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Le Cassis de Dijon n’est pas du goût de tous

Keystone

Prévue pour 2010, la libre commercialisation des produits européens en Suisse est contestée par référendum. Baisse de qualité, pression sur les prix, non réciprocité de l'UE, les inquiétudes de certains viticulteurs et agriculteurs pourraient faire tache d'huile.

Les poules helvétiques sont doublement chanceuses. D’une part, la Suisse a interdit dès 1992 l’élevage en batterie, encore toléré dans l’Union européenne (UE). D’autre part, elle prévoit de les exempter de la rude concurrence de leurs consœurs européennes qui pondent en cage à moindre prix.

Les œufs issus d’élevage en batterie comptent en effet parmi les 18 exceptions – sur une liste qui en recensait à l’origine 128 – que Berne a décidé de maintenir au principe dit du Cassis de Dijon.

Ce dernier consacre la libre circulation des marchandises au sein de l’UE et interdit toute mesure de protection technique à l’importation. En acceptant la révision de la loi suisse sur les entraves techniques au commerce (LETC) lors de la session d’été, le Parlement a donc entériné une entrée en vigueur au 1er janvier 2010.

A cette date, quantité de produits – vêtements, meubles, cosmétiques, aliments – pourront être vendus en Suisse, pour autant qu’ils satisfassent aux normes européennes, et non plus aux seules prescriptions helvétiques.

Risque de nivellement

Cette ouverture du marché n’est cependant pas du goût de tout le monde. A la Chambre basse, les Verts et l’Union démocratique du centre (UDC, droite conservatrice), alliés pour l’occasion, avaient en effet dénoncé les risques de baisse de qualité des produits commercialisés en Suisse. Mais aussi le fait que le Cassis de Dijon sera appliqué sur sol helvétique sans réciprocité de la part de Bruxelles.

Deux semaines à peine après la décision malgré tout positive du Parlement, c’est du secteur viticole qu’est parti le lancement d’un référendum à la mi-juin. Avec son association La Vrille, le viticulteur genevois Willy Cretegny fait la synthèse des arguments des opposants au Cassis de Dijon.

«Nous défendons la souveraineté de chaque pays et son droit à faire des choix. Nous sommes pour une politique de respect de la différence plutôt que de nivellement par le bas», explique-t-il. Là où les partisans du Cassis parlent d’«entraves techniques au commerce», leurs contradicteurs évoquent des standards garantissant un certain niveau qualitatif, environnemental et social propre à la Suisse.

Concurrence accrue

A leurs yeux, les garde-fous prévus – réclamés notamment par les grandes organisations agricoles comme l’Union suisse des paysans – sont largement insuffisants. Les aliments par exemple pourront être commercialisés en Suisse sous réserve d’une autorisation accordée par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui devra statuer dans un délai de deux mois. «Trop court», critique Willy Cretegny. Et d’évoquer la question complexe des organismes génétiquement modifiés (OGM) ou celle des hormones de croissance.

Quant aux effets de la levée des prescriptions suisses, il estime qu’ils se feront aussi sentir pour les petites entreprises confrontées à la concurrence européenne. Le Cassis de Dijon «va soumettre nos producteurs, industriels ou agricoles, à une pression encore plus forte, estime-t-il. En Suisse, les entreprises doivent suivre des normes plus sévères pour la protection de l’environnement, ce qui est une bonne chose, mais leurs produits vont être concurrencés directement. Elles s’adapteront donc à la baisse.»

Déjà rejointe par l’extrême gauche vaudoise, par le syndicat paysan Uniterre et par certains membres d’Ecologie libérale ou des Verts alternatifs bernois, la Vrille a jusqu’au 1er octobre pour récolter 50’000 signatures. Au niveau des grands partis, les Verts décideront d’ici fin juillet s’ils se lancent dans la fronde, alors que l’UDC laisse le choix à ses sections cantonales.

Etapes suivantes

Du côté de l’administration fédérale, le ton se veut rassurant. «L’argument de perte de qualité ne tient pas la route. Le niveau de la communauté européenne en matière de santé publique est par exemple très élevé. Les touristes suisses qui s’y rendent reviennent, à ma connaissance, en bonne santé», souligne Christian Etter, chef de service au Secrétariat d’Etat à l’Economie (Seco).

Quant à la procédure spéciale d’autorisation prévue pour les aliments, il est confiant. «L’OFSP peut évaluer si un produit remplit ou non les standards et de sécurité suisses. Dans le doute, j’ai plutôt l’impression qu’il le refusera», ajoute Christian Etter.

Concerné par plusieurs des exceptions prévues au Cassis de Dijon, l’Office fédéral de l’Environnement (OFEV) est sur la même longueur d’ondes. «Les exceptions qui restent sont les plus importantes. Dans les autres cas, la législation européenne est devenue plus stricte, raison pour laquelle il n’est plus nécessaire de les maintenir», explique Georg Karlaganis, chef de la division Substances, sol, biotechnologie.

Fidèle à sa volonté d’alignement sur Bruxelles, le gouvernement suisse a lui déjà franchi un pas supplémentaire. Il a mis en consultation jusqu’au 16 octobre un projet qui vise à s’associer aux systèmes européens pour la sécurité des denrées alimentaires et des produits.

Parallèlement, Berne est en train de négocier un accord de libre-échange agricole avec l’UE, dont l’entrée en vigueur est souhaitée pour 2016. Un avenir que La Vrille trouve plus difficile encore à avaler que le Cassis de Dijon et contre lequel elle prépare des initiatives populaires.

Carole Wälti, swissinfo.ch

Selon le Secrétariat d’Etat à l’Economie (Seco), l’introduction du Cassis de Dijon en Suisse représente un potentiel d’économie d’environ 10% sur le prix des produits concernés.
Soit des économies annuelles de plus de 0,5 milliard de francs et un effet sur la croissance supérieur à 0,5% du produit intérieur brut (PIB), toujours selon le Seco.
Au total, 82% des importations suisses proviennent d’Europe. Une grande partie des marchandises circule déjà librement, quand les prescriptions sont harmonisées ou quand il existe des accords internationaux.
La part des importations entravées par des obstacles techniques au commerce s’élève actuellement à 52%, d’après le Seco.
Elle ne devrait être plus que de 19% après l’entrée en vigueur du Cassis de Dijon.

La Suisse est actuellement en train de prendre divers types de mesures pour ouvrir les portes de son marché intérieur.

Au 1er juillet est par exemple entrée en vigueur l’autorisation des importations parallèles, qui permet d’acheter un produit breveté vendu meilleur marché dans un pays de l’UE et de le revendre en Suisse à ce prix. La réciproque n’est pas prévue de la part de l’UE.

Le principe du Cassis de Dijon découle quant à lui d’une décision de la Cour de justice des Communautés européennes de 1979 sur la distribution en Allemagne de la fameuse liqueur française.

En vertu de ce principe, un produit fabriqué et vendu légalement dans un pays membre de l’Union européenne (UE) peut circuler librement dans les autres pays membres sauf s’il représente un danger pour la santé.

L’introduction du principe du Cassis de Dijon permet donc d’importer directement en Suisse des marchandises de l’UE. Sauf exceptions, ces biens ne devront plus satisfaire au préalable aux prescriptions helvétiques, souvent plus strictes.

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