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La Suisse a tenté de maquiller des entorses à sa neutralité

Christoph Graf, directeur des Archives fédérales. Keystone

Un groupe d'historiens suisses - dont le directeur des Archives fédérales Christoph Graf - a présenté, mercredi, un ouvrage explosif. On y apprend comment, après 1945, Berne a tenté de maintenir intact sur la scène internationale le «mythe» de la neutralité helvétique.

Curieuse coïncidence: le jour où une commission nationale publie en toute indépendance un nouveau volume (1949-1952) des «Documents diplomatiques suisses», des historiens rendent publique la parution d’un autre ouvrage qui montre comment le gouvernement suisse a été animé par un esprit exactement contraire.

Intitulé «L’histoire sous les ciseaux de la censure politique», ce nouveau livre affirme notamment que le Conseil fédéral, jusqu’en 1961, «a tenté d’empêcher un examen indépendant de l’histoire de la Suisse pendant la Deuxième Guerre mondiale ou, lorsque ce n’était pas possible à cause des révélations alliées, de l’influencer».

Actuellement chargé de cours à l’Université de Berne, l’auteur du livre, l’historien grison Sacha Zala, a en fait déjà publié dans plusieurs ouvrages une partie du résultat de ses recherches effectuées notamment aux Etats-Unis.

Le livre qui vient de paraître est cependant beaucoup plus vaste. Car, il analyse aussi en détail comment, au nom de la raison d’Etat, trois pays – l’Allemagne, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis – ont souvent, ces deux cents dernières années, triché avec la vérité des documents historiques.

La partie la plus intéressante de l’ouvrage de Zala est celle qui montre comment Berne a obtenu que les Alliés de la Deuxième Guerre mondiale diffèrent de plusieurs années – en fait, jusqu’en 1961 – la publication de deux documents compromettants. Ils ont été saisis par les Allemands lors de l’invasion de la France – et confisqués plus tard par les Alliés – sur les accords secrets conclus par le général Guisan avec l’Etat-major français.

Qualifiés officiellement de «conversations», ces accords – conclus en 39/40 – portaient sur une coopération avec la France en cas d’invasion de la Suisse par l’Allemagne et donnaient connaissance à la France de l’emplacement des fortifications suisses.

Ils contredisaient de manière flagrante l’image de neutralité quasi parfaite que la Suisse voulait alors donner de son comportement pendant la guerre et le Conseil fédéral souhaitait à tout prix empêcher ou différer leur publication.

Documents à l’appui, Zala montre comment le chef de la diplomatie suisse d’alors – le Conseiller fédéral Max Petitpierre – a fait connaître clairement sa position aux Américains. Et comment il a habilement laissé entendre qu’il était dans l’intérêt des Etats-Unis d’empêcher la publication des documents en question. La Suisse «neutre» étant éventuellement disposée à conclure avec l’OTAN des accords secrets de coopération militaire, comme elle l’avait fait en 39/40 avec la France.

Les Américains furent apparemment sensibles à ces arguments. Car, quelques mois plus tard, le Département d’Etat à Washington décide de renvoyer de plusieurs années la publication des documents gênants pour la Suisse.

Il s’agit là d’un revirement substantiel. Puisque les Etats-Unis s’étaient battus en faveur de la publication de l’immense masse de documents saisis aux Allemands.

En fait, selon un procès-verbal américain, l’OTAN était d’avis qu’une publication des documents «rendrait plus difficile toute négociation que l’0TAN pourrait un jour vouloir entamer avec les Suisses».

Commentaire à peine ironique de Sacha Zala: «L’Etat neutre veut que la preuve de – sa non-neutralité – soit étouffée, car il projette de continuer à être – non-neutre – en tant qu’Etat neutre».

Michel Walter

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