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«La preuve que la Russie a échoué dans le Caucase»

Au moins 38 personnes ont péri dans le double attentat perpétré au coeur de Moscou. Reuters

Après une relative accalmie de plusieurs années, Moscou a été la cible d’un double attentat meurtrier lundi matin. Pour Thérèse Obrecht, spécialiste de la Russie, ces attaques illustrent l’échec de la politique sécuritaire menée par le Kremlin dans le Caucase.

La première explosion a frappé à 07h57 locales une rame de métro bondée dans la station de Loubianka, en plein centre-ville de Moscou. Un site hautement symbolique, puisque c’est là que se situe le siège des services spéciaux russes, le FSB. Une demi-heure plus tard, le même scénario s’est reproduit à la station Park Koultoury, également au cœur de la capitale.

Au total, 38 personnes sont décédées et plus de 65 ont été blessées dans ce double attentat qui aurait, selon les autorités russes, été perpétré par deux femmes kamikazes. Le dernier attentat d’ampleur dans le métro de la capitale remontait au 6 février 2004. Il avait fait 41 morts et 250 blessés.

Le chef des services spéciaux russes (FSB) a attribué ces attentats à des «groupes terroristes» liés à la mouvance rebelle de la région du Caucase du Nord, qui donne depuis des années du fil à retordre à Moscou.

Journaliste indépendante, présidente de la section suisse de Reporters sans frontières (RSF), Thérèse Obrecht a longtemps été correspondante de la télévision publique suisse à Moscou. Elle livre son analyse sur les raisons qui ont mené à ce nouvel acte de violence.

swissinfo.ch: Moscou accuse des groupes terroristes du Caucase du Nord d’être à l’origine des attentats de lundi matin dans le métro de Moscou. Est-ce crédible selon vous?

Thérèse Obrecht: Chaque fois qu’un attentat est commis en Russie, les Tchétchènes, de manière plus générale les Caucasiens, sont accusés. Cela s’est souvent avéré juste. Mais lors des attentats de 1999 qui ont fait plus de 200 morts à Moscou [ndlr: et qui ont déclenché la deuxième guerre en Tchétchénie], la piste tchétchène était clairement une manipulation du pouvoir. Il faut donc rester prudent. La signature de l’attentat de ce lundi semble toutefois indiquer qu’il est l’œuvre de femmes kamikazes tchétchènes ou caucasiennes.

swissinfo.ch: Ces dernières semaines, les forces russes ont abattu plusieurs leaders islamistes dans le Caucase du Nord. Peut-on déceler dans ces attentats une réponse directe de la guérilla?

T.O.: Je pense que ce sont là des actes de vengeance qui s’inscrivent dans un cercle interminable de cruauté, d’injustice et de guerres. En Tchétchénie, mais aussi dans les républiques voisines du Daguestan et de l’Ingouchie, des assassinats, des enlèvements et des actes de violence sont perpétrés tous les jours.

Le Caucase du Nord est une poudrière. Ces attentats sont la preuve que la ligne officielle du Kremlin, qui déclare sans relâche que la guerre est terminée et que tout est réglé, est fausse. En mettant Ramzan Kadyrov, qui n’est autre qu’un assassin et un tortionnaire, à la tête de la Tchétchénie, la Russie a échoué. Tôt ou tard, le pouvoir russe arrivera aussi à cette conclusion: sans un minimum de justice et d’espoir, ce conflit restera éternellement latent.

swissinfo.ch: Après l’assassinat de la militante des droits de l’homme Natalia Estemirova en juillet 2009, certains défenseurs des Droits de l’homme ont comparé le régime de Kadyrov à celui de la pire période de terreur stalinienne à la fin des années 30. Partagez-vous cet avis?

T.O.: Je n’irais pas jusque-là. Mais selon des statistiques rendues publiques par l’ONG Memorial, il y a eu proportionnellement à la population davantage de morts en Tchétchénie ces dernières années qu’en URSS durant la période stalinienne.

