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Le sommet de l’impuissance à Kinshasa

Le Palais du peuple à Kinshasa. On nettoie les rues, mais le bilan du pays en termes de démocratie et de droits de l’homme n’est guère reluisant. AFP

Deux ans après Montreux, les 56 Etats de l’Organisation de la Francophonie tiennent ce week-end leur grand-messe à Kinshasa, capitale d’un pays à la dérive. Selon le chercheur Thierry Vircoulon, les idéaux de la Francophonie s’en trouvent bafoués.

Des élections présidentielles en 2011 notoirement manipulées; des tueurs de défenseurs des droits humains toujours impunis, des viols et des massacres récurrents dans l’Est du pays: le régime du président Kabila – à la tête de la République démocratique du Congo (RDC) depuis 2001 – n’a respecté aucun des engagements proclamés au dernier Sommet, à Montreux.

Faute de garanties suffisantes, Amnesty International a renoncé au voyage de Kinshasa, comme l’a déclaré à swissinfo.ch Manon Schick, directrice de la section suisse.

Depuis Nairobi, Thierry Vircoulon, directeur de l’International Crisis Group pour l’Afrique centrale, pointe les limites de ce Sommet de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) tenu dans la capitale du géant de l’Afrique centrale.

swissinfo.ch: L’attribution du Sommet de la Francophonie à la République démocratique du Congo (RDC) il y a deux ans n’a provoqué aucune amélioration de l’Etat de droit et de la démocratie. C’est un échec pour l’OIF?

Thierry Vircoulon: C’est le moins que l’on puisse dire. La situation en RDC n’est pas différente, elle est même pire qu’il y a deux ans. La nouvelle crise à l’Est du Congo dans le Nord-Kivu se traduit par de nombreuses violations des droits de l’homme perpétrées par des groupes armés. Et l’année dernière se sont tenues des élections frauduleuses qui ont conduit à la réélection de Joseph Kabila.

Le gouvernement ne respecte aucun de ses engagements internationaux. Il était évidemment fort peu probable que la simple perspective d’un sommet à Kinshasa inciterait les autorités congolaises à s’engager dans la bonne gouvernance et le respect des droits de l’homme. Et il est fort possible que rien ne bouge après ce sommet dans la capitale congolaise.

Mais Abdou Diouf, secrétaire général de l’Organisation internationale de la francophonie, répète aujourd’hui que ce sommet va tirer la RDC vers le haut…

Ce qu’on peut espérer de mieux lors de ce sommet, ce sont des prises de position claires des différents chefs d’Etat présents sur les problèmes fondamentaux de la RDC: les violations des droits de l’homme et la mauvaise gouvernance. Ces questions sont essentielles et sensées être au cœur de la politique de la Francophonie.

Mais rien n’indique que de tels propos puissent pousser au changement en RDC. Depuis deux mois, nous assistons en effet à un jeu de dupes entre Paris et Kinshasa.

Au mois de juillet, la présidence française avait demandé des actes concrets de la part des autorités congolaises, en particulier à propos du procès en appel des policiers accusés d’avoir fait assassiner en 2010 Floribert Chebeya, un célèbre défenseur des droits de l’homme congolais. Or la justice a décidé de reporter le procès après le sommet.

Paris a aussi appelé au changement de la commission électorale impliquée dans les fraudes de l’année dernière. Résultat: un projet de loi qui n’apporte que quelques améliorations cosmétiques à la commission électorale.

Tant qu’il n’y aura pas de pressions claires, financières, sur Kinshasa, rien ne se passera. Et durant le sommet, il faut qu’il y ait des rencontres entre l’opposition, la société civile et les chefs d’Etat. Le président Hollande l’a annoncé. Il serait bon que ses collègues fassent de même.

Il est prévu que le sommet se penche sur le conflit au Nord-Kivu. Peut-on en attendre des avancées?

J’espère. Mais le président rwandais Kagame [accusé de soutenir massivement la rébellion, ndlr] a déjà annoncé qu’il ne viendrait pas. Il y a déjà des discussions dans le cadre de la Conférence Internationale sur la Région des Grands Lacs (CIRGL) Et ce qu’on constate depuis quatre mois, c’est qu’elles n’ont mené à aucune solution. 

