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L’empreinte du «Village suisse»

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Haut-lieu des collectionneurs d'antiquités et d'objets rares, le «Village suisse» de Paris est né sur le souvenir de l'Exposition universelle de 1900.

Cette année-là, ce sont des chalets, des fromagers, des vaches ainsi qu’une grande roue de 103 mètres de haut qui occupaient la place…

Non loin du Champ de Mars et de la Tour Eiffel, un large panneau: «Le Village suisse», peut-on y lire. Puis: «150 boutiques d’antiquités, d’objets d’art et de décoration».

S’ouvrent alors devant vous, en contrebas de grands bâtiment modernes, contraste étonnant, un dédale propret de ruelles et de patios fleuris aux noms évocateurs: allée du Valais, places de Lugano, de Zurich, de Lucerne, de Berne, de Lausanne, de Genève. Et tout autour, des boutiques.

Retour en 1900. Cette année-là se tient à Paris une exposition universelle qui occupe une bonne partie du 7e arrondissement – entre l’Esplanade des Invalides, l’Ecole Militaire et le Champ de Mars. Et la Suisse y est représentée, sur une superficie de 21’000 m². A l’époque, on ne lésinait pas.

Monde idyllique

Une fois passé les tours de Berne qui encadraient l’Avenue de Suffren, on découvrait un monde idyllique fait de chalets, de pâturages, de rochers. Il y avait même un lac et une cascade. Ainsi que 300 paysans et artisans – fromagers, sculpteurs sur bois, dentellières etc. – qui vaquaient à leurs occupations, en costume traditionnel bien entendu.

«L’exposition universelle de 1900 a été la grande exposition du folklore. A travers nos paysans et paysannes, nous étions tous en somme des ‘nègres blancs’», ironise l’historien franco-suisse Pascal Payen-Appenzeller.

Qui ajoute: «le village suisse a connu un très grand succès. Il faut dire que la Suisse était très à la mode depuis Napoléon III et l’architecte Davioud, qui, intégrait le chalet suisse à sa théorie de l’architecture pittoresque – on en a toujours un au Bois de Boulogne. Le Village suisse témoigne donc aussi de l’architecture de la ‘nouvelle ville-jardin’ telle que Napoléon III l’avait envisagée».

Lors de l’Exposition universelle de 1900 se dressait aussi une grande roue, haute de 103 mètres, grande roue qui fut démontée plus tard. C’est là que commence la deuxième vie du Village suisse.

Des wagonnets aux boutiques chic

«Après qu’on a démonté la grande roue, les wagonnets, laissés sur place, ont été employés par des chiffonniers pour y installer leurs commerces. A une époque, cela a même été un peu ‘le marché aux voleurs’! Pendant la guerre, à une époque où tout manquait, c’était un lieu de marché parallèle», explique Michel d’Istria, spécialiste du meuble ancien, qui tient boutique depuis 50 ans dans le Village suisse.

A quel moment passe-t-on de la fripe à l’antiquité? «Dans les années 48-50, c’était surtout des marchands de vêtement. Et puis un antiquaire-brocanteur est venu s’installer, et progressivement, les vendeurs de vêtement ont été chassés au profit des antiquaires, qui se sont étendus.»

Ghislaine Chaplier, antiquaire au Village suisse depuis 25 ans, se souvient de cette période transitoire: «Petite, j’habitais déjà le quartier. Quand nous allions en promenade au Champ de Mars, nous passions par le Village suisse pour le plaisir de mes parents. La première partie, c’était le cuir et les vêtements, puis suivaient les antiquaires».

L’ambiance est alors celle d’un marché aux puces. Mais les choses vont changer avec le boom des années 60. En 1967, la zone est rasée et de grands immeubles bourgeois sont construits. Mais le Village suisse survivra, car les promoteurs ont proposé de reloger les antiquaires. «On n’a rien eu à exiger, ils étaient très contents d’avoir le Village suisse», dit Michel d’Istria.

«Le Village suisse est devenu un argument pour les promoteurs, c’est de la mémoire récupérée, constate Pascal Payen-Appenzeller. Le Village suisse gardait un côté ‘village’, comme aux Puces de Clignancourt, mais en étant à l’intérieur, à Paris, quelque chose de très subtil sur le plan de la hiérarchie socioculturelle».

«Salon d’antiquités permanent»

Le succès du Village suisse viendra notamment du fait que ses boutiques étaient ouvertes le dimanche à une époque où tout était fermé ce jour-là, devenant un lieu privilégié pour les promenades dominicales.

Comment vit-on aujourd’hui dans ce Village qui n’a de suisse que le nom, ce «salon d’antiquités permanent», selon l’expression de Michel d’Istria ?

«Chaque boutique est indépendante, mais on fait partie d’un ensemble: il y a le Comité d’animation du Village suisse. On se regroupe pour faire de la publicité, organiser des fêtes, et pour le site Internet, que j’anime», explique Ghislaine Chaplier, spécialiste des objets de l’univers féminin des 18e et 19e siècles – bijoux anciens, nécessaires de couture, épingles à chapeau, hochets.

La clientèle est davantage française qu’étrangère. «Plutôt les particuliers que les marchands, à la différence des Puces de Saint-Ouen. La clientèle particulière aime mieux se retrouver dans des boutiques, au calme» explique l’antiquaire.

En termes de marketing, l’étiquette «Village suisse» représente-t-elle plutôt un atout ou au contraire un poids un peu désuet ? «On porte ce nom depuis un siècle, on va le garder !» s’exclame Ghislaine Chaplier.

«C’est bien rentré dans les mentalités, il n’y a pas de problèmes. Mais on a parfois des surprises. Un jour, un visiteur m’a demandé: ‘Est-ce qu’on peut payer en argent français?», se souvient en riant Michel d’Istria.

Même en euros…

swissinfo, Bernard Léchot à Paris

Le Village Suisse, 78, avenue de Suffren et 54, avenue de la Motte-Picquet, 75015 Paris (Métro: La Motte-Piquet Grenelle).
Ouvert du jeudi au lundi inclus de 11h00 à 19h00.

«Le Village suisse c’est la Suisse à Paris; c’est la synthèse animée de cet original petit pays, dont les beautés naturelles font chaque été l’admiration de milliers et de milliers de touristes accourus de tous les points du monde.

Les deux ingénieurs et architectes artistes, MM. Charles Henneberg et Jules Allemand, qui ont conçu et exécuté ce projet grandiose, ont poussé si loin la passion de la vérité qu’ils ont fait transporter des vallées les plus reculées de la Suisse les chalets et les maisonnettes rustiques, où l’on voit en leur costume traditionnel plus de 300 paysans et paysannes, pâtres, ouvriers, artisans, sculpteurs sur bois, vanniers, tisseurs, brodeuses et dentellières travailler comme dans le village.»

in «Paris Exposition 1900», Librairie Hachette et Cie, 1900

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