blessant grièvement à la tête. Bilan: 6 mort et au moins 12 blessés.

Lundi, l’Amérique s’est recueillie pendant une minute en hommage aux six personnes tuées, dont une fillette de 9 ans. Quant à Mme Giffords, son état est décrit comme stable. Inculpé, le tireur a gardé jusqu’ici le silence sur ses motifs.

Un sentiment de déjà vu

«Ce genre de drame me rappellera toujours ce qui s’est passé au Parlement de Zoug en 2001», remarque Hanspeter Uster. L’ancien directeur de la sécurité du canton de Zoug sait de quoi il parle. En effet, il avait lui-même été blessé par un désaxé déguisé en policier qui avait abattu 14 personnes et blessé 18 autres, quelques jours après les attentats du 11 septembre aux Etats-Unis.

La fusillade de samedi survient au milieu d’une campagne électorale très émotionnelle en Suisse, dans la perspective de la votation du 13 février sur l’initiative de la gauche «pour la protection contre la violence des armes».

Les attentats contre des politiciens sont rares en Suisse comme aux Etats-Unis, où le dernier grave incident date de 1981, lorsque le président Ronald Reagan avait été blessé par balle. Mais les tireurs fous relancent régulièrement le débat sur la détention d’armes.

Gabrielle Giffords, élue démocrate d’un Etat très conservateur, soutient le droit de porter une arme. En matière de fiscalité et d’immigration, elle est également plus modérée que nombre de ses camarades démocrates.

Par contre, cette centriste soutient la réforme de la santé qui empoisonne le climat politique américain depuis mars et devrait être débattue au Congrès la semaine prochaine. Soutien qui lui a valu d’être violemment prise à partie par le mouvement ultraconservateur Tea Party.

«Il faut noter que Gabrielle Giffords est femme, juive et démocrate. Elle représente l’Arizona, un Etat très conservateur, où le chômage et l’immigration créent une grande frustration et où circulent beaucoup d’armes», remarque Daniel Warner.

 

Une conséquence de la violence verbale

Américain et proche des milieux démocrates, ce professeur honoraire à l’Institut de hautes études internationales et du développement (HEID) de Genève estime que le drame est une conséquence de la violence verbale du débat politique.

«Le vocabulaire très menaçant utilisé par l’extrême droite et le Tea Party ne pouvait qu’avoir une implication violente. A la rigueur, on peut se demander pourquoi il n’y a pas eu d’explosion de violence plus tôt», ajoute l’ex-directeur du Centre pour la gouvernance internationale du HEID.

Celui-ci fait allusion à la publication sur Internet d’une carte de «cibles électorales» par l’ancienne gouverneure de l’Alaska Sarah Palin, où 20 circonscriptions démocrates (avec le nom de l’élu) étaient marquées par un viseur de fusil.

L’ancienne candidate à la vice-présidence des Etats-Unis a condamné la fusillade de Tucson et supprimé la page en question. Le Tea Party a appelé à «prier pour la députée Giffords, ainsi que pour les victimes de la fusillade et leur famille», y compris pour la sécurité des élus américains.

Côté républicain, on souligne l’instabilité mentale du tireur. Ed Flaherty, dirigeant des Républicains à l’étranger (basés à Genève), dénonce pour sa part la gratuité des accusations «outrageantes» contre Sarah Palin et le Tea Party.

«Les deux camps utilisent une rhétorique musclée, c’est permis par le 1er amendement sur la liberté d’expression, a-t-il déclaré lundi. En Suisse, comme en Europe, le discours haineux est un crime punissable. Je ne veux pas de cela aux Etats-Unis.»

Les conservateurs doivent assumer leur responsabilité

«Jusqu’ici, ni Sarah Palin ni le Tea Party n’ont fait de véritables commentaires, rétorque Daniel Warner. On ne sait pas encore si l’assassin est membre ou non de ce mouvement, mais il ne peut pas se contenter de dire que c’est l’acte isolé d’un individu dérangé. Il doit assumer la responsabilité de son vocabulaire guerrier.»

Le politologue estime que la radicalisation du discours politique aux Etats-Unis va bien devoir se calmer. «Le problème, c’est que le gouvernement ne répond pas à la frustration engendrée par le chômage et l’immigration. C’est ce qui rend Sarah Palin et le Tea Party si populaires. Un peu comme l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) qui, en Suisse, joue également avec l’insécurité, la peur et l’émotion des gens.»

Pour ce qui est du débat en Suisse sur les armes, Hanspeter Uster estime que le drame de Tucson ne suffira pas à lui seul à faire baisser le ton. Mais il tire le parallèle avec le nombre important d’armes qui circulent dans le pays.

«Il faut durcir la loi en stockant les armes militaires en arsenal et en créant un registre central, ainsi que le demande l’initiative de la gauche», a conclu l’ancien policier.

Lors d’un meeting politique, samedi devant un supermarché de Tucson (Arizona), un homme a tiré avec une arme semi-automatique sur l’élue démocrate Gabrielle Giffords. Bilan: 6 morts (dont une enfant de 9 ans et un juge fédéral) et au moins 11 blessés, .

Arrêté et inculpé, le tireur est un jeune homme de 22 ans connu de la police qui pourrait avoir des troubles psychiques. Ses motifs ne sont pas encore connus.

Classée 7e dans la liste des «parlementaires qui montent, Gabrielle Giffords fait partie de l’aile centriste du parti démocrate.

Elle a été très critiquée par les Républicains pour son soutien à la révision de la loi sur la santé adoptée en mars et qui devrait faire l’objet d’un débat au Congrès la semaine prochaine.

Certains parmi ces derniers ont créé dès 2009 le mouvement ultra-conservateur du Tea Party, dont l’égérie est Sarah Palin, candidate à la vice-présidence des USA en 2008.

Fin septembre 2001, un homme de 57 ans armé jusqu’aux dents s’est introduit armé dans la salle du Parlement cantonal de Zoug déguisé en policier, tuant 14 personnes et se donnant la mort.

Touché au poumon, le chef de la sécurité du canton de l’époque, Hanspeter Uster, figurait parmi les 18 blessés.

Après le drame, la sécurité des bâtiments abritant les parlements fédéral et cantonaux a été renforcée.

Ce drame, ainsi que les meurtres et suicides avec l’arme de service qui surviennent en Suisse, déchaîne périodiquement des polémiques sur la détention d’armes.

Le 13 février 2011, les citoyens  suisses se prononceront sur l’initiative «pour la protection face à la violence des armes».

Avec la collaboration de Tim Neville et Renat Kuenzi

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