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Expulsion des «criminels étrangers»: la mobilisation sonne le glas de l’initiative UDC

La cour de la prison de l’aéroport de Zurich-Kloten, où dont détenus les étrangers en attente de renvoi. Des renvois qui ne seront donc pas systématiques et automatiques, comme l’aurait souhaité l’UDC. Keystone

Près de 59% des votants et 20 cantons sur 26 refusent l’initiative de l’UDC «Pour le renvoi effectif des étrangers criminels». La forte mobilisation de dernière heure des opposants a donc eu raison du texte de la droite conservatrice, encore donné gagnant il y a quelques semaines. La ministre de la justice Simonetta Sommaruga a salué cette mobilisation comme un signe de santé de la démocratie, «car elle a amené aux urnes des gens qui d’habitude n’y vont pas».

L’ampleur du refus est inattendue, surtout si on le compare à la victoire en 2010 de la précédente initiative de l’UDC sur le renvoi des étrangers criminelsLien externe (carte interactive ci-dessous). A l’époque, sept cantons de Suisse centrale et orientale, plus le Tessin, disaient tous oui à plus de 60%. Aujourd’hui, ils ne sont plus que cinq (toujours avec le Tessin), mais les scores tournent entre 50 et 54%, avec tout au plus un record à 59,4%, au Tessin justement.

Dans le camp des cantons qui refusent ce dimanche l’initiative de mise en œuvreLien externe, Bâle-Ville vient en tête avec 70,2% (en 2010, il avait dit non à l’UDC à 56%). En 2010 toujours, cinq cantons romands (moins le Valais) disaient non, mais jamais à plus de 58%, alors que cette fois, ils sont les six dans le camp du refus, avec des scores allant de 55% (Valais) à 66,6% (Vaud). Et partout ailleurs, le non a gagné du terrain.

Comment la Suisse a changé d’avis

Six ans après avoir accepté l’initiative «Pour le renvoi des étrangers criminels», le peuple suisse refuse l’initiative dite «De mise en œuvre». swissinfo.ch vous montre les résultats en direct, canton par canton, en comparaison avec ceux de 2010. 

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«Signe de maturité»

A l’heure de célébrer ce qui est pour elle une victoire, la ministre de Justice et Police Simonetta Sommaruga s’est réjouie de la mobilisation «par tous les moyens de communication possibles» et «comme on n’en avait encore jamais vue sous cette forme» qu’a déclenchée cette votation. Une mobilisation qui a aussi permis de «politiser de nombreuses personnes, en particulier des jeunes, qui se sont rendus aux urnes, alors que d’habitude, ils n’y vont pas». Et ceci sur un sujet qu’a priori on pourrait qualifier de «pas particulièrement sexy».

Sur le fond, Simonetta Sommaruga se félicite du message envoyé par la majorité «aux étrangers, et en particulier aux secondos: ils appartiennent à la communauté et doivent être traités comme tels». Et pour elle, ce résultat marque également une victoire de la démocratie directe, un système dans lequel «personne ne devrait devenir tout puissant, pas même les citoyens», car «la séparation des pouvoirs fait partie de la démocratie», elle en est même «un signe de maturité».

«Dynamique incroyable»

«La société civile s’est mobilisée pour défendre clairement l’Etat de droit, la protection des minorités et l’humanité, face à la xénophobie et aux tendances totalitaires de l’UDC», s’est réjoui quant à lui Christian Levrat, président du Parti socialiste, par voie de communiqué.

Président du Parti libéral-radical (droite), Philipp Müller explique cette défaite de l’UDC par la «dynamique incroyable» qui s’est développée dans les dernières semaines de la campagne. «Des comités interpartis se sont formés spontanément et toujours plus de voix critiques se sont élevées contre ce texte, contribuant à renverser la tendance». Comme il l’a dit à l’agence de presse ATS, Philipp Müller n’est donc finalement pas surpris par ce résultat.