Ramzan Kadyrov règne en maître absolu et de manière totalement arbitraire sur son pays. C’est un monstre de cruauté qui tient cette République par la peur. Le seul espoir pour les jeunes est d’aller rejoindre la guérilla. L’islamisme radical se nourrit de toutes les injustices qui perdurent depuis plus de quinze ans. Le terreau est fertile dans cette région où toute une génération ne connaît que l’injustice, la violence et la guerre.

swissinfo.ch: Le conflit tchétchène s’est propagé dans les républiques voisines, en Ingouchie et au Daguestan notamment. Les revendications indépendantistes y ont-elles encore un avenir?

T.O.: En 1994, le général Doudaïev menait une guerre indépendantiste même si elle se jouait sur un arrière-fond de règlement de comptes mafieux entre militaires russes et tchétchènes. Ensuite, l’enjeu pétrolier est venu s’ajouter à ces revendications. Aujourd’hui, seule une infime partie des Tchétchènes parle encore d’indépendance. La guerre est avant tout un moteur pour la corruption et toutes sortes de mafias locales.

Les gens veulent simplement pouvoir recommencer à vivre normalement. Les Tchétchènes vivent actuellement dans une insécurité totale et sous un régime totalement arbitraire. Certains en viennent même à souhaiter que les troupes russes reviennent. Les milices de Ramzan Kadyrov arrêtent, torturent et assassinent à tour de bras. C’est un Etat privé de droit et de justice.

swissinfo.ch: Les attentats de ce lundi vont-ils affaiblir ou au contraire renforcer le pouvoir russe?

T.O.: Certains Russes affirment aujourd’hui que le pouvoir n’est pas capable de garantir leur sécurité. La population craint un nouveau cycle d’attentats. Mais jusqu’ici, la politique répressive a toujours servi le Kremlin. La vision de Vladimir Poutine est exclusivement basée sur la force. On peut donc s’attendre à un nouveau cycle de répression et de vengeance. La population est privée d’informations objectives et le gouvernement peut la manipuler comme il le désire. De manière générale, les attentats affaiblissent toujours le camp de la paix.

swissinfo.ch: RSF a dénoncé dans un rapport publié en juin 2009 le «rideau de fer médiatique» qui s’est abattu sur le Caucase du Nord. Cet attentat va-t-il encore compliquer le travail des journalistes sur le terrain?

T.O.: Certainement. Pour avoir vécu longtemps en Russie, j’ai pu constater l’évolution négative en matière de liberté de la presse. L’an dernier, la Russie a encore rétrogradé de dix places dans le classement établi par RSF. Elle occupe désormais la 154e position sur 170 pays.

Samuel Jaberg, swissinfo.ch

De Washington à Pékin, en passant par Bruxelles, de nombreux chefs d’Etat ont condamné les attentats perpétrés lundi dans le métro de Moscou.

«Le peuple américain est solidaire du peuple russe pour s’opposer à l’extrémisme violent et aux attentats terroristes ignobles qui montrent un tel mépris de la vie humaine», a réagi Barack Obama dans un communiqué.

Le président chinois Hu Jintao a condamné les attentats et affirmé «soutenir les efforts de la Russie pour éliminer le terrorisme».

«L’UE se tient résolument aux côtés de la Russie pour contrer le terrorisme sous toutes ses formes», a souligné le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso.

Le gouvernement espagnol, qui assure la présidence tournante de l’UE, a exprimé sa «condamnation la plus énergique», tout comme le président français Nicolas Sarkozy, en déplacement aux Etats-Unis, qui a assuré la «Russie de l’entière solidarité de la France face à cet acte lâche et ignoble».

La chancelière allemande Angela Merkel a appris avec «consternation et horreur la nouvelle». A Londres, le Premier ministre britannique Gordon Brown s’est dit «consterné par les images en provenance de Moscou».

En tant que présidente du Comité des ministres du Conseil de l’Europe,
Micheline Calmy-Rey a condamné «avec la plus grande fermeté» ces attentats. Rien ne peut justifier de telles attaques abominables, et je les condamne avec la plus grande fermeté», a indiqué la ministre suisse des Affaires étrangères.

«Ces horribles attentats nous rappellent la nécessité de poursuivre avec détermination la lutte contre le terrorisme dans le respect des droits de l’homme et de la démocratie», a-t-elle ajouté.

Source: AFP & ATS

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