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L’initiative sur le renvoi, une épreuve pour la gauche

Exemple de message politique: ces chaussures liées avec un adhésif où est inscrit le mot "expulsé" ont été déposées sur la Place fédérale de Berne. Keystone

A trois semaines du vote, les opposants à l’initiative exigeant l’expulsion des étrangers ayant commis certains délits en Suisse mobilisent toutes leurs forces. Les partisans ont néanmoins nettement plus de moyens financiers. Avis croisés de deux politologues.

Des groupes d’activistes de gauche ont organisé des événements dans les rues des villes de tout le pays le week-end dernier. Un groupe d’artistes engagés en politique ont réalisé de petits films montrant métaphoriquement les effets de l’initiative «sur le renvoi» dans une salle de classe. Les actions se multiplient.

Mais, jusqu’ici, les partisans du texte qui vise à expulser de Suisse tout étranger ayant commis certains délits ou profité abusivement de l’aide sociale semblent avoir la haute main dans l’opinion publique. Les moutons blancs déjà utilisés lors des dernières élections nationales pour symboliser les «bons» contre les «mauvais» ont refait leur apparition sur les affiches de votation.

Le débat est très émotionnel. Selon Georg Lutz, politologue à l’Université de Lausanne, la campagne montre bien l’inégalité des ressources financières entre les deux camps.

«Peu d’impact»

La gauche et les artistes réussiront-ils leur campagne? L’impact devrait rester limité, selon Michael Hermann, de l’Université de Zurich. «Je doute que les initiatives des créateurs puissent atteindre d’autres personnes que celles qui sont déjà convaincues», dit le géographe-politologue, créateur de l’Institut sotomo.

Michael Hermann pense que les interventions publiques de la nouvelle ministre de la Justice, la socialiste Simonetta Sommaruga, ont plus de chances de faire échouer l’initiative de l’UDC (Union démocratique du Centre, droite conservatrice)

Le Zurichois n’est pas non plus convaincu que, si elle avait davantage de moyens, l’action de la coalition formée des socialistes, des Verts, des Eglises et des syndicats aurait plus de succès. «La tendance générale est claire, dit Michael Hermann: les citoyens veulent plus de dureté à l’égard des étrangers criminels.»

Divisions

L’alliance de centre-gauche est en outre divisée sur la question du contre-projet adopté par le Parlement et également soumis aux citoyens. Celui-ci respecte le droit international et les droits constitutionnels des étrangers, tout en renforçant les sanctions. Mais il contient aussi un nouvel article constitutionnel destiné à encourager l’intégration.

Certains politiciens de gauche tendent à approuver le contre-projet, mais cela ne correspond pas à la position officielle du Parti socialiste, qui est le double non. Les deux politologues ne pensent toutefois pas que cette attitude puisse être contreproductive pour le parti. «Cette discussion permet d’attirer l’attention des médias», relève Georg Lutz.

Tactique et progrès

Le politologue lausannois estime qu’il est positif de ne pas considérer la thématique selon un point de vue «noir» ou «blanc». Mais, nuance-t-il, «il n’est pas évident de comprendre les raisons tactiques que certains avancent pour favoriser le contre-projet».

Michael Hermann va plus loin: «Le fait que le PS accepte certaines positions divergentes est un progrès. Avant, cela aurait été passablement tabou.» Le risque est, avertissent de nombreux observateurs, que l’éparpillement des voix de gauche finisse par servir les intérêts de l’UDC.

Les socialistes ont néanmoins tenté d’adoucir leurs divergences après un congrès houleux tenu il y a près de deux semaines. Ils ont insisté sur le fait que les deux ailes étaient unies dans leur rejet de l’initiative et que les opinions ne diffèrent que sur la manière d’atteindre leurs objectifs.

Economie silencieuse

De leur côté, les partisans socialistes du contre-projet restent imperturbables. Ils reprochent aux partis du centre-droit (libéraux-radicaux et démocrates-chrétiens) de ne pas tenir leurs promesses de tenir un rôle majeur dans la campagne, en échange de leur soutien lors de débats parlementaires.

La question du manque de soutien des milieux économiques est également soulevée. Selon la ministre de la Justice Simonetta Sommaruga, l’acceptation de l’initiative aurait pourtant des retombées négatives pour l’économie. Le patron de l’organisation faîtière economiesuisse estime au contraire qu’elle n’aurait aucune incidence sur la marche des affaires…

UDC. Soumise au vote le 28 novembre prochain, l’initiative populaire fédérale «pour le renvoi des étrangers criminels» émane de l’UDC (droite conservatrice).

Délits. Elle entend systématiquement priver de titre de séjour et expulser les étrangers qui ont été condamnés par un jugement entré en force pour différents motifs, notamment meurtre, viol, mais aussi brigandage, trafic de drogue, effraction ou encore perçu abusif des prestations des assurances sociales.

Expulsion. Ces personnes seraient expulsées indépendamment de leur statut. Avec l’expulsion, elles seraient frappées d’une interdiction d’entrer sur le territoire qui irait de 5 à 15 ans, 20 ans en cas de récidive.

Pas de proportionnalité. Dans l’initiative, aucun principe de proportionnalité ne doit être examiné.

Le contre-projet ajoute une possibilité de renvoi pour escroquerie d’ordre économique.

Droits fondamentaux. Le texte approuvé par le Gouvernement et le Parlement précise que la décision relative au retrait du droit de séjour, à l’expulsion ou au renvoi, est prise dans le respect des droits fondamentaux et des principes de base de la Constitution et du droit international, en particulier dans le respect du principe de proportionnalité.

Intégration. Le contre-projet met aussi en avant un article sur le devoir de la Confédération d’encourager l’intégration.

Le centre-droit appuie le contre-projet, tandis que
la droite dure fait campagne pour l’initiative.

Le centre-gauche prône un double non et estime que le droit existant est suffisant. Une minorité de la gauche soutient le contre-projet.

(Traduction et adaptation de l’anglais: Ariane Gigon)

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