«Tout le monde est d’accord sur le fait qu’il faut renvoyer ceux qui commettent des crimes graves, mais l’initiative de mise en œuvre était un tour de vis par rapport à 2010 avec l’inclusion de délits mineurs», a rappelé pour sa part le président de la Conférence des procureurs de Suisse Rolf Grädel. Avec ce net refus, le peuple sauve l’Etat de droit, a-t-il dit à l’ATS. «L’UDC a joué sur la peur, mais contrairement à ce qu’elle faisait croire, la sécurité n’allait pas augmenter avec son initiative».

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Dans le camp des vaincus, le député Albert Rösti, qui devrait prochainement succéder au président de l’UDC Toni Brunner, a dit à la radio alémanique SRF que «le texte faisait l’unanimité contre lui, parce qu’il fallait empêcher que l’UDC gagne encore». Mais malgré la défaite, «la campagne a eu l’avantage de mettre sur le devant de la scène la problématique de la sécurité», a-t-il souligné.

Mobilisation massive

Ainsi, la mobilisation – tardive mais massive – des opposants aura payé. Au début pourtant, l’UDC avait largement occupé le terrain: affiche des moutons blancs expulsant le mouton noir sur tous les murs et distribution de ses arguments dans toutes les boîtes aux lettres.

A la mi-janvier, 160 professeurs de droit, soit pratiquement l’ensemble de la profession, signent un appel à voter non. Ils dénoncent une initiative qui vise à «supprimer tout pouvoir d’appréciation du juge». Pour eux, la Constitution fédérale ne doit pas être «dénaturée en une espèce de manuel d’expulsion».

Quinze jours plus tard apparaît sur internet et sur les réseaux sociaux, l’«appel urgent», lancé par un groupe de politiciens actifs et en retraite (dont trois anciens ministres), d’artistes, de chefs d’entreprise, de religieux et de scientifiques. Le slogan «Non à une initiative inhumaine» réunit en un mois plus de 52’000 signatures et près de 1,2 million de francs de dons, qui financent une vaste campagne d’affichage.

Et la tendance s’inverse: alors que le 22 janvier, le premier sondage donnait le oui gagnant à 51%, le 17 février, les citoyens décidés à accepter l’initiative n’étaient déjà plus que 49%, contre 46% qui entendaient la refuser et 5% d’indécis.

Feu vert à une loi plutôt dure

Cet enterrement de l’initiative de mise en œuvre ouvre donc la voie à la loi votée par le Parlement pour appliquer l’initiative de 2010 sur le renvoi des criminels étrangers. Le Conseil fédéral n’a plus qu’à fixer la date d’entrée en vigueur, mais cela ne devrait pas être avant 2017 afin que les cantons aient le temps de se préparer.

Avec la nouvelle loi, l’expulsion automatique sera en principe réservée aux crimes les plus graves, soit les actes de violence et les délits sexuels passibles d’au moins 3 ans de prison ainsi que les délits listés dans l’initiative de 2010 – comme le brigandage, le trafic de drogue et les abus de prestations sociales.

La marge de manœuvre du juge sera beaucoup plus réduite que dans le régime actuellement en vigueur. Il pourra exceptionnellement renoncer à une expulsion si la mesure met l’étranger dans une situation personnelle grave. Le juge devra aussi tenir compte de la situation particulière d’une personne née et ayant grandi en Suisse.

La loi n’en entraînera pas moins un durcissement massif de la pratique des juges qui pourrait poser des problèmes en matière de droits de l’homme, avait averti Simonetta Sommaruga devant le Parlement.

La Suisse a frôlé des records de participation dimanche. Près de 63% des électeurs se sont rendus aux urnes. Il faut remonter à 1992 pour qu’une votation ait davantage mobilisé. La population s’était déjà fortement impliquée dans la campagne concernant le renvoi des criminels étrangers. D’autres sujets importants, comme le tunnel routier du Gothard, ainsi qu’une foule de votations et d’élections cantonales étaient parallèlement au menu. Les votations de l’an passé n’avaient attiré que 42% en mars et 43% en juin.

Le record des dernières décennies, détenu par le scrutin sur l’adhésion à l’Espace économique européen (EEE) avec 78,7% de votants en 1992, n’est de loin pas battu. La dernière votation pour laquelle la participation s’est approchée de 60% remonte au 3 mars 2002: 58,4% des citoyens avaient alors voté sur l’adhésion de la Suisse à l’ONU.

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