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Pourquoi la pilule «anti-VIH» est si difficile d’accès en Suisse

En Suisse, la PrEP coûte près de 900 francs pour 30 comprimés et n'est pas remboursée par l'assurance maladie. Britta Pedersen / DPA / AFP

Si la Suisse a fait figure de pionnière en matière de prévention contre le Sida, elle est aujourd’hui à la traîne. Prescrite depuis 10 ans, la PrEP, traitement préventif efficace, est encore difficilement accessible. Les médecins sont contraints de conseiller à leurs patients de se le procurer à l’étranger.

Une personne infectée par le VIH n’est aujourd’hui plus condamnée à une mort certaine. Sous traitement efficace, elle n’a pas non plus de risque de transmettre le virus lors de rapports sexuels.

Ce n’est pas nouveau; la déclaration suisse (swiss statementLien externe) a rendu l’information publique en 2008 déjà. A l’époque, le message publié par la Commission fédérale pour la santé sexuelle dans le Bulletin des médecins suisses était avant-gardiste et avait eu l’effet d’une bombeLien externe. Dix ans après, le spectre du sida continue à faire peur et les fausses idées à circuler.

En conséquence, les personnes séropositives sont régulièrement discriminées. L’Aide Suisse contre le Sida avait recensé 122 cas de discrimination à la mi-novembre 2018Lien externe, soit un niveau record. Ces discriminations touchent divers domaines:

Contenu externe

Pour faire passer le message auprès de la population, l’Aide Suisse contre le Sida lance une nouvelle campagne, intitulée «VIH. Ensemble contre la peur pour l’amour»Lien externe. Le message: «Une personne séropositive sous traitement ne transmet pas le VIH, y compris lors de rapports sexuels.»

Ensemble contre la peur
Aide Suisse contre le Sida

Avant même sa sortie agendée au 1er décembre, la Journée mondiale de lutte contre le sida, la campagne a déjà suscité la polémique. Certains craignent une banalisation du problème. «On semble suggérer que la thérapie contre le sida peut être comprise comme une pilule du lendemain, et cela sape les autres campagnes», a notamment déploré l’immunologue Beda Stadler dans le quotidien alémanique Tages-AnzeigerLien externe.  

Alexandra Calmy, responsable de l’Unité VIH-Sida aux Hôpitaux universitaires de Genève, ne comprend pas le controverse autour du message véhiculé par l’Aide Suisse contre le Sida. Elle estime que la campagne n’incite pas à abandonner le préservatif mais diffuse une information correcte qu’il est essentiel de transmettre: «Je suis choquée de voir les peurs qui règnent encore autour des personnes séropositives. Les patients vivent désormais bien avec la thérapie mais ils souffrent de ce climat.»

Le traumatisme de l’épidémie de Sida dans les années 1980 semble avoir marqué durablement l’imaginaire collectif. Aujourd’hui encore, les tragiques histoires de personnes terrassées par la maladie sont narrées au cinéma. «La science a évolué plus rapidement que l’opinion»,  constate Alexandra Calmy, qui déplore un manque d’information.

La PrEP, une petite révolution

Parallèlement aux traitements, la prévention a évolué. L’apparition de la PrEP (prophylaxie préexposition), un traitement préventif, est l’une des principales avancées dans ce domaine. Son efficacité a été démontré dans plusieurs études mais il reste difficilement accessible en Suisse.

Les médicaments contre le VIH ne sont pas officiellement autorisés comme traitement préventif, comme le rappelle le gouvernement dans sa réponse à une interpellationLien externe du député socialiste Angelo Barrile. Conséquences? Les médecins qui le prescrivent le font donc en dehors de leur utilisation prévue et engagent leur propre responsabilité.

«Personne ne peut se permettre de dépenser près de 900 francs pour ce traitement. Nous sommes donc obligés d’être créatifs.»
Alexandra Calmy

Dans ces conditions, le traitement ne peut pas non plus être remboursé par l’assurance maladie. Il est pourtant vendu à des prix prohibitifs sur le marché helvétique: 899,30 francs pour une boîte de 30 comprimés à prendre quotidiennement. Quant aux génériques, ils ne sont pas disponibles car leur introduction a été bloquée par le Tribunal fédéral des brevets.

