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La paix en Afrique au bout de la plume

Au Rwanda, les médias audiovisuels, essentiellement la radio, ont contribué au génocide en servant de relais à la propagande de la haine. Reuters

Par leur façon de relater l'actualité, les médias peuvent attiser les conflits ou les apaiser. Deux associations suisses organisent des ateliers de sensibilisation des journalistes à la paix et à la réconciliation. Le dernier s'est tenu en Côte d'Ivoire.

«Au Rwanda, en 1994, les moyens de communication modernes, dont la Radio Télévision Libre des Milles Collines (RTLM), ont été le fer de lance d’une propagande de la haine qui a mobilisé les cadres de l’Etat, les forces armées et de police, les services administratifs et la population organisée en milice.»

Michel Gakuba ne mâchait pas ses mots à la tribune des Nations Unies à Genève, lors de la commémoration, le 7 avril dernier, du génocide des Tutsi au Rwanda. A l’appui de ses propos, le président de l’association Ibuka citait Léon Mugesera, idéologue de la tristement célèbre radio: «Renvoyez les Tutsi d’où ils sont venus, par les voies les plus rapides.»

Et la suite est connue: des milliers de corps charriés par les rivières et exposés aux écrans de télévision du monde entier. Les pêcheurs du Lac Victoria ont été les seuls à crier au secours parce qu’ils étaient privés de poissons. «Personne d’autre ne s’est inquiété de la catastrophe humaine», martelait ce rescapé Tutsi devant un auditoire visiblement impressionné.

Belligérants manipulés

Si le génocide rwandais est l’exemple le plus emblématique de l’impact des «médias de la haine» sur la machine de guerre, d’autres conflits ont été largement attisés par des journalistes manipulés par les belligérants. Notamment la Côte d’Ivoire, en crise depuis 2000, où Infosud et Initiatives et Changement International, tous deux basés à Genève, ont réuni 25 journalistes début mars dans le cadre du programme «Journalisme de réconciliation et de paix».

L’idée de ce programme est née en avril 2004. Fabrice Boulé, journaliste à Infosud, se trouvait alors à Goma. «On formait des journalistes qui, après avoir passé quelques heures dans le cocon de notre salle de classe, retournaient à la dure réalité du Sud-Kivu – une région qui, dix ans auparavant, avait vu affluer un million et demi de réfugiés rwandais en quelques jours. Un soir, j’ai rencontré un gars avec les yeux injectés de sang qui m’a dit: “Si les choses ne changent pas, on recommencera et, cette fois, on finira le boulot!” Il se disait de la société civile locale et me parlait d’un deuxième génocide. Ca m’a pétrifié. Je me suis rendu compte que notre formation était complètement déconnectée de la réalité. Et j’ai eu envie de passer à autre chose.»

Changement individuel

De retour en Suisse, il se rend à Caux, où Initiatives et Changement International tient ses conférences d’été. Il décide d’organiser des ateliers de sensibilisation à la paix et la réconciliation pour les journalistes. Avec une méthode originale: «Eux, ils transmettent le savoir-faire et nous, nous transmettons le savoir-être, nous explique Danielle Maillefer, directrice d’Initiatives et Changement International à Genève. La base de notre formation, c’est l’écoute et le dialogue.»

Convaincu que la transformation de la société passe par le changement individuel, le Mouvement essaie d’insuffler un peu d’éthique dans les relations internationales, industrielles et familiales. En insistant sur la responsabilité individuelle: «On ne peut pas toujours mettre la faute sur l’autre !» résume Danielle Maillefer.

Des médias socialement responsables

Si les médias, à eux seuls, ne peuvent pas mettre fin à la violence, des médias socialement responsables sont indispensables pour surmonter une crise. Pour cela, les journalistes doivent accepter de se poser certaines questions sur leur rôle, leur fonctionnement qui privilégie le spectaculaire, l’éphémère, le conflictuel. Et pourquoi la paix ne se vendrait-elle pas aussi bien que la guerre? Pourquoi le journalisme de guerre est-il un genre noble, sans qu’on parle jamais de journalisme de paix?

«Nous ne sommes ni des curés, ni des psychologues, se défend Fabrice Boulé. Nous proposons des valeurs simples, un humanisme respectueux de la vie et des différences, qui nourrit un journalisme équilibré et fouillé.»

Réfutant tout angélisme, il a constaté à maintes reprises l’efficacité de la démarche: «Pendant un jour et demi, on marchait sur des charbons ardents et la tension était palpable entre nos bouillants journalistes. Mais le deuxième jour, nous avons proposé une réflexion sur I have a dream, de Martin Luther King. Et là, les participants ont commencé à s’ouvrir.» Même si certains attendent de cette méthode des miracles, elle ne prétend pas résoudre les problèmes par un coup de baguette magique. Mais le fait que les gens se respectent constitue un progrès certain.

En Côte d’Ivoire, l’atelier visait à promouvoir la synergie des médias pour des élections propres et sans haine. Car même si l’élection présidentielle, initialement prévue en juin, a été reportée au 30 novembre, son approche échauffe déjà les esprits.

swissinfo, Isolda Agazzi/Infosud

A ce jour, cent vingt-cinq journalistes ont participé à cinq formations au Burundi, en RDC, deux fois à Caux et en Côte d’Ivoire.

En Côte d’Ivoire, l’atelier a été organisé grâce au soutien de la Direction du Développement et de la Coopération (DDC) et des Affaires étrangères allemandes. Vingt-cinq journalistes politiques, sélectionnés par les médias locaux étaient présents.

Les formateurs recommandent:
– d’éviter de marquer une distinction claire entre «moi», «nous» et «l’autre»;
– d’éviter de présenter un conflit comme le face-à-face de deux camps seulement
– d’éviter de se concentrer toujours sur ce qui divise et de décrire seulement la violence ou l’horreur
– d’éviter le vocabulaire qui victimise, l’usage imprécis de mots très chargés émotionnellement comme «génocide»
– d’éviter les termes qui diabolisent, comme «terroriste, extrémiste» et de se focaliser sur les atteintes aux droits de l’homme commises par un seul camp.

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