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«Les Suisses sont plus enclins à la méfiance qu’à l’enthousiasme»

Ces scènes imaginées pour l'Expo 2027 dans l'est de la Suisse ne deviendront jamais réalité. Hosoya Schaefer Architects/Plinio Bachmann/Studio Vulkan

Les expositions nationales sont de grands rendez-vous lors desquels chaque génération devrait réfléchir sur elle-même et sur sa Suisse. Mais le prochain événement du genre, qui aurait dû avoir lieu en 2027 sur les bords du lac de Constance, tombe à l’eau. Deux des trois cantons impliqués ont refusé de financer l’étude de faisabilité. Analyse de Marco Solari, Gian Gilli et Martin Heller, trois organisateurs de grands événements à succès.

Dans onze ans, les cantons orientaux de Saint-Gall, Thurgovie et Appenzell Rhodes-Extérieures auraient dû accueillir le reste de la Suisse à la prochaine exposition nationale. Mais en bloquant le crédit d’étude initial, de 10 millions de francs, les citoyens de Saint-Gall et de Thurgovie ont empêché le projet d’Expo 2027 de prendre forme. 

«Une majorité claire a dit qu’elle n’appréciait pas le projet et qu’elle n’en voulait pas», relève Marco Solari. Le président du Festival du film de Locarno, qui avait été délégué du gouvernement pour les célébrations du 700e anniversaire de la Confédération en 1991, estime qu’il faut respecter cette décision démocratique, même s’il la déplore. Marco Solari se demande du coup si l’ère des grands événements en Suisse n’est pas révolue. Mais sa réponse est clairement non. 

Aujourd’hui âgé de 71 ans, il dispose d’une vaste expérience en matière de grands événements et connaît quelles en sont les difficultés. A commencer par les commémorations du 700e anniversaire de la Confédération. Organisé pour remplacer le projet CH91, rejeté par la Suisse centrale, la série de manifestations mises sur pied aux quatre coins du pays avait ensuite connu un grand succès. 

Marco Solari avait par ailleurs lancé l’idée d’une Expo 2020 dans les quatre cantons de la région du Saint-Gothard, à savoir le Tessin, Uri, les Grisons et le Valais. Mais le gouvernement tessinois et Marco Solari avait dû jeter l’éponge devant le peu d’intérêt manifesté par les trois autres cantons. Pour Marco Solari, il s’agit, pour cette région de montagne, d’une occasion gâchée. 

Enthousiasme tardif 

«La Suisse a peur des grands événements, même s’ils sont conçus de manière très concrète et modulaire. Les Suisses ne sont pas très enclins à l’enthousiasme, mais plutôt à la réserve et la méfiance», juge-t-il. 

«Le paradoxe, c’est que l’enthousiasme n’apparaît que lorsque l’événement devient réalité. Et une fois qu’il est terminé, tout le monde est triste», poursuit Marco Solari. Le meilleur exemple de ce phénomène est l’exposition nationale de 1939, qui avait d’abord été rejetée avec véhémence avant d’être mythifiée. 

Pour Marco Solari, le sens profond des expositions nationales est cependant plus actuel que jamais. «La Suisse est encore – et même peut-être plus que jamais – une nation basée sur la volonté. Ses habitants, c’est-à-dire nous, devons continuer à nous demander quelles sont les choses qui nous sont communes. Ce questionnement consiste aussi à savoir si nous voulons encore de tels grands événements», dit-il. 

C’est une question que se pose également Gian Gilli. Lui aussi a connu des hauts et des bas en matière de promotion et d’organisation de grands événements. En 2009, il avait présidé avec succès l’organisation des Championnats du monde de hockey sur glace en Suisse. Mais il a aussi été directeur de la candidature avortée de son canton des Grisons pour l’organisation des Jeux olympiques d’hiver 2022. Il y a trois ans, les citoyens du canton avaient rejeté le projet en votation, une amère désillusion pour Gian Gilli.

Encore des projets pour 2027 

Le refus populaire dans la région du lac de Constance ne met pas un terme définitif à l’idée d’une exposition nationale en 2027. Deux nouveaux scénarios sont à l’étude. 

Expo 2027 dans le canton d’Argovie. L’initiative émane principalement des milieux économiques. 

Expo 2027 dans le nord-ouest de la Suisse. Les promoteurs en sont les cantons de Bâle-Ville, de Bâle-Campagne et de Soleure. Le projet impliquerait aussi les régions voisines du Bade-Wurtemberg (Allemagne) et de l’Alsace (France). 

«C’est l’effet de la vache rassasiée, qui ne mange plus lorsque ses estomacs sont pleins, commente-t-il. Nous sommes dans une position confortable dans laquelle nous nous demandons pourquoi nous devrions assumer le risque, le travail et les coûts liés à un grand projet. C’est certes humain, mais vivre dans une zone de confort rend craintif.» 

«Il manque l’appétit pour mettre sur pied quelque chose de spécial et d’extraordinaire, poursuit-il. Je parle d’un manque de motivation pour développer quelque chose, d’une immunisation au développement. Si on se préoccupe seulement de regarder vers l’intérieur et de penser à son petit jardin, on s’affaiblit face à l’extérieur.» 

Mais comment faire pour redonner cette faim de changement et pour que l’avenir soit vu comme une chance plutôt que comme un danger? Selon Gian Gilli, c’est une question de temps. «Dans les processus démocratiques, il faut plus de temps pour permettre à des idées et des projets de mûrir dans l’opinion publique. Lors des dernières votations sur de grands projets, les gens ont été placés trop rapidement face à une décision radicale consistant à dire oui ou non», commente-t-il. 

«Actuellement, les gens ne veulent rien de nouveau, car ils se satisfont de ce qu’ils ont en Suisse. Or ils ont beaucoup, car la Suisse est un pays riche et rassasié. Nous n’avons pas besoin de renouveau et de visions d’avenir. Nous nous contentons de ce qu’il y a», a déclaré à la télévision alémanique Martin Heller, directeur artistique de la dernière exposition nationale de 2002 et qui a également accompagné le projet de la Suisse orientale. 

L’Expo chaque jour 

Lui aussi interviewé par la télévision alémanique, l’historien bâlois Georg Kreis estime qu’il manque la curiosité de regarder vers l’avenir, ce que permettrait une exposition nationale. «Nous vivons dans une Expo quotidienne. Nous vivons dans un échange permanent et nous sommes en permanence surinformés», a déclaré l’historien, pour qui la nécessité d’une telle grande plate-forme n’est donc «plus impérative». 

Gian Gilli reste cependant optimiste. Une société démocratique qui se trouve dans une situation confortable est aussi en mesure de reconnaître les chances et les potentialités des grands projets. «Notre seul argument exclusif de vente est notre savoir-faire: les Suisses sont les meilleurs organisateurs du monde! Aucun grand événement ou grand projet n’a jamais été mal organisé. Le nouveau tunnel ferroviaire du Saint-Gothard en est la meilleure preuve!» 

Dans cette optique, le manager sportif pense naturellement aussi à une nouvelle candidature pour les Jeux Olympiques. «Le CIO ne peut que souhaiter un partenaire aussi fiable que la Suisse», estime-il.

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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