En France, le traitement est remboursé par l’assurance maladie et les génériques coûtent moins de 180 euros pour 30 tablettes, en Allemagne moins de 80 euros et elles peuvent être commandées en ligne pour 40 euros, selon un communiqué du Groupe sida Genève. Ce dernier estime que «ce prix oblige les personnes à se fournir sur internet avec tous les dangers que cela comporte pour leur santé.» L’organisation oriente les utilisateurs qui ont une ordonnance médicale vers des médicaments fiables et moins chers.

Contraints de se fournir à l’étranger

Alexandra Calmy, de son côté, conseille à ses patients d’aller se fournir à l’étranger, par exemple en France ou en Allemagne: «Personne ne peut se permettre de dépenser près de 900 francs pour ce traitement. Nous sommes donc obligés d’être créatifs et de trouver des solutions alternatives.»

C’est notamment la solution trouvée par Beat. Lorsqu’il reçoit l’ordonnance de son médecin, le Bernois de 32 ans se rend en Allemagne pour acheter la PrEP. Il fait partie du groupe de personnes exposées à un risque important d’infection, soit les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes (HSH). «Avant, j’avais continuellement peur, même si je faisais régulièrement des tests de dépistage», explique-t-il.

Depuis qu’il est sous traitement, il se sent davantage en sécurité. Mais ce n’est pas pour autant qu’il prend des risques inconsidérés ou qu’il a abandonné complètement l’utilisation du préservatif. «Je n’ai pas toujours confiance en ce que mes partenaires affirment. Comment puis-je être certain qu’il prend bien le médicament correctement? Moi, je sais que je le prends et je peux être plus tranquille, en cas de relation non protégée», explique-t-il. En outre, le traitement implique aussi un dépistage trimensuel des autres infections sexuellement transmissibles (IST), telles que la syphilis, la gonorrhée ou la chlamydiose, ce qui contribue également à rassurer Beat.

«La PrEP a changé le rapport à la sexualité»

Sur les sites de rencontres gays, les utilisateurs sont désormais invités à dévoiler leur statut VIH: négatif, négatif sous PrEP, positif ou positif indétectable. Ici, l’information que l’on peut indiquer pour créer un profil sur l’application Grindr:

Négatif, sous PrEP
swissinfo.ch

«La PrEP a pris beaucoup d’importance dans les relations entre hommes. J’ai l’impression qu’elle a changé le rapport à la sexualité», raconte Gilles*, 32 ans. Lui a choisi de ne pas prendre le traitement préventif, même s’il fait aussi partie du groupe à risque des HSH: «Je n’ai pas envie de prendre un médicament si ce n’est pas absolument nécessaire.» Il estime que ce n’est pas sain pour son corps et préfère redoubler de prudence.  

Gilles constate qu’une grande partie des hommes homosexuels qu’il côtoie opte pour la PrEP. «Cela crée une sorte de pression sociale qui incite les gens à avoir recours au traitement. Certains hommes refusent même d’avoir des relations avec quelqu’un qui ne le prend pas et ceux qui proposent des relations non-protégés sont plus nombreux qu’auparavant», affirme-t-il.

Des chiffres réjouissants

Alexandra Calmy rappelle que les personnes intéressées par la PrEP doivent en premier lieux consulter leurs soignants. «C’est un médicament efficace, qui a très peu d’effets secondaires. Nous le connaissons très bien et savons l’utiliser parfaitement», souligne-t-elle. Si un suivi médical est essentiel, il n’y pas de conditions particulières à remplir pour se voir prescrire le traitement. Il y a deux manières possible de l’utiliser:

Plus

Le VIH est d’ailleurs en recul en Suisse. En 2017, 445 nouveaux cas ont été déclarés à l’Office fédéral de la santé publique, soit une baisse de 16% par rapport à 2016. Outre l’augmentation du dépistage, Alexandra Calmy estime que l’utilisation de la PrEP a aussi contribué à cette diminution des cas. «C’est un bon moyen de protection pour des personnes pour qui le préservatif n’est pas toujours une option», conclut la spécialiste. 

*nom connu de la rédaction

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