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Irak: les luttes de pouvoir assombrissent l’avenir

Les récents attentats en Irak ont provoqué de nombreuses victimes. Keystone

Les récentes attaques terroristes à Bagdad sont un signal clair de mécontentement par rapport à ce qui a été accompli jusqu’ici, tant par les Américains que par le Premier ministre Nouri al-Maliki. C’est en tout cas l’analyse d’Hasni Abidi, expert du monde arabe. Interview.

Les attentats qui ont ensanglanté plusieurs villes du pays la semaine dernière (plus de 80 morts et 180 blessés) ont été revendiqués mardi par l’Etat islamique d’Irak. Ce groupe terroriste, affilié à Al-Qaïda, a expliqué dans un communiqué que la série d’attaques était une manifestation de soutien aux prisonniers sunnites.

Les tensions se sont encore exacerbées dans un pays déjà déstabilisé par le récent retrait des dernières forces américaines, suite au mandat d’arrêt lancé par le Premier ministre chiite Nouri al-Maliki contre le vice-président sunnite Tareq al-Hasemi, accusé de terrorisme. Le chef du gouvernement a en outre demandé au Parlement de retirer sa confiance au vice Premier ministre sunnite Saleh al-Mutlaq.

Cette situation est encore rendue plus compliquée par les intérêts régionaux des pays voisins, observe Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen à Genève. Interview.

swissinfo.ch: Bagdad a été frappé ces derniers jours par une série d’attentats coordonnés. Était-ce une réponse prévisible au retrait de l’armée américaine?

Hasni Abidi: Oui. Le moment est choisi par plusieurs groupes pour marquer leur territoire et pour envoyer deux messages: «nous sommes contre le processus politique initié par les Américains» et  «nous sommes contre le gouvernement de Maliki soutenu par l’Iran et arrivé au pouvoir grâce à l’occupation».

Mais les groupes radicaux du type djihadiste trouvent leur compte. En perpétrant des attentats, ils troublent la fête de la fin de mission des Américains.

swissinfo.ch: Sommes-nous au début de la vraie lutte pour le pouvoir après le départ des Américains?

H. A. : Les Américains ont fini par avoir une expérience de l’Irak et une meilleure connaissance leur permettant de devenir l’arbitre d’un équilibre des forces très fragile en Irak. Donc, leur départ va créer un vide, surtout militaire, ce qui intensifiera la lutte entre les forces politiques.

swissinfo.ch: Certains Irakiens accusent des « pays voisins » d’attiser les conflits entre les diverses factions au pouvoir actuellement (les Saoudiens avec les sunnites et les Iraniens avec les chiites). Est-ce que vous partagez ce point de vue?

H. A. : Depuis 2003, l’Irak est une zone d’influence entre les acteurs régionaux. L’Iran a utilisé l’Irak pour repousser le projet américain de frapper ses installations nucléaires par crainte de représailles contre ses soldats en Irak.

L’Arabie Saoudite est pour sa part consciente du fait qu’un Irak proche de l’Iran est forcément hostile à Riyad. Donc chacun de ces pays tient à avoir ses propres réseaux sur place. La Turquie a aussi ses entrées en Irak en raison de la question kurde.

swissinfo.ch: Dans quelle mesure le gouvernement irakien est-il un gouvernement fragile qui risque de tomber?

H. A. : Si les sadristes [partisans du chef radical chiite Moqtada Sadret, NDLR] et les Kurdes se retirent, le gouvernement n’aura plus de raison d’être. Aujourd’hui, le mot d’ordre est de dissoudre le Parlement et convoquer des élections anticipées.

Reste à voir comment fera l’Iran pour soutenir son homme. Nouri al-Maliki est redevable aux Iraniens qui l’ont imposé en tant que Premier ministre contre l’avis de tout le monde.

swissinfo.ch: Les Américains ont-ils toujours de l’influence en Irak? Quel rôle peut ou doit avoir la communauté internationale?

H. A. : Les Américains ont encore une influence, mais moins qu’avant. Le vice-président Joe Biden continuer de s’occuper du dossier irakien et Washington conserve des liens stratégiques avec les Kurdes. Les Américains ont formé les militaires kurdes et espèrent avoir gagné leur confiance. Mais il reste difficile d’évaluer ce qui restera du poids politique des Etats-Unis suite à leur retrait du pays.

Au niveau de la communauté internationale, les Nations Unies sont présentes et officiellement en charge d’assister le gouvernement irakien. Les défis sont énormes pour que ce pays ne sombre pas dans la guerre civile. Quant à l’Europe et aux pays arabes, ce sont les grands absents. Ce vide a vite profité aux Iraniens. Mais il est vrai que sous George Bush, le dossier irakien était un monopole des Américains.

swissinfo.ch: Au vu du bilan «politique» des 9 dernières années en Irak, estimez-vous qu’un régime démocratique est encore possible ou doit-on s’attendre à un retour d’un pouvoir autoritaire à Bagdad?

H. A. La guerre en Irak a souffert d’un manque de transparence. Elle a été déclenchée contre l’avis du Conseil de sécurité des Nations Unies. Pire, pour des raisons qui n’ont pas été confirmées: des liens supposés avec Al-Qaïda et la possession d’armes de destruction massive. Or rien de tout cela ne s’est vérifié. Cependant, le grand mérite de l’intervention est d’avoir permis de se débarrasser de Saddam Hussein.

Il est encore trop tôt pour dire si la démocratie s’est durablement installée en Irak. Mais les faux pas de Nouri al-Maliki ne sont pas du tout rassurants…

Défendus par les diplomates américains dès 1914, puis à partir de 1936 par un consulat de Suisse à Bagdad, les intérêts helvétiques en Irak restent modestes avant les années 1950.

  

Au niveau diplomatique, la Suisse assume la défense des intérêts de l’Allemagne en Irak de 1939 à 1945, ceux de l’Irak dans des pays de l’Axe ou occupés, ceux de la France (1956-1963) et ceux de l’Irak en Allemagne de l’Ouest (1965-1970).

  

Dès la fin des années 1950, des entreprises suisses s’installent en Irak. Les exportations suisses

passent de 25,5 millions de francs en 1970 à 680,4 en 1982.

  

Dès 1961, l’administration fédérale autorise des ventes de matériel de guerre. Elle est par la suite accusée de ne pas contrôler ses exportations utilisées par le régime de Saddam Hussein, notamment contre les Kurdes.

  

A la suite de l’invasion du Koweït par l’Irak, le Conseil fédéral ordonne le 7 août 1990 une participation immédiate aux sanctions économiques décidées par l’ONU.

  

En 2003, l’Irak est envahi par une coalition dirigée par les Etats-Unis. A l’instar de la majorité des membres de l’ONU, la Suisse ne soutient pas cette intervention, ce qui suscite des divergences entre Berne et Washington.

  

Ouvert en novembre 2000, le

bureau de liaison de la Suisse à Bagdad permet de coordonner les activités humanitaires et de favoriser l’essor des échanges avec un pays au fort potentiel économique, malgré les destructions causées par plus de vingt ans de conflits internationaux et d’affrontements internes.  

Source: Dictionnaire historique de la Suisse

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