Il y a une pression très nette de la RDC pour que la Francophonie condamne le Rwanda. Nous verrons si cela figure dans la déclaration finale.

Finalement, la Francophonie ne reste-t-elle pas une organisation de défense du français, vu le peu d’effet de sa dimension politique lancée en 2000 à Bamako?

Il ne tient qu’à la Francophonie d’être ferme sur ses principes. Malheureusement, l’organisation de ce sommet à Kinshasa indique que la démocratie marque le pas dans l’espace francophone.

La déclaration de Bamako fait de la démocratie, de la bonne gouvernance et des droits de l’homme le cœur de la politique de la Francophonie. Ce texte prévoit d’ailleurs que les pays où des élections irrégulières ont été tenues peuvent être privés de l’organisation d’une telle réunion.

Ce sommet va donc à l’encontre des principes défendus par la Francophonie. L’OIF a beaucoup de mal à tenir sa ligne politique.

Organisatrice du dernier sommet, la Suisse aurait-elle dû s’impliquer plus pour que des progrès se fassent en RDC?

 

Il aurait été bienvenu que les autorités suisses prennent aussi des positions publiques fortes sur la question des droits de l’homme et de la crise à l’Est de la RDC, comme Paris l’a fait. Mais on a l’impression que la Suisse participe au sommet avec un profil très bas.

La RDC va présider la Francophonie pendant deux ans. Une aubaine pour le régime Kabila?

Avec ce sommet, Kinshasa cherche une nouvelle légitimité. Mais le président Kabila a déjà démontré qu’il n’avait aucun intérêt dans les affaires internationales. Il a déjà présidé l’Organisation régionale d’Afrique centrale pendant deux ans en pratiquant la politique de la chaise vide. 

La situation actuelle de la RDC est-elle toujours la conséquence des guerres consécutive au génocide rwandais de 1994 et de la chute de l’ancien dictateur Mobutu en 1997?

En effet, les problèmes structurels qui ont conduit à ces événements sont toujours là, malgré des années d’intervention onusienne.  

 La question de l’exploitation des ressources naturelles, la question foncière qui oppose les communautés depuis très longtemps et la question de la gouvernance de l’administration et de l’armée en RDC ont été complétement laissées en jachère. Les autorités de RDC n’ont toujours pas remédié à l’effondrement de l’Etat après la chute de Mobutu.

Et dans la région des Grands-Lacs, on a l’impression que l’histoire ne cesse de se répéter avec l’apparition périodique d’un mouvement rebelle qui défie le pouvoir central.

Le XIVe Sommet de la Francophonie se tient à Kinshasa en République démocratique du Congo (RDC) du 12 au 14 octobre 2012.

Instance suprême de la Francophonie, le Sommet se compose des hauts représentants des 56 pays ayant le français en partage et se réunit tous les deux ans dans un pays membre.

Le Sommet se tiendra sur un thème proposé par la RDC, à savoir «Francophonie: enjeux environnementaux et économiques face à la gouvernance mondiale».

Préparée en lien avec ce thème, la Déclaration de Kinshasa sera adoptée par les chefs d’Etat et de gouvernement à l’issue du sommet. 
 

La délégation suisse sera menée par Ueli Maurer, vice-président du gouvernement suisse et ministre de la Défense. Il remettra la présidence du sommet à la République démocratique du Congo.

En fonction du déroulement du sommet, plusieurs entretiens bilatéraux seront agendés.

Le ministre suisse des Affaires étrangères Didier Burkhalter a participé à la 28ème session de la Conférence ministérielle le 11 octobre.

Il a parler notamment du bilan de la présidence suisse (2010-2012).

Le 12 octobre, Didier Burkhalter rencontrera le chef de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la Stabilisation en République démocratique du Congo (MONUSCO).

Didier Burkhalter s’entretiendra également avec une délégation du contingent suisse de la MONUSCO, ainsi qu’avec des représentants de Radio Okapi, projet commun de l’ONU et de la fondation Hirondelle, dont le siège est à Lausanne.

Le chef de la diplomatie se rendra aussi au Burundi, où il visitera des projets suisses mis en place dans le cadre de la stratégie Grands Lacs du ministère des Affaires étrangères.

 

Source : Département fédéral (ministère suisse) des Affaires étrangères

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